Nature morte, 1957, huile sur
Morandi, "Nature morte", 1957, huile sur toile, 30x35 cm, Vitali n°1030.
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Juin 2006

Ayant déjà vu les deux types d'alignements verticaux, nous ne parlerons ni de l'alignement d'échelonnements qui réunit le bloc d'albâtre du premier plan et la bouteille noire et liquide du second, ni de l'alignement d'orientations qui en arrive à aplatir cette même masse d'albâtre. Ainsi, nous nous contenterons de parler de l'alignement horizontal qui réunit sur une même ligne le sommet des six ou sept objets que nous croyons deviner. Comme la plupart des alignements ambigus, qu'ils soient verticaux comme ceux que nous avons déjà vus ou horizontaux comme ce dernier, cet alignement là fait son travail habituel et attendu d'aplatissement de la représentation des trois dimensions du monde. Et c'est en observant les quatre bouteilles que nous pouvons le mieux comprendre, en cette toile, la perte de l'échelonnement spatial. À masquer en effet de la main le corps des récipients, nous pourrions croire que ces quatre cols sont situés à une même distance. Pourtant, malgré l'absence de certains indices de la profondeur, nous pouvons reconstituer en partie l'ordre des plans. La bouteille la plus proche est celle de droite : non seulement sa base est la plus basse, mais elle recouvre encore la bouteille blanche située à sa gauche. Nous utilisons là, consciemment ou non, les deux principes archaïques et quasi universels de représentation de la profondeur que sont l'étagement et le recouvrement. La bouteille blanche est moins évidente à situer : elle pourrait tout autant être au même niveau que légèrement en arrière ou en avant de celle, presqu'aussi blanche qu'elle, située à sa gauche. C'est qu'ici nous n'avons ni l'étagement de la base des objets ni leur recouvrement pour nous aider. Enfin, même en l'absence des bases, nous savons que la bouteille sombre placée à gauche est la plus éloignée en ce qu'elle est en partie recouverte par la blanche. Mais tout ce beau travail de déduction, basé sur les principes et les règles logiques de l'étagement et du recouvrement, est battu en brèche, remis en question, déjoué par une simple ligne imaginaire horizontale reliant les goulots des bouteilles.


ADDENDUM
J'avais, il y a très longtemps (entre 1980 et 1985) réalisé un croquis, jamais réalisé en dessin, qui utilisait alors sans le savoir le principe de l'alignement équivoque horizontal (voir ci-dessous). Comme l'indique le texte manuscrit, il s'agissait plus de marquer une limite symbolique que de remettre en cause les règles et les mécanismes de la représentation de la profondeur. Pourtant, il n'est pas interdit de penser que
Morandi joue sur les deux tableaux. C'est la part expressionniste de ces toiles qui m'a tout d'abord touché, avant que j'en aperçoive les procédés de déconstruction de la profondeur. Ainsi, devant cette image, ces objets, par leur regroupement au centre de l'immensité du tableau, disent l'impossibilité de la fuite. Que ce soit à gauche, à droite, vers le bas, ou même vers le haut, tout est clos et barré. Et, en dépit de la verticalité des formes et de la composition, aucune rédemption n'est à venir, en raison de cette ligne horizontale imaginaire qui semble dire : "Vous ne pourrez pas monter plus haut, bande de chiens!"
 

Croquis de bédé.

 

Peinture visible à :
Collection particulière !
Image reproduite dans :
Morandi dans l'écart du réel, Catalogue d'exposition, Musée d'Art moderne de la Ville de Paris, 5 octobre 2001-6 janvier 2002, Éditions Paris-Musées, 2001, p. 51.

 

 

 

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