Nature morte, 1959, huile sur
Morandi, "Nature morte", 1959, huile sur toile, 25,5x40,5 cm, Vitali n°1156.
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PLANSITE-------SITEMAP---

 

Juin 2006

Pour en terminer avec les alignements horizontaux, nous allons aborder deux oeuvres exceptionnelles et admirables. En cette première toile, le peintre choisit de placer les éléments à cheval sur la ligne de sol, de manière à ce que cette ligne, la plus éloignée qui soit de cette représentation, paraisse couper en deux ou même s'entrelacer avec les objets présents.
Deux procédés permettent d'en arriver à cette confusion des échelonnements. Le premier, comme nous l'avons vu avec la toile précédente, se contente de placer certains éléments, les plus petits, de telle manière que leur sommet coïncide par coïncidence avec la ligne arrière du plateau de table. Il en est ainsi du cylindre vert à gauche et du gobelet blanc à droite. Le second procédé, admirable d'ambiguïté réfléchie, place des carafes ou des bouteilles de telle sorte que la limite entre le corps et le col du récipient se confonde, là encore, avec la ligne de sol. Le procédé paraît simple, il en arrive pourtant à produire une ambiguïté de la reconnaissance des formes, conséquence voulue de l'ambiguïté plastique qui en est à l'origine. Ainsi, à observer l'élément vertical situé au centre droit de la masse d'objets, nous pouvons tout aussi bien voir en ces aplats une forme unique : une carafe au corps bleu et au col blanc, que deux éléments distincts se recouvrant : un pot cylindrique bleu au couvercle arrondi et une carafe au corps masqué dont seul le col surgirait.
 

Morandi, Vitali-1156, carafesMorandi, Vitali-1156, pots
 

Pour en arriver là, Morandi triche un peu. Il aurait dû, comme dans la carafe blanche moins ambiguë, arrondir la base du col vers le bas, puisque, comme le prouve l'ensemble des ouvertures supérieures, nous avons une vue en plongée sur tout ces objets. C'est donc en ces deux lignes mineures de séparation du col et du corps, l'une concave, l'autre horizontale, que vient se nicher l'ambiguïté de la reconnaissance formelle. À partir d'un minuscule détail, qui ne peut relever du hasard, le peintre arrive à réaliser deux toiles différentes devant lesquelles nous passons sans les voir.
Nous n'avons pas là une mise en abyme de l'ambiguïté plastique, comme celle employée dans la toile précédente, mais une simple succession : une ambiguïté plastique suivie d'une équivoque formelle. Alors que nous pouvons avoir des ambiguïtés plastiques pures, dégagées de toute signification particulière autre que la remise en cause de la représentation spatiale, il semble bien qu'une ambiguïté de la reconnaissance formelle ne puisse se passer d'un support matériel : un fait plastique. Mais, tandis que les ambiguïtés formelles connues des livres de psychologie de la perception se débrouillent pour ne pas faire oublier leur matérialité, Morandi avec ses accumulations forcées et simplifiées d'objets connus en arrive à jouer sur les deux tableaux : la matérialité plastique des lignes et des surfaces et la forme des carafes, des vases et des boîtes.

ADDENDUM
Une nouvelle fois, à regarder la masse totale des objets, nous retrouvons la variante de la
Quadripoutre, évoquée déjà à deux reprises.


Peinture visible à :
Collection privée, Milan.
Image reproduite dans :
Vitali Lamberto, Morandi, catalogo generale, n°1156, volume II, Éditions Electa, Turin, 1977.

 

 

 

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