Nature morte, 1960, huile sur
Morandi, "Nature morte", 1960, huile sur toile, Vitali n°1171.
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Juin 2006

J'avais, par un jour exceptionnel de lucidité, d'un marque-page choisi cette image. Puis, revenant plus tard dessus, je ne voyais plus ce qui pouvait avoir attiré mon attention, en distinguant cette toile de la précédente. Car, ici encore, nous pouvons voir deux éléments qui se recouvrent et dont il est difficile d'imaginer l'échelonnement réciproque. Non pas tant que leurs bases nous soit masquées, mais en raison d'une coïncidence de lignes qui veut que le sommet du vase blanc soit à la même hauteur que la limite séparant le corps orangé de l'élément suivant de son encolure grisâtre. Nous n'aurions donc là qu'un simple alignement des sommets (déjà-vu précédemment), qui nous ferait oublier l'étagement des bases. Il est vrai que Morandi s'est complu à noyer la limite des formes : le même ton de gris semblant déborder, de manière surprenante car asymétrique, sur la droite du vase pour aller se fondre dans l'encolure suivante. Comme si ce vase bien connu des toiles du peintre était soudain pourvu d'un bec verseur, inutile, déséquilibré et inesthétique.
Puis, un autre jour de lucidité aidant, feuilletant à nouveau ce catalogue, je me suis souvenu de ce qui avait pu me faire marquer cette page d'une pierre blanche. M'attardant de nouveau sur les ombres, je vis une nouvelle fois qu'il y avait là trois objets échelonnés et recouverts. Mais le recouvrement le plus ambigu n'est pas celui dont nous avons déjà parlé. Cet autre recouvrement presque indécelable veut qu'un cylindre orangé soit exactement de la même largeur qu'un autre élément, qui placé en son arrière, ne laisse voir que son encolure. Seuls deux indices sont à même de marquer la présence de ce troisième élément : l'ombre portée sur la table (qui nous informe tant de la présence du troisième élément que de sa contiguïté avec le deuxième) et l'ombre propre, petite virgule foncée qui, prolongeant l'ombre oblique du cône, revient vers la gauche pour indiquer fugitivement la limite, entre le couvercle horizontal de la boite et l'encolure de la bouteille.

Tracé de deux pots sur une "Nature morte" de Morandi, Vitali n°1171Tracé de trois pots sur une "Nature morte" de Morandi, Vitali n°1171.
 

Nous avons là une des plus belles confusions d'objets, de plans, d'échelonnement de toutes les natures mortes du peintre. La bavure qui semble émerger du vase blanc nous force à réflêchir, à conduire une réflexion spatiale à partir d'objets simples et immobiles. Mais pour en arriver là, nous faire sortir de notre contemplation béate, le peintre et la peinture doivent tricher. Ainsi, l'encolure du vase blanc n'est pas symétrique. Morandi en a exagéré l'ombre du col afin qu'elle rejoigne et se confonde avec l'ombre tant verticale du cylindre qu'horizontale de son couvercle. De même, nous savons, de par notre expérience, que le gris de l'embouchure du vase ne peut se prolonger ainsi dans le couvercle du vase, puis de là, sautant encore un pas, dans l'encolure conique de la bouteille. Seules deux virgules d'ombre ont été laissées afin que les objets ne soient pas totalement confondus tant dans la matière picturale que dans l'esprit du regardeur.

 

Peinture visible à :
Collection Fabbi, Modène.
Image reproduite dans :
Morandi, catalogue d'exposition, Hôtel de Ville de Paris, Éditions Mazzotta, Milan, 1987, p. 84.

 

 

 

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