Nature morte, 1960, huile sur
Morandi, "Nature morte", 1960, huile sur toile, Vitali n°1188
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PLANSITE-------SITEMAP---

 

Juin 2006

Cette peinture de Morandi utilise de nombreux contacts, mais nous n'évoquerons que très peu l'unique contact horizontal. Ainsi parmi les quatre contacts verticaux présents, certains sont réels, d'autres équivoques, certains de surfaces, d'autres de contours. Regardez et jugez-en.
Commençons par la grande bouteille centrale, qui ordonne l'ensemble de la composition. À sa gauche, une boite rectangulaire ocre, aux coins arrondis, vient se coller au corps blanc et crémeux. Simple contact ordinaire des contours verticaux de deux éléments conjoints.
Au dessus de cette boite, qui en cache la base, surgit un grand vase bleu. En raison de la touche sinueuse, à la maladresse habile du peintre, nous pouvons imaginer un nouveau contact ordinaire de contours. Pourtant, à y regarder de plus près, deux indices interdisent cette interprétation. En premier lieu, l'ouverture de ce vase déborde très légèrement au dessus du goulot blanc, qui, de ce fait, est en partie recouvert par la bouteille. Nous avons donc là un recouvrement qui peut, en l'absence de la vision du pied du vase, pourrait donner naissance à un contact ordinaire de surfaces. En second lieu, l'asymétrie de la surface bleue, bien que très légère malgré les apparences (pour vous en convaincre, plissez les yeux), devrait nous obliger à prolonger le corps du vase en arrière de la bouteille. Pourtant, en dépit de ces deux évidences, je ne peux m'empêcher d'imaginer un contact impossible de contours entre ces deux objets.
Passons maintenant à droite de la bouteille. Là, nous observons le même phénomène. Si ce n'est que, cette fois, la présence de la base du vase l'éloigne à l'évidence de la bouteille. Mais comment croire une base qui se présente à l'horizontale alors que toutes les bases et tous les sommets, en raison de la vue plongeante, sont courbes. Si ce n'est aussi que le coté gauche de l'ouverture du vase semble recouvert par la bouteille. Si ce n'est encore que l'asymétrie beaucoup plus marquée du vase vert mettrait la puce à l'oreille de plus d'un. Pourtant, sachant que la poterie permet toutes les formes, reconnaissant que la symétrie n'est pas un passage obligé pour obtenir un récipient esthétique et fonctionnel, là encore, je me laisse piéger et préfère voir un contact entre le contour gauche d'un vase à la base beaucoup trop haute, à l'encolure ouverte, au corps asymétrique et le contour droit de la grande bouteille blanche.
Nous terminons enfin notre parcours par ce qui semble être un véritable contact vertical de contours. Le bord droit du vase sans pied épouse parfaitement le coté gauche d'une forme ovoïde rainurée à l'usage incertain. Mais que pouvons-nous en savoir, ignorants que nous sommes de la forme globale du vase vert ? Ce dernier pourrait tout aussi bien être convexe que concave. Sa convexité serait simplement masquée à nos regards par le recouvrement de l'objet ovale, dont le sommet fondu dans la couleur du mur nous incite à voir une concavité réelle, dégagée de l'hypothèse du recouvrement de sa convexité. Complexe n'est-il pas ?
Ainsi, en cette peinture, tout est programmé pour nous induire en erreur. C'est l'ensemble des formes, leur organisation générale, qui me conduit, par ces alternances de vrais et de faux, ces répétitions de justesses et d'impostures, à imaginer ce qui n'est pas.

À accumuler, contacts évidents de contours, contacts indécis à la limite du non-dit (ou plutôt du non-peint), et contiguïtés impossibles, Morandi me promène de gauche à droite. J'en arrive alors à observer ce paysage chinois avant que d'en escalader ses montagnes et d'en traverser ses eaux. J'envisage de passer par la gauche : cheminer sur la première boite ocre afin d'escalader le sommet enneigé de la bouteille et, de là, atteindre, dans le bleuissement des lointains, un vase vaguement grec, sans me rendre compte de l'impossibilité du trajet. De même la descente, ou bien encore la montée par l'autre versant serait tout aussi impossible. Le peintre me condamne ainsi à errer du regard dans un paysage où je ne peux mettre le pied.

 

Peinture visible à :
Museo di arte moderna e contemporanea di Trento et Rovereto, collection Giovanardi.
Image reproduite dans :

Morandi dans l'écart du réel, Catalogue d'exposition, Musée d'Art moderne de la Ville de Paris, 5 octobre 2001 -6 janvier 2002, Éditions des musées de la ville de Paris, 2001, p. 62.

 

 

 

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