Nature morte, 1964, huile sur
Morandi, "Nature morte", 1964, huile sur toile, Vitali n° 1340.
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Juin 2006

Tout d'abord, il y a ce parfait alignement continu qui nous fait passer du col noir au verre blanc d'un objet que je vis comme une lampe à pétrole. De ces lampes que Morandi a parfois placé au milieu de ses vases, pots, brocs et autres objets qu'il recouvrait de peinture afin d'en atténuer les reflets? Ainsi, j'aurais là le noir du métal soutenant le blanc liquide du verre de lampe. Lampe qui, ainsi perçue, devient le bras vertical d'une croix, dont les trois boîtes postérieures, aux cotés parfaitement conjoints et aux sommets recouverts d'un même ocre, formeraient la branche horizontale. Ainsi tout serait dit de cette nature morte chrétienne, crépusculaire ou sépulcrale évoquant tout autant la matière des fresques paléochrétiennes qu'un certain intérieur paysan, tout à la fois radieux et mélancolique, d'un Le Nain aux objets crucifiés sur une table de ferme.

Le Nain, "Repas de paysan", huile sur toile. 

Mais il y a encore et aussi ce contact ambigu de contours, qui, par certains cotés, participe à cette affabulation chrétienne de crucifixion symbolique. L'évasement du goulot noir supporte le tube de verre blanc en ce qu'il lui est conjoint par une courte ligne horizontale. Pire, nous semblons même apercevoir à travers la matière translucide la couleur atténuée de l'intérieur du goulot. Ainsi, cette lampe à pétrole combine t-elle l'alignement continu de verticales et le contact horizontal de contours.

Si ce n'est que toute cette belle construction spatiale n'est peut-être qu'équivoque de contiguïtés et ambiguïtés d'alignements. Car le col blanc peut tout aussi bien représenter le goulot d'une grande bouteille blanche qui succéderait dans l'ordre des plans au flacon noir qui le précède en le recouvrant partiellement (ci-dessous à droite). N'ayant plus qu'un semblant de continuité et de contiguïté entre les deux rectangles verticaux de peinture, la croix disparaît. Nous aurions alors trois plans : le court flacon noir et la bouteille au goulot blanc qui précède de peu les deux boites latérales dont le coloris allant par paire reprend celui des récipients verticaux.

Croquis d'une lampe à pétrole sur une "Nature morte" de Giorgio Morandi, Vitali n°1340. Croquis de deux carafes sur une "Nature morte" de Giorgio Morandi, Vitali n°1340.

Mais alors qu'en est-il réellement ? Réellement rien puisque nous sommes dans la peinture et que la représentation n'est jamais une solution mais une simple question, qui, depuis Lascaux, demande encore et toujours qu'elle est la manière idoine de rendre compte, à un moment donné, du monde réel, symbolique ou imaginaire. Et si Morandi a bien cherché, en plaçant ces objets ainsi à nous tromper, c'est qu'il parle d'une peinture qui ne dit pas la vérité, en confondant les formes, les contours, les objets et en méconnaissant les limites spatiales et l'échelonnement des plans. En somme et de la manière dont vous voudrez bien l'entendre : la place de chacun dans le monde du créateur.


Peinture visible à :
Rome, collection Alvaro Marchini
Image reproduite dans :
Vitali Lamberto, Morandi, catalogo generale, n°1340, volume II, Éditions Electa, Turin, 1977.

 

 

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