Nature morte, 1949, huile sur
Morandi, "Nature morte", 1949, huile sur toile, 30x52 cm, Vitali n°683.
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Juin 2006

À observer de près cette image, nous ne pouvons pas ne pas remarquer une verticale insolite, qui, remontant du bord dextre de la table, se poursuit de façon rectiligne le long du grand verre marron bordant le coté droit de cette nature silencieuse. Qui plus est, ce tracé à la rectilignité déjà surprenante se permet de nous rappeler tout à la fois le bord de la toile, du cadre et de l'image.
Mais, cette fois, à la différence de l'image précédente, l'alignement ne se contente pas d'aplanir l'espace suggéré par la perspective. Car, en réunissant le long de son tracé le plateau d'une table et un verre, cette verticale s'attaque à la représentation de deux angles droits successifs. Alors que nous savons qu'un plateau de table est horizontal et son épaisseur à l'orthogonale de sa surface, alors que nous connaissons la verticalité normale, attendue et ordinaire des verres, vases et coupes, nous ne pouvons nous empêcher de transformer ces diverses directions du réel en une parfaite verticale de l'image. Ainsi, la table, épaisseur et plateau confondus dans un même plan, se dresse-t-elle à la verticale, tout en continuant, imperturbable, à porter les différents objets, eux-mêmes verticaux, qui la recouvrent. En cela nous n'avons pas un alignement équivoque de l'échelonnement des formes dans l'espace, mais un alignement de leurs orientations. C'est donc à une autre figure ambiguë que nous devons nous référer pour comprendre cette image : la
Monopoutre aplatie.

Figure impossible : "Monopoutre aplatie", alignement incohérent

Première différence notable avec la table de Morandi, en cette figure c'est une horizontale qui se charge d'aplanir un volume en alignant deux directions censément être orthogonales le long d'une même ligne. Autre différence le caractère d'impossibilité marquée de cette figure n'apparaît pas aussi évident dans la toile. Nous savons bien qu'en cherchant l'angle de vision adéquat, il nous est facile d'aligner la verticale d'un verre le long du bord d'une table ou même la verticale de son plateau dans l'axe de sa surface. Alors que cette poutre imaginaire au dessin simplifié nous semble impossible, des objets connus permettent de nous arrêter au domaine de l'ambigu. De là, nous devons en déduire que la Monopoutre aplatie est possible : nous avons une poutre dont la section arrière tronquée a été dessinée sous un angle tel que ses deux arêtes arrières semblent alignées. CQFD.
Pour en finir, je ne peux m'empêcher de dire ce que me raconte cette image. Au bord du précipice, un groupe apeuré d'individus, blottis les uns contre les autres et les uns sur les autres, attendant que la menace qui viendra de la gauche leur fasse enfin sauter le pas pour, les poussant dans le vide, transformer leur présence matérielle, apparemment tranquille et immuable, en nature définitivement morte, de mille morceaux brisés

NOTA BENE 1
Une variante très proche, en ce qu'elle reprend à une exception près les mêmes objets, de la même année 1949, faisant partie de la collection Ida Maramotti Lombardini, Albinea, Reggio Emilia (
Vitali n° 682), montre l'intérêt porté par Morandi à la combinaison d'alignements équivoques d'échelonnement et d'orientation.
NOTA BENE 2
Une autre variante datée de 1955, mais cette fois avec des objets différents, prouve l'intérêt persistant du peintre :
Nature morte, musée de Winterthur (Vitali n° 952).

 

Peinture visible à :
Collection Morat à Freiburg im Breisgau
Image reproduite dans :
Vitali Lamberto, Morandi, catalogo generale, n°683, volume II, Éditions Electa, Turin, 1977.

 

 

 

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