Nature morte, 1955, huile sur
Morandi, "Nature morte", 1955, huile sur toile, 30,2x35 cm, Vitali n°966.
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PLANSITE-------SITEMAP---

 

Juin 2006

Afin de ne pas vous effaroucher, nous allons tout doucement commencer par un simple alignement vertical. Bien sûr, cette image présente encore un alignement quasi horizontal du sommet des objets, alignement que nous n'évoquerons pas maintenant, puisque Morandi a exploité en de nombreuses autres toiles toutes les coïncidences possibles d'horizontales que permet la représentation en deux dimensions du monde. De même que nous ne parlerons pas du contact équivoque de surfaces qui veut que nous ne puissions évaluer la distance qui sépare le bloc bicolore situé au premier plan du cylindre blanc qui lui est postérieur. Ainsi, nous nous contenterons de l'alignement qui réunit sur une même ligne verticale les cotés de ce même bloc et de ce même cylindre.
Comme la plupart des alignements ambigus, celui-ci fait son travail d'aplatissement de la représentation des trois dimensions du monde. Tout d'abord en reniant l'échelonnement des formes dans l'espace. L'écart entre les deux objets ne peut être pleinement apprécié. Il est vrai que le contact équivoque des surfaces évoqué plus haut participe à cette incertitude, puisqu'en nous masquant la base du cylindre le bloc et la bouteille blanche interdisent d'en connaître la juste position. Mais la verticale suffirait à elle seule à donner l'illusion d'une possible contiguïté et, pire encore, d'une verticalité continue. De même, l'aplatissement de l'espace est encore renforcé par l'alignement horizontal qui relie de manière inimaginable le sommet de trois objets sur une même ligne. Enfin, de manière plus insidieuse, le coloris n'est pas innocent, qui participe à cette confusion des échelonnements. Le blanc coloré du goulot de la bouteille située au premier plan est en effet identique au blanc du cylindre pourtant plus éloigné.
Une autre peinture de
Morandi peut pourtant prouver l'efficacité suffisante des alignements horizontaux ou verticaux dans l'aplatissement de l'espace. En cette autre image, l'ombre portée qui marque pourtant une distance importante entre le gobelet du premier plan et les objets du second, ne suffit pas à nous empêcher d'imaginer une contiguïté entre ce même gobelet et le volume ocre avec lequel il semble partager une même verticale. Contiguïté illusoire qui suffit à nous laisser imaginer un empilement de formes en lieu et place de leur échelonnement dans la profondeur de la représentation.
 

Morandi

 

ADDENDUM
Sous des abords très simples, cette peinture traite encore d'une autre problématique spatiale, problématique qui va nous faire quitter le domaine de l'ambigu pour entrer dans celui de l'impossible. À regarder maintenant la masse globale de tous ces objets agglutinés les uns contre les autres, nous obtenons une forme ambiguë qui flirte avec l'impossible (ci-dessous à gauche). En effet, comment pourrions-nous conjuguer la rectilignité du sommet de ce bloc avec l'angle que forme sa base. Ce tracé pourrait tout d'abord être considéré comme un polygone, sans volume et sans relief. Mais en ce cas, nous nous éloignons de la peinture aux masses affirmées. L'autre solution consiste à imaginer un cube dont le sommet, étant à hauteur de nos yeux, formerait ligne d'horizon. Ainsi, nous obtenons un volume normal vu sous un angle tel que sa forme perçue devient ambiguë (ci-dessous à droite).
 

Figure ambigue : "Polygone", alignement équivoque.Figure ambigue : "Cube", alignement équivoque.

Mais, nous n'en n'avons pas fini avec cette toile. Car plutôt que de nous attarder sur les différents cotés d'une masse d'objets accumulés, nous pouvons encore nous contenter d'en suivre le contour. Et là une surprise nous attend : nous arrivons enfin au domaine de l'impossible, comme le montre le croquis ci-dessous. Cette fois, aucune échappatoire ne permet de résoudre le conflit des directions : la rectitude de la poutre supérieure interdit qu'une brisure puisse apparaître dans la poutre de base. Nous avons là une variante de la Quadripoutre (Image hors-site) cette figure impossible bien connue, dérivée de la Tripoutre de Penrose.

 

Figure impossible : "Cadre impossible", contact incohérent.

 

Peinture visible à :
Collection Lohmann Hofmann, Münster.
Image reproduite dans :
Morandi dans l'écart du réel, Catalogue d'exposition, Musée d'Art moderne de la Ville de Paris, 5 octobre 2001-6 janvier 2002, Éditions Paris-Musées, 2001, p. 70.

 

 

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