Le douanier Rousseau, La cour,
DOUANIER ROUSSEAU, "La cour", 1896-1898, huile.
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Avril 2005

Le Douanier Rousseau devrait être surnommé le Maître aux barrières, tant par son métier qui en faisait le gardien de l'octroi que par certaines de ses réalisations picturales où les haies en arrivent à nier la troisième dimension que le reste de l'image tente si ingénument de mettre en place.
Une première barrière s'éloigne de nous tout en bordant le coté droit de la cour de ferme. Pour marquer cette orientation, la diminution de taille échelonne les piquets du plus grand au plus petit, du proche au lointain. Une seconde barrière, qui nous fait face au centre de l'image, barre, quant à elle, le fond de la cour. Pour cela, ses piquets s'ordonnent le long d'une horizontale tout en conservant une dimension constante.
Mais, cette belle construction conceptuelle d'une ébauche de représentation tridimensionnelle tombe en morceaux, lorsque nous suivons le trajet des traverses longitudinales. Si les traverses de la barrière du fond de cour ne déparent pas de l'ensemble, celles situées à droite contredisent la profondeur que la diminution des piquets s'efforçait de suggérer. En effet, plutôt que d'obéir à la règle de convergence des lignes fuyantes, ces trois traverses suivent un trajet horizontal en même temps que parallèle, trajet qui signifie la frontalité. Ainsi, la direction des traverses longitudinales contredit-elle la diminution de taille des piquets qu'elles sont censées réunir.
Mais le problème est plus complexe qui peut en arriver à nous faire douter de la maladresse apparente du
Douanier. La traverse supérieure de la barrière droite poursuit le trajet horizontal de la traverse inférieure de la barrière gauche. En cela, nous obtenons, par cet alignement des directions, une mise sur un plan commun et frontal des deux barrières censées se rejoindre à l'orthogonale.
 

Tracé opéré sur "La cour" du Douanier Rousseau.

 

Cette situation se répète à l'envi, qui veut que seul le trapèze du sol de la cour en arrive à produire une profondeur satisfaisante. L'ensemble du décor tend ensuite à renier ce désir, premier et inabouti, de tridimensionnalité. Ainsi, d'autres alignements viennent redoubler ce premier aplatissement de l'espace : tant celui des bords verticaux des bâtisses situées à droite, que cet autre qui prolonge la trajectoire de la gouttière en direction de la ligne horizontale du pignon blanc de gauche participent de ce déni de la profondeur.
Cet écart constant entre profondeur et platitude ne pouvait que réjouir un peintre comme
Picasso qui, en jouant du marteau cubiste, s'amusait à casser tous les beaux jouets de la représentation classique.

De mon coté, je me suis bêtement contenté de plagier ce détail intelligent d'une peinture dite naïve, pour produire une série de barrières, dont un exemplaire est visible ci-dessous (voir le dessin ou voir des croquis).

Figure impossible : "Barrière", graphite, fin XXème

 

Mais alors que l'hypothétique construction de la barrière du Douanier, quoique possible, soit bien difficile à imaginer pour notre petit cerveau en raison du redoublement et du parallélisme des traverses, ce dessin laisse une plus grande liberté au regardeur. Il suffit en effet d'imaginer une poutre, fixée aux poteaux des extrémités, pour que cette image là redevienne plausible.

Reproduit dans :
VALLIER Dora,
Henri Rousseau, Coll. Les maîtres de la peinture moderne, Flammarion, 1979.
 

 

 

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