LE DOUANIER ROUSSEAU, Promeneurs dans
DOUANIER ROUSSEAU, "Promeneurs dans un parc", 1907-1908, huile sur toile.
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PLANSITE-------SITEMAP---

 

Avril 2007

Le Douanier ne s'est pas contenté d'aligner les grilles des cours et des jardins. Sans doute, en raison de son travail à l'octroi, cette autre barrière de la ville, Rousseau s'est encore complu à aplatir l'architecture. Ainsi, en cette encoignure de parc, les cheminées, fenêtres et toits des trois bâtiments suivent un même trajet rectiligne sur les mêmes horizontales. Cela ne poserait guère problème si ces bâtisses étaient toutes adossées au mur d'enceinte, situé dans un plan frontal. Malheureusement, les façades qui donnent sur la parc épousent l'angle formé par le chemin latéral : si l'une des maisons nous fait bien face, les deux autres s'éloignent de nous. Comme nous l'avons vu avec les barrières précédentes, cet alignement a pour effet d'aplatir l'espace de la représentation. Ainsi, lorsque vous masquez, comme ci-dessous, toute la moitié inférieure de l'image, les bâtiments paraissent alignés au cordeau en une vue frontale implacable
 

DOUANIER ROUSSEAU, "Promeneurs dans un parc", détail.

 

Mais, à cacher ensuite la partie supérieure jusqu'à la base des fenêtres basses, nous retrouvons l'orthogonalité du chemin et celle des murs. Cette dans cette opposition des orientations, dans ce conflit des profondeurs, que vient se nicher l'ambiguïté spatiale.
Pourtant, à bien y réfléchir, eu égard au fait que nous sommes dans une représentation du monde qui se veut réaliste en dépit de ses imperfections, cette ambiguïté se transforme en impossibilité. Ces bâtiments ne peuvent être à la fois frontaux et fuyants. C'est alors qu'à éliminer la bâtisse la plus lointaine, seule à accorder son sommet avec sa base, nous voyons apparaître une
Quadripoutre (Image hors-site). Nous avons donc deux figures différentes. La première est une figure ambiguë : l'alignement équivoque qui semble réunir sur une même trajectoire les horizontales du bâtiment vu de face et celles des deux maisons fuyantes. La seconde est une figure impossible : la Quadripoutre représentée ci-dessous par un trapèze rouge qui, malheureusement, donne une bien piètre idée de l'impossibilité spatiale. Pour cela, après avoir vu la Quadripoutre proposée hors-site, vous devrez imaginer que chaque segment rouge est représentatif d'une poutre à l'orientation bien définie. Les trois poutres supérieures en forme de U renversé seraient face à nous dans un plan frontal, tandis que la quatrième tenterait, tout en fuyant dans la profondeur de l'espace, de relier les bases des deux poutres verticales. Ce qui relève bien évidemment d'une mission impossible. Que cette impossibilité puisse être représentée en deux dimensions est due au fait suivant : dans cette image, la différence de hauteur des deux poutres verticales peut tout autant signifier une diminution apparente due à l'éloignement que marquer leur réelle diminution de taille. Mais pour lors nous raisonnons en contours alors que la façade de cette maison est une surface qui présente une torsion incohérente du bâtiment cerné de rouge. Comme nous l'avons déjà vu grâce au croquis précédent, le sommet de cette surface verticale et continue ne peut nous faire face alors que sa base s'éloigne. Nous avons là le mariage de la carpe et du lapin : un objet plan constitué d'un sommet frontal et d'une base fuyante !
 

Tracé opéré sur "Promeneurs dans un parc" du Douanier Rousseau.

 

C'est ainsi que, croyant avoir un nouvel alignement équivoque (comme si les deux barrières précédentes ne suffisaient pas), nous avons découvert un contact impossible. Car, de la même manière qu'il suffirait de rompre une des contiguïtés de la Quadripoutre pour revenir à une construction possible, nous pourrions avoir un mur fuyant qui, tout en bornant le parc, masquerait la base d'une maison nous faisant face. En rompant la façade en deux éléments distincts dépourvus de contact, nous retrouverions, là aussi, une représentation spatiale acceptable.
Il ne reste plus maintenant qu'à se demander si ce Douanier n'aurait pas caché un autre tour dans son sac : à savoir une belle et bonne superposition impossible ou équivoque, qui nous permettrait de terminer le tour des trois principes plastiques des ratés de la représentation spatiale.

 

Peinture visible à :
Musée de l'Orangerie, Collection Walter Guillaume, Paris.
Image reproduite dans :
VALLIER Dora, Tout l'oeuvre peint de Henri Rousseau, Collection les classiques de l'art, Flammarion, Paris, 1970.

 

 

 

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