LE DOUANIER ROUSSEAU, L'herbage, 1910,
DOUANIER ROUSSEAU," L'herbage", 1910, huile sur toile.
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Avril 2007

Avec cette toile, nous allons aborder une autre facette des incohérences spatiales du Douanier Rousseau. Et comme nous ne pouvons rien cacher au spécialiste des ratés de la représentation spatiale que vous êtes devenus en parcourant avidement les textes de ce site, nous avons là, bel et bien, une belle et bonne superposition inversée, troisième et ultime catégorie plastique pouvant donner lieu à impossibilité.
Il est un fait que ce pauvre petit paysan n'est pas à sa place dans cette campagne luxuriante. Non pas tant que sa taille soit disproportionnée (ce pourrait être après tout un enfant), mais en ce qu' il puisse, en dépit de sa position avancée, passer son bras derrière la patte de l'animal situé quelques mètres en son arrière. Nous avons donc là un faux recouvrement : un objet proche est en partie recouvert par un objet lointain. L'archaïque procédé de rendu de la profondeur qu'est le recouvrement, déjà utilisé en ancienne Mésopotamie et encore visible sur les vases grecs (ci-dessous à gauche), se voit ici battu en brêche. Avec ce vase dépourvu de toute perspective linéaire, seul le recouvrement des formes permettait d'échelonner les formes dans l'espace. Ainsi, à masquer en partie le lit du défunt, la pleureuse située à gauche passe au premier plan. Avec cette utilisation du recouvrement, le principe de colinéarité peut jouer alors, de manière efficace et pertinente, son rôle de reconstitution de l'espace : nous n'imaginons pas un seul instant que ce cadavre puisse être coupé en deux, et nous empressons d'imaginer la partie manquante du corps et de la couche.
 

Plaque funéraire gecque : recouvrement exprimant la profondeur.Figure impossible : Tripoutre à superposition Inversée.

 

Mais à la différence de ces civilisations qui se contentaient d'une simple ligne de base pour évoquer le sol, nous voyons maintenant la surface herbeuse de la terre. C'est en cela que nous devons plutôt parler de superposition inversée. Sur cette peinture nous pourrions en effet plaquer la Tripoutre à superposition inversée (ci-dessus à droite). Trois éléments sont nécessaires pour constituer une Tripoutre: nous avons le paysan, sa vache, et le sol qui vient prendre la place de la poutre horizontale qui pourrait paraître manquante. Aux deux "extrémités" de ce sol qui s'éloigne en oblique, deux poutres se dressent à la verticale : la vache et le paysan. Mais en dépit de leur éloignement et de leur verticalité, la bras du personnage est recouvert par la patte de l'animal. Pourquoi en ce cas ne pas parler d'une simple Tripoutre ? Tout simplement parce que nous ne pouvons décider si ce bras est en contact avec la patte ou si il est situé plus loin en son arrière. Nous avons là un phénomène identique à la figure impossible présentée ci-dessus : nous ne pouvons évaluer la position exacte de la barre recouverte, barre qui pourrait tout autant être en contact qu'éloignée de celle qui la recouvre. La raison de cette incertitude dans l'impossibilité est simple : une fois la frontière de l'impossible franchie, une fois passé dans l'au-delà de la Tripoutre des Penrose, tout redevient possible : la totalité du possible s'offre de nouveau à vous !

 

Peinture visible à :
Bridgestone museum, Tokyo.
Image reproduite dans :
VALLIER Dora, Tout l'oeuvre peint de Henri Rousseau, Collection les classiques de l'art, Flammarion, Paris, 1970.

 

ICONOGRAPHIE

GROUPE DE BURGON (attribué au),
Scêne de prothèsis, plaque funéraire à figures noires (détail), 560-550 av. J.-C. Athènes, 9 x 44 cm, musée du Louvre.
DRAPER S. W.,
Tripoutre à superposition inversée, dessin, dans “ The Penrose triangle and a family of related pictures”, Perception, 7, 1978, p. 283-296.

 

 

 

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