Ralph GIBSON, Sans titre, circa
Ralph Gibson, "Sans titre", photographie, 1999.
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AVERTISSEMENT

N'ayant pas trouvé cette photo sur le web avec "Google images", je ne peux vous renvoyer par un lien sur un site ayant payé les droits d'auteur. De ce fait, afin que l'analyse soit compréhensible, je me vois contraint d'afficher un scan réalisé à partir d'une photocopie de mauvaise qualité. Pour essayer de me faire pardonner, je ne peux que vous conseiller d'acheter le livre de
Ralph Gibson : Courant continu, Éditions Marval, 1999, dont la page 99 a servi de modèle à cette bien mauvaise reproduction.

 

Ralph Gibson présente souvent des photographies qui n’obéissent pas aux lois d’une représentation spatiale classique. Il est vrai qu'une représentation photographique, du fait de ses deux dimensions, échoue bien souvent, comme toute image, à copier le bel ordonnancement de la réalité. C'est ainsi que cette photo, que nous appellerons le Porte-plat , peut nous laisser indécis, incertain et surpris. Sur la nappe impeccable de la table d'un grand restaurant, un objet au volume des plus simples en arrive à se présenter à nous sous deux orientations antinomiques. Dans un premier temps, à suivre la logique habituelle des tables et des porte-plats, nous voyons, en dépit de l'obliquité du cadrage, un cylindre dressé à la verticale sur une nappe. Puis, à laisser notre regard s'égarer, ou bien encore, à revenir plus tard sur cette même image après avoir oublié son sujet, nous pourrions voir ce même cylindre, allongé sur la nappe, prêt à rouler d'un bord à l'autre de la table. Nous avons donc là un renversement presque parfait des lignes et des formes du réel. Les deux cercles peuvent tout autant être parallèles au plan de la table que former un angle droit par rapport à elle. De même, que les quatre obliques du cylindre peuvent tout aussi bien se dresser à la verticale vers le ciel qu'être horizontales. Ce changement global et cohérent des orientations fait que certains verront le porte-plat dressé sur une desserte, tandis que d'autres imagineront un cylindre rouler et que d'autres encore, moins nombreux, passeront, avec plus ou moins de bonheur et plus ou moins de difficultés, d'une interprétation spatiale à l'autre. Nous avons là une figure réversible, qui, à la manière du Cube de Necker, peut être vue en plongée ou en contre-plongée et, grâce à ce changement d’orientation, ce qui était perçu dans un cas comme la face avant du volume apparaît dans l’autre comme sa face arrière.

Figure rホversible, "Cube de Necker", dessin.

 

La superposition équivoque est le mécanisme plastique qui arrive à offrir deux interprétations contradictoires de l’orientation ou de l’échelonnement des plans d’une image. Ainsi, une autre figure réversible, comme les Anneaux présentés ci-dessous, travaille l'échelonnement en même temps que l'orientation de ses cercles. Les cercles esquissent ainsi un tunnel qui peut être perçu comme s'éloignant vers la gauche ou la droite et dont les cannelures peuvent tout autant être orientées à 45° vers la gauche que vers la droite.

 

Figure rホversible, "Anneaux", dessin.

 

Mais, à la différence des figures réversibles dont le dessin à jamais plat et l'absence d'informations essentielles (ombres propres, ombres portées,...) ne permet pas de lever l’indécision, la photographie, comme prise de vue du réel, ne devrait autoriser qu’une seule disposition spatiale. En premier lieu, à agrandir l'image, vous vous rendrez compte que le cercle supérieur passe en avant des deux barres obliques qu'il croise, prouvant ainsi que nous avons là un porte-plat dressé à la verticale. En second lieu, quand bien même, certaines images, en l'absence d’informations nécessaires et suffisantes, pourraient atteindre à une totale indécidabilité, le réel étant univoque, seuls certains points de vue portés sur lui peuvent temporairement prêter à confusion. Si le photographe s’était déplacé d’un pas à gauche ou à droite, ce cylindre de fil de fer ne serait sans doute plus aussi équivoque qu'il ne l'est. En cela, la superposition équivoque ne suffit pas, à elle-seule, à mettre en place l’ambiguïté.

Bien que Ralph Gibson passe pour un photographe de la forme et qu'il utilise parfois certains mécanismes plastiques de l’ambiguïté spatiale, son projet ne s’arrête pas à la surface de l'image. Des images si pauvres en apparence qu'elles en arrivent par leur laconisme formel à une intensité expressive démesurée. À suivre ainsi l’ordre réel des deux plans circulaires, nous n’aurions là que l'image anecdotique d'un porte-plat, qui, posé sur une table désaxée, serait perçu à l'oblique. Premier déséquilibre. Ce n’est qu’'ensuite, après avoir inversé l’ordre des deux plans, que nous pourrions arriver au récit d'une autre fragilité, d'un autre déséquilibre : celui d'un cylindre qui, suivant la pente, roulera bientôt vers la gauche pour tomber de son piédestal. Grâce à l'ambivalence spatiale d'une image fixe, nous atteignons l'équivoque mentale d'un récit, qui nous fait passer de la colonne dressée du temple à la colonne renversée de la ruine.

 

 

 

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