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Le ciel a fait une croix sur la terre, il semble qu'il veuille tourner la page. Il voudrait bien ne plus la voir et il a bien raison. Et moi, je me promène en ce jardin, pensant que je pourrais recevoir une tuile sur la tête de la part des âmes des artisans tuiliers enterrés là depuis des siècles, artisans enfumés, brûlés, calcinés, populace dont la cendre a permis aux marronniers de s'épanouir le long de cette promenade où les parisiens désormais enveloppés de béton et couverts de zinc viennent empoussiérer leurs chaussures de ces restes oubliés.
Mais qu'en est-il de cette illusion de la croix ? Quel mécanisme en arrive à nous faire croire à la présence d'une croix, en réalité impossible. Car si ses deux panaches étaient réellement contigus, cette forme n'aurait jamais pu achever son tracé après la rencontre regrettable de deux avions remplis de touristes, d'hommes d'affaires, d'hôtesses et de stewards, de tubes dentifrices, de caleçons en soie et de slips en coton, de chaussures et de valises, de souvenirs et de dossiers, la rencontre imprévue des deux véhicules aériens à l'origine de ces traînées célestes. Ainsi, ces cargos volants devaient-ils être éloignés et distants dans l'espace afin que leur trajectoire s'ignorent, que leur métal ne s'effleure et que leurs passagers ne puissent se connaître en une ultime, unique et brutale, rencontre. Pourtant, ces mêmes cargos volants devaient entretenir une proximité temporelle, tant le panache des ces oiseaux d'acier est évanescent. Ils se sont donc bel et bien croisés, mais de loin, de bien loin, pour former les branches de cette croix fugitive que notre point de vue de bipède terrestre nous laisse croire contiguës. Nous avons là un contact équivoque que deux traits à la surface du papier suffisent déjà à mettre en place comme en cette illusion peu connue de Wilhelm Wundt :
Si ce n'est que la Croix de Wundt (citée par Hering en 1879) est une figure où ce n'est pas tant l'incertitude des échelonnements qui prédomine que celle des orientations. En ce tracé graphique nous ne saurions attribuer avec certitude une direction à ces deux lignes qui peuvent, chacune, en prendre des centaines et des centaines. Pourtant dès que nous passons du tracé graphique abstrait au panache réaliste de traînées stratosphériques, tout devient plus simple. Car, par la connaissance infuse, et cependant incertaine, que nous avons des trajectoires aériennes des masses volantes, même ceux qui n'ont jamais pris l'avion en arrivent à imaginer des orientations parallèles au sol, ignorant avec superbe le fait suivant : la proximité des aéroports parisiens voudrait plutôt que ces véhicules amorcent une descente vers la piste qui les accueillera ou entament leur montée vers un ciel qui les engloutira.
BIBLIOGRAPHIE HERING E., Der Raumsinn und die Bewegungen des Auges, Handbuch der physiologie, Hermann, vol. III, p. I, 579, Leipzig, 1879. ROBINSON J.O., The Psychology of Visual Illusion, Hutchinson University Library, Ed. George Westby, 1972, page 171
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