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"Les théories de la chambre d'Ames"

 


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Février 2013

CERTAINES THÉORIES INCERTAINES SUR LA CHAMBRE D'AMES

Pour décrire les deux grands types de construction de la Chambre d'Ames, la page précédente procédait à une analyse plastique, à partir d'éléments plastiques (diminution apparente de taille, ligne d'horizon,...) que les psychologues de la perception reconnaissent parfois en parlant d'indices picturaux (Irvin Rock). Mais, la plupart des théories élaborées depuis Adelbert Ames recherchent les mécanismes perceptifs qui sont manipulés et trompés par la construction particulière de cette pièce. En raison de ma piètre connaissance de la langue anglaise, nous en évoquerons seulement quelques unes, sans aucun souci d'exactitude ou de prétention scientifique.
Le problème est que la
Chambre d'Ames emboîte, à la manière des poupées russes, les illusions les unes à l'intérieur des autres. C'est ainsi que nous aurons à parler de la forme illusoire de la pièce, de la taille incompréhensible des personnages par rapport à la pièce et enfin de l'effet de nanisme ou de gigantisme progressif qui apparaît lorsqu'une personne se déplace à l'intérieur de la pièce.

1. L'ILLUSION DE LA FORME DE LA PIÈCE

L'ASPECT MATÉRIEL
La pièce est construite à partir d'un mécanisme connu depuis très longtemps, à savoir qu'une seule et même image rétinienne peut être la résultante de différentes constructions matérielles dans le réel. Voici une image (tirée de
Coren & Girgus p. 21), qui vous montre que le carré perçu par l'observateur, son image rétinienne, peut avoir de nombreuses formes dans le réel et ainsi ne pas être le carré qu'il pensait contempler.

 

Une image rétinienne et ses différentes projections

Le fait était bien connu de Ames lui-même, qui mériterait d'être au moins aussi célèbre et aussi célébré pour sa Chaise que pour sa Chambre. La construction en elle-même ne pose aucun problème. Tout n'est là que question de déformations perspectives connues depuis la Renaissance comme étant des anamorphoses. Et comme toute anamorphose, ces lignes disparates, dispersées dans l'espace (ci-dessous à droite), retrouveront leur unité et prendront l'apparence d'une chaise seulement et seulement quand elles seront contemplées d'un point de vue unique et précis (ci-dessous à gauche).

 

La chaise d'Ames vue par l'oeilletonLa chaise d'Ames perçue d'un autre point de vue

 

L'ASPECT CONCEPTUEL : EXPÉRIENCE PASSÉE, ATTENTE, ET POINTS DE VUE GÉNÉRIQUES
Mais comment se fait-il alors que nous voyions un cube, une chaise ou une pièce plutôt qu'une des innombrables configurations matérielles possibles qui pourraient donner lieu à la même image sur notre rétine ? La raison est simple que nous pourrions appeler force de l'habitude si les psychologues ne préféraient parler d'expériences passées, expériences qui, à force d'être répétées et répétées donnent lieu à des attentes. Le fait que nous humains partagions un même monde avec les mêmes maisons, les mêmes voitures et les mêmes chambres veut que nous voyons partout des maisons, des voitures et des chambres.
Mais ici, l'expérience passée est encore accentuée par ce que les psychologues appellent point de vue générique. Avec la
Chambre, nous sommes situés sur le coté d'une pièce et en son milieu, à hauteur d'homme, avec un regard porté à l'horizontale. Un point de vue générique donne ainsi à voir l'image la plus simple, la plus claire, la plus explicite et donc la plus facilement compréhensible qui soit d'un élément. Mais là encore, cette notion n'est pas propre à la psychologie. Car, cette pièce nous apparaît comme un "cube scénographique", ce concept élaboré par Pierre Francastel à partir des intérieurs de la pré-renaissance italienne, ces vues giottesques qui donnaient à voir les pièces comme des boites ouvertes, des cubes dont il manquerait le coté d'où nous les regardons.

2. L'ILLUSION DE LA TAILLE DES PERSONNAGES

ENCORE L'ATTENTE
Nous retrouvons l'attente en ce que nous nous attendons deux choses. D'une part, que les personnages qui évoluent dans une pièce ordinaire aient une taille qui s'accorde avec le lieu. D'autre part, que deux humains, adultes et ordinaires, situés à une même distance apparente possèdent une taille plus ou moins similaire. Ces attentes déçues seraient un des faits qui participe à l'illusion de la
Chambre. Tandis qu'un personnage semble minuscule tant par rapport au lieu qu'à son congénère, l'autre paraît gigantesque.
Mais tout cela n'est que présupposé facile et préjugé stupide de psychologues qui, confinés à l'intérieur de laboratoires remplis de souris blanches, se transforment en professeurs Tournesol peu au fait de la réalité. Un géant peut très bien errer dans une pièce ordinaire, en compagnie d'humains ordinaires, sans que nous ayons à en être surpris. Voici la preuve en image :
Eddie Carmel photographié chez ses parents à Brooklyn par Diane Arbus.

"EddieCarmel", photo de Diane Arbus

 

NANISME ET GIGANTISME
L'illusion du nain placé a coté du géant devrait se suffire d'un nain
ou d'un géant situé à coté d'un homme ordinaire. Mais, en général (hormis l'exception présentée ci-dessous), la Chambre d'Ames présente un nain et un géant. Nous pourrions penser que la chambre joue alors le rôle du troisième homme puisque c'est par rapport à elle et à son décor que nous évaluons la taille des personnes. En dépit de cette affirmation aux apparences de vérité, la perception de la taille est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît.

 

"Chambre de Ames", photo avec 3 personnes.

 

La perception de la taille des objets repose sur plusieurs mécanismes. En premier lieu, le système visuel utilise l'image rétinienne : plus un objet est loin et plus la taille de son image projetée sur la rétine sera petite. Ainsi, dans cette chambre, un personnage parait immense et l'autre semble minuscule car l'image rétinienne du premier est beaucoup plus grande que celle du second. Le personnage gauche étant réellement situé plus loin, son image rétinienne est mécaniquement plus petite. Pourtant cela ne nous avance guère puisque nous croyons toujours qu'ils sont adossés au mur de la pièce.
Un autre mécanisme est encore à l'oeuvre dans la perception de la taille. La convergence oculaire des yeux donne, elle-aussi, des informations fiables sur la distance. Plus un objet est proche et plus les yeux sont amenés à converger pour former un angle de plus en plus important. Le personnage situé à droite, qui nécessite un angle de convergence plus élevé que celui de gauche, devrait nous paraître plus proche. Malheureusement, la convergence oculaire suppose que nous nous servions de nos deux yeux, ce qui n'est pas toujours le cas ! Face à une image plane prise avec un objectif monoculaire, notre vision binoculaire perd tout intérêt. Ainsi, ni les photographies de la pièce, ni les vidéos citées en bas de page ne font appel à la vision binoculaire. Quant aux constructions de la
Chambre d'Ames (Cité des sciences de La Villette,...), ces dernières utilisent la plupart du temps un viseur, oeilleton ou judas qui, là encore, élimine la possibilité de la convergence oculaire. La Chambre d'Ames est une chambre de borgne !
Un troisième mécanisme visuel intervient encore : la taille relative des objets les uns par rapport aux autres. Du fait de nos expériences passées (déjà évoquées plus haut), nous sommes amenés à évaluer les tailles en fonction de notre connaissance du contexte. Avec cette chambre, nous ne pouvons nous empêcher de comparer la taille des personnages avec le décor qui les entoure. C'est ainsi que le personnage dont la tête touche le plafond passe pour un géant alors que celui dont la tête arrive à peine au milieu de la porte devient un nain.
Le plus extraordinaire est que notre système visuel, face à des indices contradictoires de taille, privilégie le mécanisme le moins "optique". Plutôt que de se fier à la taille de l'image rétinienne, notre système perceptif préfère évaluer la taille des éléments à partir de connaissances et de l'attente de la répétition éventuelle de ces connaissances antérieures.

L'IMPORTANCE DE LA LIGNE D'HORIZON, DE LA LIGNE DE SOL ET DU SOL
Al Seckel et Alice Klarke se sont rendus compte que le décor de la pièce était inutile. Leurs modèles, qui utilisent une ligne d'horizon, à l'apparence horizontale, et des fuyantes apparemment justes, suffisent à donner l'illusion du nain et du géant. Mais, cela n'est guère surprenant pour quiconque pratique un tant soit peu la perspective. Tout dessinateur sait qu'il suffit, pour évaluer la distance d'un élément dans une image, de tenir compte de la position de sa base dans la hauteur de l'image. La règle à observer est la suivante : plus la base d'un élément se rapproche de la ligne d'horizon, plus cet élément est éloigné. Dans le cas de la Chambre d'Ames, où la ligne d'horizon est masquée par le mur, nous utilisons la ligne de sol, endroit le plus éloigné de l'image. Ainsi, lorsque deux personnages ont leurs pieds au niveau de la ligne de sol, ils devraient, en toute logique, avoir une taille plus ou moins identique. Lorsque cette règle n'est pas respectée et en l'absence d'un décor de référence, nous pourrons tout autant croire à la présence d'un nain ou d'un géant à coté d'une personne ordinaire, qu'à la rencontre d'un géant et d'un nain.

3. L'ILLUSION DUE AU DÉPLACEMENT DES PERSONNAGES

La dernière illusion issue de la Chambre d'Ames concerne le déplacement latéral des personnages dans la pièce. Ainsi, lorsqu'un personnage circule de la droite vers la gauche, vous aurez le sentiment qu'il diminue, peu à peu, de taille pour devenir un nain. À l'inverse, lorsque ce même personnage se déplacera de la gauche vers la droite, il se transformera, petit à petit, en géant. La logique aurait voulu que ces déplacements nous fassent revenir à une juste vision des choses : le parcours droite/gauche devrait éloigner le personnage vers le lointain tandis que le parcours gauche/droite devrait le rapprocher de nous. Nous sommes ainsi amenés à penser que l'illusion de la pièce cubique est plus forte que l'illusion de taille des personnes. Si ce n'est que nous n'avons guère l'habitude de voir des gens se transformer en nain ou en géant lors d'un banal déplacement. Ainsi, en raison du principe de constance de taille, nous ne voyons pas des nains lorsque des personnes s'éloignent de nous. Le principe de constance de taille, appliqué à des éléments connus du monde, est fait pour nous éviter ce genre d'illusions. Grâce à lui, nous savons, lorsque nous sommes au volant de notre automobile, que les voitures au loin ne sont pas des jouets miniatures et que les arbres éloignés ne sont pas des bonsaï. Que peut-il donc se passer pour que l'inévitable principe de constance de taille n'ait pas accès à cette satanée chambre ?

LA THÉORIE LA PLUS RÉCENTE

Al Seckel et Alice Klarke pensent avoir trouvé une solution. Ce n'est pas tant l'illusion de la pièce qui est forte que l'illusion du déplacement en profondeur qui serait faible en ce qu'elle ne correspondrait pas aux règles admises habituellement par notre système perceptif. Nous venons de voir que pour évaluer la distance d'un élément, il suffit de tenir compte de la position de sa base dans la hauteur de l'image. Lors de l'éloignement d'une personne, que ce soit dans la profondeur d'une chambre ou d'un paysage, deux phénomènes devraient apparaître. D'une part, les pieds du personnage s'élèveront peu à peu dans la hauteur de notre champ visuel, en s'approchant de la ligne d'horizon. D'autre part, la tête du personnage descendra progressivement dans la hauteur de ce même champ visuel, pour se rapprocher de la ligne d'horizon.
D'après
Al Seckel et Alice Klarke, les choses ne se passent pas ainsi dans la Chambre d'Ames. En raison de la pente du sol de la pièce, un parcours de la droite vers la gauche, parcours descendant qui éloigne réellement le personnage, fait que les pieds du personnage suivent une trajectoire horizontale dans votre champ visuel. Ne pouvant plus se fier à ce repère habituel et fondamental, notre système perceptif choisirait alors une interprétation qui, pour lui, serait moins absurde : c'est ainsi qu'un personnage qui se transforme en nain serait moins gênant pour notre système visuel qu'un individu dont les pieds suivent un parcours horizontal lorsqu'il s'éloigne.
Après avoir vu quantité de vidéos dans une
Chambre d'Ames, j'ai pu observer ce déplacement à l'horizontale des pieds du personnage qui s'éloigne. Je n'ai rencontré que trois exceptions avec une montée progressive, mais faible, des pieds du personnage dans la hauteur du champ visuel :

http://www.youtube.com/watch?v=qb_X91HU-Pw&feature=related
http://www.youtube.com/watch?v=EOeo8zMBfTA
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=hCV2Ba5wrcs

Dans ces videos mais surtout dans la suivante, il est à noter que la tête descend, quant à elle, fortement dans la hauteur du champ visuel.

http://es.wikipedia.org/wiki/Archivo:Ames_room.ogv

Dans un premier temps, lorsqu'elle est importante et n'est pas accompagnée d'une montée équivalente des pieds, une forte descente de la tête dénote habituellement l'éloignement progressif d'un personnage qui serait perçu d'une position basse, située au niveau du sol. Malheureusement, la plupart des chambres possèdent un oeilleton placé à hauteur d'enfant.
En un second temps, un parcours horizontal ou une trop légère montée des pieds, lorsqu'elle est accompagnée d'une tête s'abaissant fortement dans la hauteur du champ visuel, pourrait tout simplement être comprise comme l''éloignement d'un personnage sur un plan incliné légèrement descendant. Comme dans la plupart des
Chambres d'Ames, le sol est constitué d'un plan incliné qui s'approfondit vers la gauche, notre homme s'éloigne donc sur un plan incliné descendant. En empruntant ce plan incliné, les pieds d'un individu vont peu à peu s'abaisser dans la hauteur de notre champ visuel, mais, puisque cette descente s'effectue dans la profondeur, non perçue mais bien réelle, de la chambre, les pieds de ce même individu devraient peu à peu s'élever dans la hauteur de notre champ de vision. Ce conflit de l'abaissement et de l'élévation de la hauteur des pieds pourrait donner lieu à l'illusion d'un parcours horizontal. Ce conflit, variable selon la configuration des chambres (profondeur, inclinaison du sol, emplacement du point de vue,....) pourrait alors expliquer le fait que ce parcours ne soit pas toujours parfaitement horizontal.
Une fois ce parcours horizontal mis en place, le système perceptif ne peut guère envisager un éloignement du personnage dans une chambre où tous les indices, fuyantes, portes, fenètres et carrelage tendent à vous donner l'illusion de la frontalité et de l'orthogonalité. Pourtant, bien que dépourvu de murs, le modèle de
Al Seckel et Alice Klarke offre paraît-il l'illusion du nain et du géant. Nous allons donc essayer de comprendre plus avant comment la perception peut très bien se suffire et s'accommoder de "détails" tels que la ligne d'horizon et les fuyantes pour en arriver à l'illusion du nanisme et du gigantisme.

CONCLUSION TEMPORAIRE D'UNE PAGE MÉDIANE

Le plus curieux est qu'après de nombreux débats entre les différentes écoles de psychologie, une des théories les plus récentes utilise une terminologie plastique (ligne d'horizon, ligne de sol, fuyantes,...) pour essayer de comprendre les mécanismes perceptifs à l'oeuvre dans cette illusion. Mais, pour lors, tout cela reste incertain, des phénomènes restent inexpliqués.
Le passage du nain au géant mérite encore réflexion. Non pas tant que le déplacement ne soit pas toujours horizontal mais en ce que d'autres paramètres ont peut être été oubliés. Je vais donc apporter mon rocher de Sisyphe à cette construction inclinée, en jouant l'explorateur de pistes tout aussi bancales et tout aussi incertaines.

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WEBOGRAPHIE

http://en.wikipedia.org/wiki/File:Eddie_Carmel_and_parents,_1970.jpg
Diane Arbus et la Chambre d'Ames.

VIDÉOS

http://www.dailymotion.com/video/x26rtv_pub-quaker-chambre-dames_creation
Publicité pour Quaker. Très fort effet de perspective accélérée quand un personnage s'éloigne, mais pas de déplacement latéral des personnages.
http://www.youtube.com/watch?v=hCV2Ba5wrcs
Construction de la chambre avec un mur du fond de biais (intéressant pour le point de vue qui, à la fin, est décentré vers la gauche, et les aller-retours des promeneurs.
http://www.youtube.com/watch?v=qb_X91HU-Pw&feature=related
Attraction du
Puzzling world en New-Zealand dans une chambre immense.
Les pieds montent très légèrement lors d'un déplacement vers la gauche (le grand personnage est à gauche).
En ce qui concerne les gradients, les carreaux sont visiblement plus larges à droite et les pieds deviennent plus grands que les carreaux lorsque la personne est à droite.
http://www.youtube.com/watch?v=EOeo8zMBfTA
Vidéo d'une télé anglaise, The Royal Institution, avec des explications quant à la construction, maquette,...
On perçoit une légère montée des pieds lors d'un déplacement vers la gauche.
Pour les gradients, les pieds occupent deux carreaux à droite et moins d'un à gauche.
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=hCV2Ba5wrcs
Philip ZImbardo explique le principe d'une chambre, qui, vue de biais du coté droit (petit coté), possède un plancher fortement incliné. Lors du déplacement vers la droite, tandis que la tête du narrateur monte beaucoup, ses pieds descendent un peu.
Quant aux gradients : les pieds occupent la moitié d'un carreau à gauche, et plus d'un à droite.
http://es.wikipedia.org/wiki/Archivo:Ames_room.ogv
Le sol du mur du fond monte légèrement vers la gauche et la caméra n'est pas de niveau. Cela pourrait expliquer que si les pieds montent très légèrement avec l'éloignement, la tête descend beaucoup.
En ce qui concerne les gradients, les carrés sont plus grands à gauche et la personne se colle contre le mur
 

BIBLIOGRAPHIE

COREN Stanley & GIRGUS Joan Stern,
Seeing is deceiving : The psychology of visual illusions, Lawrence Erlbaum Associates, Hillsdale, 1978.
Fig. 1.8, Multiples images rétiniennes d'un carré (page 21) .

 

 

 

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