Nature morte à la boite
Morandi, "Nature morte à la boite verte", 1954, huile sur toile, 35x41 cm, Vitali n°919.
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Juin 2006

Cette nature morte est exceptionnelle en ce qu'elle réunit en une même image des alignements dispersés et répétés sur de nombreuses autres toiles. Ainsi, à suivre des yeux les alignements horizontaux et verticaux qui se succèdent, vous êtes amenés à percevoir un rectangle quasi parfait, qui, par sa simple présence, semble annuler tous les volumes, tous les recouvrements et échelonnements dans l'espace que les boites morandiennes rassemblées sur cette table s'évertuaient, de par leurs ombres propres, leur volumétrie dessinée et leur disposition étagée, à mettre en place.
En portant à son paroxysme l'alignement des formes, cette toile devient la preuve indéniable et évidente de la volonté du peintre. Alors que d'autres toiles aux alignements épars, incertains et incomplets ne parvenaient pas à nous convaincre, en ce qu'elles pouvaient encore passer pour de simples coïncidences de points de vue sur le réel, cette image de pure géométrie nous rappelle qu'un être humain était là, le pinceau à la main, à chercher la disposition du réel qui nous ferait douter de la réalité.
Quant à connaître l'objectif recherché par le peintre à travers ces alignements de boîtes, cela est une autre histoire.
Arcangeli (Giorgio Morandi, Éditions Einaudi, Turin, 1964) parle des natures mortes de 1953-1954, dites en plan carré, comme d'une sorte de fortin rectangulaire de choses. Le problème est bien là, qui est de savoir ce qui relève du plastique et de l'expressif. Ainsi, du coté du plastique, nous pourrions croire que Morandi a retenu et répété à travers ses boîtes, ses vases et ses verres, la leçon cézanienne : à savoir le conflit entre la volumétrie acceptée des masses et l'aplatissement voulu de l'espace. Ou bien encore, qu'il a anticipé, en une prémonition stupéfiante, par la répétition de la forme du cadre à l'intérieur de l'image, le shaped canvas qui n'allait pas tarder à envahir, durant les années 60, les lieux d'exposition les plus contemporains, les articles des critiques ultramodernes et les collections de personnalités aisées et bien avisées. Mais, du coté de l'expression, nous en restons à la guerre froide des funèbres années 50. Nul ne pourra nier qu'en cette toile, où la conjonction des formes atteint son acmé, nous assistons à un repli sur soi, à un regroupement apeuré de boîtes qui n'arrivent plus à cacher leur humanité. Vous avez là sous les yeux une forteresse imprenable et fragile, qui, sous ses faux airs de porcelaine , faïence et métal, n'arrive pas à masquer la détresse d'un troupeau humain.

ADDENDUM
J'avais réalisé, autour de 1993, un dessin intitulé
Carré de poutres (voir l'analyse). En pleine recherche pratique et plastique sur l'alignement équivoque, je pensais en être arrivé à la tension ultime entre la profondeur suggérée et la platitude acceptée. Les quatre alignements, cernant ces poutres, arrivent en effet à contredire tant leur volumétrie que leur orientation dans la profondeur de l'espace représenté.
 

Figure ambigue : "Carré de poutres", alignement équivoque.

Je n'avais pas imaginé un seul instant qu'un peintre italien de natures mortes avait pu, en pleine guerre froide, réaliser un tel alignement, alignement qui chez lui devient subtil, chaud, coloré et expressif.


Peinture visible à :
Collection Haags, Gemeentemuseum, La Haye.
Image reproduite dans :
Morandi dans l'écart du réel, Catalogue d'exposition, Musée d'Art moderne de la Ville de Paris, 5 octobre 2001 -6 janvier 2002, Éditions Paris-Musées, 2001, p. 72.

 

 

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