Maître du Registrum Gregorii, L'empereur
Maitre du Registrum Gregorii, "L'empereur Otton reçoit l'hommage des Nations", miniature, Xème.

 


PLANSITE-------SITEMAP---

 

L'empereur Otton III reçoit l'hommage des quatre Nations de son empire. En cette miniature du musée Condé de Chantilly, le Maître du Registrum Gregorii essaye, fait exceptionnel pour l'époque, de mettre en place une vue perspective. Ici la pédagogie de la perspective classique ne peut donc avoir sa place. De plus l’erreur n’ apparaît pas tout de suite. Il nous faut parcourir l’image, un certain temps d’un oeil attentif, avant de pouvoir y trouver une fausse superposition. La plupart, minimes et dispersées car excentrées, sont en rapport avec le dais architectural censé abriter l’empereur que le miniaturiste s’est évertué, de diverses manières, à repousser au dernier plan. Ainsi le trône sur lequel est assis le souverain possède un dossier et une assise qui à maints endroits recouvrent les colonnes qui devraient les devancer. De même, trois des quatre Nations, dont l’emplacement des pieds indique sans conteste leur position de retrait et les situe nettement en arrière sur les cotés du dais, tiennent un globe qui recouvre pourtant ses colonnes antérieures. Et, même si la posture d’offrande place les globes en avant des corps, nous sentons bien que l’écart au sol est trop important pour qu’il puisse être rattrapé par ce geste.

Par contre, d’autres éléments ne font pas partie de cet ensemble. Le socle supportant les pieds de l’empereur flotte dans l’espace. Une superposition outrée, à un niveau trop élevé de la page, lui fait recouvrir la face avant du trône et ne permet plus à aucun de ses pieds de toucher terre. Nous retrouvons là les fausses superpositions qui, telle “la vague”, mettent en conflit des plans aux orientations différentes. Le plan horizontal mais surélevé du socle se superpose au-delà du maximum permis, la base de ses pieds arrières, au plan vertical du trône de l’empereur. Enfin le sceptre, qui nous offre pourtant tout au long de sa hampe une succession de belles et justes superpositions, n’atteint pas le sol. Le bras du souverain qui semblait, et semble toujours par son geste, s’y appuyer ne peut que le porter. Là encore, le plan vertical de la hampe se trouve en désaccord avec le plan horizontal du sol, mais cette fois, c’est la hampe qui ne recouvrant pas suffisamment le sol vers le bas ne semble pas l’atteindre. Et bien que ce type de faux recouvrement ne nous intéresse pas en tant que tel, deux raisons font que l’on puisse s’y attarder. La première permet de vérifier une hypothèse mal assurée et envisagée plus haut: c’est le geste de l’empereur qui nous invite à voir une fausse superposition là où une autre position aurait légitimé un sceptre ne touchant pas le sol. C’est en ce cas précis, la preuve que l’interprétation sémantique ne se contente pas d’habiller une situation plastique mais qu’elle peut la confirmer ou l’infirmer. La deuxième raison est que ces deux détails là, par leur incohérence apparente et leur manque de logique, se différencient des précédents.

Nous sommes capables de ressentir la différence qui sépare la maladresse involontaire de ce socle, suspendu dans les airs, parfaitement inutile et déplacé, de l’intention évidente qui cherche à reculer ce dais, symbole nécessaire et obligé de l’empire, afin de ne pas masquer la magnificence de l’empereur et l’hommage que lui rendent les nations suzeraines(1). La distinction n’est pas facile à faire entre d’une part, ce que nous définirions comme étant la véritable erreur, l’involontaire, qui s’incarne dans ce socle volant et d’autre part, l’erreur volontaire qui permet de repousser le dais pour faciliter une lecture de l’image. Chez Hogarth tout était plus simple et plus complexe. D’un coté, nous pouvions parler d’erreur car nous avions dans un système clos, la perspective fuyante classique, une quantité phénoménale d’éléments qui en transgressaient les règles. De l’autre, nous ne pouvions parler de faute car nous étions en présence d’une volonté flagrante, puisque multipliée dans l’image et soulignée par le texte, de commettre des fautes. En disant cela nous établissons les deux critères qui vont nous servir à mesurer les erreurs. L’un nécessite pour qu’il y ait faute un système ou un code à transgresser, l’autre requiert l’absence d’une volonté marquée pour que cette faute soit véritable, c’est à dire non intentionnelle. Pourtant la miniature répond mal à ces deux critères. D’une part nous ne pouvons pas parler à son propos de système de représentation de l’espace vraiment clos et défini. Si la perspective parallèle semble y dominer, elle n’en comporte pas moins nombre de lacunes. Ainsi, le coté droit du trône est absent alors que celui du dais, logiquement présent, nous laisse apercevoir une colonne et un chapiteau que n’aurait pas reniés une certaine gravure anglaise que nous connaissons bien. De même, la vue cavalière qui semble prédominer dans l’image, que ce soit dans l’étagement des figures ou la vision que nous avons du toit du dais, ne nous permet pas pour autant d’apercevoir l’assise du trône. Bien qu’il ne nous soit pas permis de dire qu’il y a erreur grave, puisque en l’absence d’un système unique les mélanges de point de vue et diverses représentations de la profondeur peuvent cohabiter tout en créant un espace crédible et valide, nous pouvons parler d’erreur quand dans un des éléments du système il y a une contradiction qui perturbe la crédibilité et la validité de l’ensemble ou d’un sous-ensemble. Ainsi, non dans leur rapport à la perspective parallèle mais dans celui qu’ils entretiennent avec l’organisation des plans, le socle et le sceptre perturbent la cohésion d’un sous-système. Voyons maintenant si le critère de l’intention permet de distinguer deux pratiques différentes. Dans le premier groupe d’erreurs nous avions effectivement le sentiment d’une volonté marquée. Le bénéfice final qui s’en dégage, la mise en valeur de la personne et du pouvoir de l’empereur, constitue un argument suffisant sans être une preuve définitive. C’est donc plus un résultat, celui qui est perçu par le spectateur, qu’une volonté toujours hypothétique qui fera la différence. En effet le deuxième groupe d’erreurs cache peut-être une intention qui, ne nous étant plus perceptible, le range pour l’instant dans la catégorie des erreurs véritables. Voilà ce que nous pouvions dire de l’erreur dans ces deux images.

Ainsi, la première fonction de la fausse superposition, avant d’être une erreur maîtrisée servant un but défini: le catalogue de tout ce qu’il ne faut pas faire(la gravure), est bien d’être déjà et avant tout une simple erreur(le socle dans la miniature). De plus l’erreur peut être qualifiée de fonctionnelle quand elle sert un but précis. Mais ce n’est pas tant l’erreur elle-même qui est assimilable à une fonction que le rôle qu’on lui fait jouer et qui lui confère un sens et une utilité. Ainsi, la fonction des erreurs volontaires de la miniature serait celle d’une lisibilité accrue, au même titre que celle de la gravure était pédagogique(2). Mais qu’en est-il de la véritable erreur, la faute, qui ne servant aucun but serait dénuée de fonction? Nous pouvons au moins affirmer qu’elle dénote au niveau plastique, ce quelque chose qu’est soit l’absence de maîtrise d’un artiste en son temps, soit le manque d’une époque quant à l’univers possible des représentations ou pire encore le regard borné d’un spectateur qui n’arrive pas à comprendre le but simple poursuivi par un artiste d’un autre temps et d’un autre espace et lui attribue comme cause de sa prétendue faute, sa propre ignorance. C’est ainsi que l’on a tôt fait de trouver des influences “barbares” et d’annoncer les prémisses du “gothique” en cette miniature. Ce qu’il est possible d’affirmer d’un point de vue historique et stylistique, et que nous faisons, mais peut-être à tort, lorsque nous ne voyons pas l’utilité de ce socle, pourtant si beau, qui s’élève dans les airs sous les pieds de l’ empereur. Bien qu’il ne soit pas toujours possible d’en déterminer l’origine, la fonction commune et répétée de l’erreur, émanant de ce trio infernal constitué de l’artiste du spectateur et de l’oeuvre qui les relie, serait de mettre en évidence le constat d’un manque, d’une perte, d’une absence. Fonction négative si il en est, qui n’en poursuit pas moins un but qui serait la recherche volontaire ou involontaire d’un idéal par l’absurde. Mais nous devrions enfin nous demander si il ne serait pas possible de sortir de cette dualité erreur volontaire / erreur involontaire qui nous confine dans un système qui parfois tourne en rond.

NOTA BENE
Sans qu'une quelconque influence réciproque puisse être mise en évidence (en raison de l'écart temporel), nous retrouvons la même problématique du dais avec les miniatures indiennes. Ne manquez donc pas d'aller voir certains dais moghols, eux-aussi repoussés à l'arrière-plan de l'image :
Dais moghol

NOTES DE BAS DE PAGE
(1) Ce point de vue de dessinateur se retrouve dans une double influence stylistique qui, dans cette miniature, voit se combattre et se compléter l’art de l’antiquité romaine au décorum maîtrisé (les chapiteaux, la pose et les attitudes) mais aux principes oubliés ou mal assimilés (la perspective), et l’art byzantin qui privilégie les symboles (le dais, le sceptre et les globes) intégrés à une représentation archaïque (la perspective hiérarchique, l’étagement).

(2) Malgré tout, l’explication invoquée par William Hogarth dans le commentaire de l’image n’était guère convaincante et il ne semble pas que cela fût la seule et véritable intention du graveur. Tout l’oeuvre peint de l’auteur, et en particulier les séries concernant le mariage ou les élections, tendent à affirmer la fonction humoristique de cette gravure. De même l’attitude du spectateur qui ne peut réprimer un fou rire à la vue de certaines situations vient conforter cette deuxième hypothèse. Car, là encore, c’est tout autant la volonté de l’auteur que le bénéfice que peut en retirer le spectateur qui déterminent et attribuent un but à l’image. C’est donc une double fonction, pédagogique et humoristique, que nous pouvons déceler dans la gravure.

 

RÉFÉRENCES
MAITRE DU REGISTRUM GREGORII,
L’empereur Otton recevant l’hommage des Nations, miniature, Xème siècle, musée Condé Chantilly.

 

 

 

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