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"Rubin n'a pas découvert le Vase de Rubin"

 


PLANSITE
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Janvier 2007

AVERTISSEMENT

N'ayant lu ni l'original danois ni la traduction anglaise de son livre, je ne peux certifier que Edgar Rubin n'ait pas évoqué les images présentées ici comme étant des sources possibles de son croquis. De même que l'appellation Vase de Rubin n'émane pas du psychologue lui-même, mais de personnes qui ont cru bon, pour la simplicité des débats sur la figure et le fond, de nommer cette figure ainsi.

 

Double-image : "Vase de Rubin".

 

Edgar Rubin, psychologue danois, n'a pas découvert le Vase dit de Rubin, cette figure publiée pour la première fois en 1915 dans Visual perception of figures: studies in psychological analysis. Cette image n'a pas été découverte mais, au mieux, inventée par Rubin ! Inventée au sens de L'invention de la vraie croix cette fresque de la chapelle du choeur de l'église saint François sise à Arezzo, qui, peinte par Piero della Francesca, relate la légende chrétienne de la reine de Saba retrouvant l'endroit où la croix de la crucifixion avait été enterrée. En cette acception particulière du terme, l' image opposant un vase à deux profils, n'est donc qu'une redécouverte : la simple réutilisation, pour les besoins de la science, d'un type iconographique connu depuis longtemps.

Vous trouverez ci-dessous divers exemples de Vases de Rubin avant la lettre. Ces gravures permettaient aux royalistes, qui pensaient ainsi échapper à l'inquisition révolutionnaire, de conserver par devers eux une image cachée des souverains. Il n'en reste pas moins qu'un des imprimeurs fut conduit à la guillotine. Mais, alors qu'un psychologue de l'époque, quand bien même aurait-il été pré-gestaltiste, se serait empressé de classer ces images avec les figures par camouflage (voir le Dalmatien), la version de Rubin évoque de nos jours la problématique de la figure et du fond,.
Observons maintenant ces gravures qui, en dépit d'une commune thématique de l'urne funéraire, se distinguent par les personnages qui y sont dissimulés. La première est la plus connue, puisqu'elle a depuis longtemps été publiée dans une livre de
Gombrich (voir la bibliographie en bas de page). Mais l'auteur en parle seulement comme d'une gravure royaliste du temps de la révolution française, datée de 1793. D'autres sont allés plus loin en nommant et dénombrant les visages. Toutes ces images "séditieuses" placent bien évidemment le roi et la reine de part et d'autre du pied de l'urne, partie de l'image qui constitue donc une vision prémonitoire du Vase de Rubin. C'est en laissant votre regard s'égarer le long des troncs et jusque dans les frondaisons, que vous serez amenés à découvrir d'autres profils. Ainsi, le Dauphin apparaît souvent à gauche de l'image : ici coincé entre le cadre et le tronc de l'arbuste qui dessine son profil. À droite, en pendant, nous devrions avoir Madame Royale, soeur du dauphin. Malheureusement, ce visage aux traits revêches et au chignon d'institutrice pourrait bien être celui de Madame Élisabeth, soeur du roi. Mais, en ce cas, où peut bien se cacher la future duchesse d'Angoulême, pour lors soeur du dauphin ? Remontant encore dans la gravure, au-dessus du chignon évoqué, vous trouverez un nouveau profil coincé, lui-aussi, entre le cadre et un arbuste. Cette similitude du positionnement pourrait bien signifier que nous avons trouvé là Madame Royale.

 

Image séditieuse : urne funéraire avec les profils cachés de LouisXVI et Marie-Antoinette.

 

En ce qui concerne, la deuxième gravure (pour laquelle, je ne possède aucune référence), le roi et la reine semblent avoir échangé leur place. Mais là n'est pas la question. Car nous croyons voir deux profils féminins situés de part et d'autre du tronc : Madame Royale, soeur du dauphin, et Madame Élisabeth, soeur du roi. Mais, en ce cas, où pourrait bien se cacher le Dauphin ? Le Dauphin est en fait le supposé profil féminin inférieur, coincé entre le tronc et le serpent dont la présence paraît, pour lors, des plus incongrues. L'apparente coiffure féminine n'est qu'une maladresse du dessin qui disparaît à l'agrandissement. Un texte de Balzac (voir la bibliographie en bas de page) permet de corroborer cette interprétation, tout en indiquant, en ce type de gravure, l'emplacement du profil du Dauphin
"...dans les contours blancs d'une urne funéraire et du tronc du saule pleureur qui la surmontait, les profils du Roi, de la Reine, de Madame Royale, et enfin de louis XVII, qui devait être mordu par le serpent de la Révolution."
Ici, la famille royale est donc réduite à sa plus simple expression : la famille nucléaire. Mais, le thème du saule pleureur et de l'urne funéraire ayant connu un grand succès, d'innombrables variantes ont été produites, qui ne s'arrêtent pas à la famille royale.`

 

Image séditieuse : urne funéraire avec profils cachés de LouisXVI et Marie-Antoinette, 2

 

Avec cette nouvelle gravure beaucoup plus tardive, un nouveau personnage va apparaître. Le roi et la reine sont à leur place habituelle, accompagnés de part et d'autre du tronc toujours serpentin du Dauphin et de Madame Élisabeth (dont on ne comprend pourquoi son profil semble sortir de la tête de la reine). Enfin, coincé entre le sommet ombré de l'urne et les frondaisons de l'arbre apparaît un dernier profil qui semble contempler les souverains. Tant l'éloignement du personnage que la petitesse de la silhouette laissent à penser que nous avons là une représentation du duc d'Enghien. Car ce dernier, enlevé du comté de Bade par les dragons de Bonaparte, avait été jugé de manière expéditive et fusillé de nuit en 1804.

 

Image séditieuse : urne funéraire avec profils cachés de LouisXVI et Marie-Antoinette, 3

 

Mais d'autres personnages n'ayant aucun lien de sang direct avec la famille royale peuvent encore apparaître. Ainsi, en cette gravure animée en couleurs, présentée lors d'une exposition de la bibliothèque municipale de Versailles (voir la bibliographie), Madame Lamballe vient ici prendre la place de Madame Royale. Son profil devrait, en dépit de son amitié avec la reine, être le plus éloigné, surplombant et faisant face à celui de Madame Élisabeth, à droite, du coté féminin. Pourtant, au sol cette fois, un serpent regarde ces deux femmes, au lieu de darder sa langue vers le Dauphin. Il est vrai que, face au tribunal révolutionnaire, Madame Lamballe avait refusé de renier sa fidélité à la reine, refus qui l'avait conduite à l'échafaud.

 

Image séditieuse : urne funéraire avec profils cachés de Louis XVI et Marie-Antoinette, 4

 

Il est à noter que les gravures et estampes ne sont pas les seuls objets concernés par les profils cachés. Certaines de ces images ont été utilisées comme motif d'assiette (voir le lien vers le musée de Quimper en bas de page), d'autres comme décor de tabatière, image ci-dessous, dont le commentaire est à lire sur :
http://tabatières-snuffboxes.chez-alice.fr/differentes_formes.htm

 

Image séditieuse : urne funéraire avec profils cachés de Louis XVI et Marie-Antoinette, 5

 

Après en avoir terminé avec les rois et les reines, n'oublions pas la République. C'est ainsi que Rubin aurait encore pu s'inspirer de publicités diffusées à son époque. La lithographie d'Épinal présentée ci-dessous (voir la bibliographie en bas de page), délaisse-t-elle l'urne funéraire pour se consacrer au verre des buveurs d'alcool. Mais, alors que l'urne permet d'unir les cendres des morts décapités, l'alcool se contente de faire tourner les têtes des vivants ayant encore la leur.

 

"Où sont les buveurs ?", lithographie d'Epinal, début XXème.

 

Si vous avez aimé cet article, ne manquez pas la suite qui montre que Edgar Rubin n'est pas, loin s'en faut, le seul psychologue de la perception à s'être contenté d'inventer (au sens où nous l'entendons plus haut) une image qu'il n'a pas découverte : Les autres n'ont rien découvert non plus.

 

BONUS
Il y a peu encore, vous auriez pu, vous promenant rue de Turenne à Paris, découvrir une version des années trente ou cinquante du
Vase de Rubin. Mais à l'époque, le vase servait à boire un nectar, qui, depuis, a été chassé du quartier par de Francs-bourgeois préférant le textile et la fringue à la vigne et au pinard.

 

Vase de Rubin, rue de Turenne

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Catalogue d'exposition
Cargaisons de Chine, porcelaines de la compagnie des Indes, édité par le musée de la Compagnie des Indes, Lorient (illustration page 181).
Catalogue d'exposition
Marie-Antoinette, galeries nationales du Grand Palais, exposition du 15 mars au 30 juin 2008, Éditons de la R.M.N., 2008 (texte et images pages 376-377).
Catalogue d'exposition
Marie-Antoinette, femme réelle, femme mythique, Bibliothèque municipale de Versailles, du 7 décembre 2006 au 24 février 2007, Éditions Magellan & Cie, ISBN 2-35074-064-1 (estampe page 162).
BALZAC Honoré de
Scènes de la vie de province, publié par Charpentier, 1839, page 20.
GOMBRICH Ernst.
Méditations sur un cheval de bois et autres essais sur la théorie de l'art, Éditions W, Mâcon, 1986 (gravure citée page 273).
HUERTAS Monique de
Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Librairie Académique Perrin, 1985, ISBN 2-262-00365-3 (gravure page 224).
ROTHENSTEIN Julian, GOODING Mel
L'oeil s'amuse, Éditions Autrement, Paris, 2000 (page 99 : Buveurs, lithographie d'Épinal, fin XIXème début XXème).
RUBIN Edgar
Visual perception of figures: studies in psychological analysis, éditions Gyldendal, Copenhague, 1915.

WEBOGRAPHIE AVANT RUBIN

https://collection-binetruy.com/catalogue-n-SEDITIEUX-cid-341.html
Incroyable page de la fabuleuse collection de
François Binétruy sur les images et objets séditieux.
https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/joconde/M0224000159
Assiette faisant partie de la collection du
musée de La Compagnie des Indes, sis à Lorient, reprenant pour décor la première gravure présentée ici (vous aurez à cliquer sur la vignette pour agrandir l'image).
http://tabatieres-snuffboxes.chez-alice.fr/differentes_formes.htm
Tabatière reprenant le motif d'une gravure aux profils cachés.

WEBOGRAPHIE APRÈS RUBIN

http://www.flickr.com/photos/vonmonkey/3309302340/
Variante avec un trognon de pomme !

À VOIR

MUSÉE CARNAVALET, rue de Sévigné, Paris

1)
"Ils sont gravés dans ma pensée", gravure en couleurs d'une pensée avec profils cachés.
2) Gravures d'une urne et d'un saule aux profils cachés (différentes de celles présentées ici).
3) Éventail aux monuments antiques.
MUSÉE DE LA COMPAGNIE DES INDES, Lorient
1) Assiette aux profils cachés, dont le motif reprend la première gravure présentée ici.

 

 

 

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