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"De l'orientation de l'espace : De l'obliquité" |
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Octobre 2010 En cette page, nous aurons à éviter un écueil : ne pas confondre obliquité et obliquité. Grâce à Ma femme et ma belle-mère de Hill (voir page 2), nous avons déjà traité de l'obliquité de la représentations des plans. En parcourant cette image incessamment, le regard inscrit successivement les deux femmes à l'intérieur de deux vues de trois-quart, l'une avant, l'autre arrière, et, en cela, obliques et antagoniques. Il n'en reste pas moins que le balayage visuel nécessaire à ces deux perceptions se déroule dans la latéralité de l'espace du support frontal. Il ne faudrait pas pour autant en oublier que le support n'a pas vocation à être obligatoirement et indéfiniment situé dans un plan frontal, face au spectateur. Nous avons ainsi à connaître l'orientation matérielle du support. Et, il apparaîtra en cette page que toutes les anamorphoses travaillent l'obliquité du support que ce dernier soit une feuille de papier, une toile, un mur ou encore un miroir.
DE L'ANAMORPHOSE LATÉRALE : DÉPLACEZ-LÀ ! Toute anamorphose latérale demande d'être perçue à partir d'un angle de vision idéal, l'angle sous lequel la déformation apparente reprendra sa forme initiale, réaliste et non dilatée. Pour ce faire, il suffit de tenir le feuillet de biais afin de trouver la vue rasante, qui, à partir du petit coté du trapèze, permet de revenir au modèle quadrillé. La manipulation du support matériel paraît en cela des plus simples. Mais, le connaisseur sait très bien que cette image aurait très bien pu être reproduite sur la toile du tableau ou le mur d'un bâtiment. Nous tenons donc là une deuxième méthode propre à percevoir l'ambiguïté spatiale de certaines anamorphoses : la déambulation du corps plutôt que la manipulation du support. Pourtant, dans un cas comme dans l'autre, nous avons à passer d'une vision frontale à une vue rasante, d'un plan qui nous fait face à un plan s'éloignant dans l'obliquité de l'espace. Ainsi, à la différence des ambigrammes abordés précédemment, ambigrammes qui se suffisaient d'un retournement frontal, l'orientation matérielle du support d'une anamorphose latérale requiert un changement de point de vue : une vision ou un placement oblique.
Si nous revenons maintenant aux principes plastiques de l'ambiguïté spatiale, cette première anamorphose obéit encore au principe de la superposition équivoque. En effet, bien que porteuses des mêmes formes, deux images différentes apparaissent successivement à partir d'un même tracé matériel. Un article précédent ayant déjà affirmé que l'anamorphose latérale relevait de la superposition équivoque (L'anamorphose comme superposition équivoque), nous passerons rapidement cette première image, afin d'aborder l'anamorphose à cannelures, qui, en dépit d'une dénomination commune, risque d'apparaître comme relevant d'un autre registre plastique de l'équivoque spatiale.
DE L'ANAMORPHOSE À CANNELURES : DÉPLACEZ-VOUS ! Nous allons maintenant nous intéresser à un type peu connu d'anamorphose : l'anamorphose dite à cannelures. Afin d'en parler nous allons utiliser deux images copiées sans autorisation dans la fabuleuse, superbe et fantastique collection de François Binétruy (https://collection-binetruy.com/catalogue-n-TABULA_SCALATA-cid-351.html).
À se poser maintenant la question de la catégorie plastique de l'ambiguïté spatiale, la réponse sera simple : nous sommes devant un contact équivoque. Le point de vue idéal suppose que le spectateur trouve l'angle exact sous lequel l'ensemble des bandes verticales de papier, bien qu'échelonnées dans la succession des dents de scie du support, paraissent contiguës. Nous avons là un contact équivoque de contour où les cotés de chaque bande semblent entrer en contact tant avec le bord de la bande suivante que celui de la précédente.
Ce type d'anamorphose était en fait connu depuis Niceron. Dans son livre (voir biblio en bas de page), celui-ci en présentait même une variante à miroir qui, bien que fixée au mur, en arrive à éviter la déambulation du spectateur. La figure LV montre dans un miroir le reflet des cannelures supérieures du dispositif, offrant ainsi à la vue, le visage de quelqu'un ressemblant à François I (LIV). Mais le dispositif étant accroché en hauteur, le spectateur pouvait, sans avoir à se déplacer, reconnaître un second visage (LVI) formé par les cannelures inférieures masquées dans l'ombre de la gravure.
DE L'ANAMORPHOSE PYRAMIDALE OU CONIQUE EN PAPIER La situation se complique avec les anamorphoses en volume, qui peuvent prendre la forme d'une pyramide ou bien celle d'un cône (ci-dessous, gravure tirée du livre de Jean-François Niceron). Avec ce type de construction, il ne faudrait pas confondre la fabrication préalable du volume en papier avec la manipulation demandée au spectateur. Car, comme pour l'anamorphose à cannelures, la manipulation n'intervient qu'une fois l'objet construit. Vous devez donc vous imaginer devant une table sur laquelle serait posée une de ces anamorphoses. Vous seriez face à un dessin incompréhensible recouvrant l'ensemble du volume. Pour découvrir l'image, deux solutions s'offrent alors à vous : se placer à la verticale de l'objet ou le prendre en main afin de le regarder par la pointe. C'est alors que vous pourrez percevoir l'image reproduite sur le carré apparent de la pyramide vue sous cet angle unique ou le disque apparent du cône regardé à partir de ce point de vue particulier. Nous retrouvons donc les deux méthodes déjà évoquées pour révéler l'image : la manipulation du support (sa prise en main) ou la déambulation autour de lui (la recherche du bon angle de vision) .
Mais en ce qui concerne la classification plastique, la tâche s'avère des plus ardues pour connaître le principe qui, de la superposition du contact ou de l'alignement peut être appliqué à ce type d'anamorphose. Nous savons cependant qu'un seul support, le papier, et qu'une seule image continue sont ici employés. De ce fait, seule la superposition équivoque peut régir ces productions. Où se niche alors l'ambiguïté de superposition ? Tout simplement dans la situation qui veut que de tous les points de vue, sauf un, nous sommes confrontés à une image incohérente. Puis, à trouver l'angle de vision idéal, l'image réaliste (ici le visage d'un christ connu et conique) vient se superposer aux différents et incompréhensibles enchevêtrements de lignes que proposent tous les autres regards portés sur ces pyramides et cônes de papier.
DES ANAMORPHOSES CATOPTRIQUES Ces anamorphoses particulières nécessitent un miroir pour revenir à la forme initiale de l'image. Qui plus est, ce miroir, à la différence du miroir de l'anamorphose à cannelures présentée par Jean-François Niceron, se doit d'être en volume. Les miroirs les plus courants sont le cylindre, la pyramide et le cône qui, n'étant plus de papier, se contentent de réfléchir une image plane. DE L'ANAMORPHOSE CATOPTRIQUE À CYLINDRE En son livre, Jean-François Niceron déforme grâce à une anamorphose cylindrique le portrait de Saint-François de Paule réalisé par Simon Vouet. Cette image ne présente que le mode de construction graphique : le modèle quadrillé et sa déformation en arc de cercle. Afin de retrouver le portrait initial (qui ne devrait pas apparaître, comme ici, en tant que tel sur le support final), il faudrait placer un miroir cylindrique à l'emplacement du cercle médian, puis trouver l'angle sous lequel la déformation placée tête-bêche reprendrait sa forme initiale par l'intermédiaire de son reflet dans le cylindre.
En ce qui concerne la classification plastique, la tâche s'avère tout aussi délicate pour les anamorphoses à miroir que pour les anamorphoses précédentes, constituées de volumes en papier. Il se trouve pourtant que nous avons deux éléments distincts : l'image plane déformée et le miroir. L'un sans l'autre, le retour à l'image initiale ne pourrait s'opérer. En cela, la présence de deux éléments nous laisse le choix entre le contact équivoque (déjà abordé avec l'anamorphose à cannelures) et l'alignement. Bien que le contact de la base du cylindre avec le cercle dessiné sur le papier soit évident, nous ne nous laisserons pas abuser par ce détail : le cylindre pourrait être suspendu par un fil au-dessus du papier sans que l'image réfléchie en souffre beaucoup. Le dispositif plastique nous demande seulement de trouver l'angle exact et unique sous lequel l'image dessinée viendra inscrire une forme reconnaissable à la surface du miroir. À l'évidence ces deux images sont éloignées et, toujours à l'évidence, il n'y a jamais de contact entre elles.Seul l'alignement peut expliquer cette situation. Le dispositif en place veut que notre oeil en arrive à aligner deux éléments distincts sans que ces derniers n'entrent en contact ou ne se superposent.
L'ANAMORPHOSE CATOPTRIQUE À CÔNE Tout comme avec la précédente gravure de Niceron, le modèle ne devrait pas apparaître, le feuillet devrait être retourné à 180° et un miroir conique placé dans le cercle central. Tout comme avec la précédente gravure de Niceron, nous devons déambuler afin de trouver le point de vue idéal : placer notre oeil à la verticale de la pointe du cône afin de voir un disque miroitant où se reflète l'image circulaire et reconstituée. Tout comme avec la précédente gravure de Niceron, nous portons ainsi un regard oblique sur les pentes du cône. Tout comme avec la précédente gravure de Niceron, le dispositif plastique nous demande d'aligner l'image annulaire avec l'image circulaire, sans que celles-ci ne soient en contact ou ne se superposent.
L'ANAMORPHOSE CATOPTRIQUE À PYRAMIDE Cette planche extraite de La Perspective Pratique du Père Dubreuil (1649) présente une anamorphose à pyramide en miroir et non de papier. Cette pyramide réfléchissante devrait être placée sur le carré central. Vue par la pointe, les quatre triangles hachurés, éparpillés à la surface du feuillet dans les quatre directions de l'espace plan, se réunissent pour former un carré où l'on retrouve l'image initiale ayant servi de modèle. Mais à comprendre cet enchaînement de plans et de volumes, il ne faudrait pas oublier que nous sommes partis d'une image plane (les cinq visages tourneboulés) pour aboutir, par l'intermédiaire d'un volume de verre, à une seconde image plane (un portrait unique et réaliste) perçue par l'oeil du spectateur idéalement placé.
Il est pourtant vrai que la base de chaque triangle gravé entre en contact avec la base de chaque triangle de verre. Mais là encore, un élément supplémentaire comme un support plan vitré pourrait très bien éloigner la gravure de la pyramide. Il est pourtant vrai que les quatre cotés de la pyramide mettent en contact les quatre triangles éparpillés à la surface de la feuille. Et là, force est de reconnaître une contiguïté nécessaire. Mais, à la manière de beaucoup de figures classiques sans miroir, les spécialistes de la spécialité, ceux ayant parcouru d'un oeil distrait une centaine de pages du site, vous diront que l'on rencontre souvent des alignements mâtinés de contact et des contiguïtés associées à des alignements. Ainsi, nous en terminerons avec ces impossibles dispositifs, en supposant que l'alignement ambigu domine dans les anamorphoses catoptriques à cylindre et à cône, tandis qu'il se pourrait que le contact équivoque devienne prédominant avec les anamorphoses catoptriques à pyramide.
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BIBLIOGRAPHIE WEBOGRAPHIE ANAMORPHOSES CATOPTRIQUES ANAMORPHOSES À CANNELURES
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