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"L'horizontale ment, page 3" |
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Avril 2015 ET SI NOUS PARLIONS MAINTENANT DE LA LIGNE DE SOL ! DE L'ORDINAIRE DE LA LIGNE DE SOL Après l'espace indéterminé des peintures pariétales, les sociétés archaïques ont bien souvent utilisé la ligne de sol pour obtenir une représentation suffisante et acceptable de l'espace. Ainsi, en cette Scêne de prothèsis, peinture noire sur plaque d'argile, l'ensemble des personnages, pleureuses et famille, touche la ligne de sol, si ce n'est que le défunt le fait par l'intermédiaire de son lit de mort. En l'absence de plan du sol, à savoir de surface s'éloignant vers le lointain, l'espace peut paraître inexistant. Mais l'emploi du recouvrement permet déjà de déterminer l'ordre des plans. Ainsi, en dépit de la position commune des pieds sur une même horizontale, deux pleureuses sont situées en arrière du lit, tandis que deux autres personnages se trouvent en son avant. Quant à connaitre la situation du petit personnage situé à droite, nous devons supposer qu'un enfant est assis là, pleurant un parent. Car, à la différence du Codex Manesse, vu précédemment, il ne semble pas que la perspective hiérarchique soit ici employée. En cela, nous pouvons supposer que si l'espace représenté avait été plus profond, la diminution de taille aurait été une diminution proportionnelle à l'éloignement des choses dans l'espace diminution que notre système visuel s'acharne à utiliser en dépit de la réalité du monde).
Un exemple beaucoup plus récent d'utilisation de la ligne de sol montre clairement cette intrication , quasi obligée, de la ligne de sol avec le recouvrement et la diminution de taille. En cette vignette tirée du Sceptre d’Ottokar (page 13), L'ensemble des personnages, hormis les Dupond(t) et Milou, sont en contact direct ou indirect avec la ligne de sol. Mais afin d'éviter un aplatissement généralisé de l'espace , Hergé utilise recouvrements et diminutions. Tandis que le Dupond situé le plus en avant masque une partie de l'autre, les personnages situés au niveau de l'immeuble, passants innocents, sont beaucoup plus petits que le quatuor principal.
Nous avons maintenant à voir comment certains ont pu, par des moyens divers, remettre en question ce bel ordonnancement de l'espace basé sur l'horizontale de la ligne de sol.
DE L'EXTRAORDINAIRE DE LA LIGNE DE SOL Nous commencerons par les horizontales d'extérieur qui, étant plutôt rares puisqu'en ce lieu nous pouvons percevoir l'horizon, seront exprimées par des vues plongeantes sur le sol. Puis, nous aborderons les horizontales d'intérieur qui nous feront douter de la stabilité des bâtiments. HORIZONTALES D'EXTERIEUR Chacun aura compris qu'une simple rotation à 90° de la photographie est à l'origine de cette situation insensée. Et pourtant , sans la présence des bandes blanches, la position de l'enfant semblerait plus ridicule que drôle. L'humour d'Eric Minemma repose sur le juste et précis positionnement de l'enfant et des bandes, en même temps que de la posture bien étudiée et imitée d'un individu gravissant un plan vertical.
Beaucoup d'autres images circulant sur le web emploient la rotation pour nous faire douter de l'horizontalité du monde. Mais, à la différence des images d'immeubles vues précédemment, où apparaissaient de bien étranges lignes d'horizon, la ligne de sol paraît plus incertaine et plus malléable. En cette nouvelle photographie, tout repose sur la présence et les gestes des personnages. Car, en leur absence, ce trottoir et cette chaussée pourraient très bien constituer la base et le mur d'un bâtiment.
Mais que se passe-t-il quand le plan du sol et celui d'un mur apparaissent simultanément ? Cette fois, l'angle formé par le supposé sol et le supposé mur est plus ou moins assimilable à une ligne d'horizon, ligne que nous pourrions abusivement définir comme la rencontre du plan horizontal du sol avec le plan vertical du ciel. Cette nouvelle photo peut nous donner la solution. Car, en l'absence du chien, la scène paraitrait normale. Ces personnages seraient tous adossés à un mur de pavés, leurs pieds reposant sur un sol de briques. Seule la position du chien peut nous fait douter de cette interprétation des plus plausibles. Grâce à lui, nous devinons la rotation de l'image qui permet à des corps allongés au sol de paraître dressés à la verticale.
Jusqu'ici, nous avons eu à surmonter le conflit des horizontales et des verticales de l'espace. Et plutôt que de conflit,nous devrions dire que la question, pour notre système perceptif, est de trouver la véritable horizontalité du sol et la véridique verticalité des éléments qui y reposent. Une fois que l'une de ces deux orientations primordiales est assurée, la seconde suit et l'ensemble de la scène trouve alors sa vérité spatiale.
HORIZONTALES D'INTERIEUR Le problème de l'orientation de l'espace, et ainsi de notre orientation dans l'espace, peut être appréhendé de deux manières différentes et opposées. La première, que nous avons abordée, concerne l'orientation véritable de l'espace naturel ou artificiel qui est donné à voir. La seconde concerne l'orientation des corps dans cet espace. Sachant qu'un corps est en général debout, et donc vertical, ou couché, et alors horizontal, certaines orientations intermédiaires peuvent, selon le contexte, remettre en question la validité de l'espace où ces corps évoluent alors en dépit du bon sens. 1) LES VORTEX Les vortex sont des lieux paranormaux qui n'ont en fait rien d'anormal. Les américains raffolent de ces lieux et vous trouverez dans la webographie de bas de page le vortex qui vous convient.
Voila donc la situation. Si vous ne penchez pas du coté où vous allez tomber, c'est que le lieu où vous vous tenez debout n'est pas horizontal. Cela pourrait rassurer les gens qui possèdent des "chaussures à bascule". Mais, tout alcoolique sait, une fois dégrisé, que son système perceptif penchait plus que le bar, le rade, le bistro où il s'est acharné à lever le coude pour perdre pied. En modifiant l'angle de vision sous lequel vous regardez l'espace environnant, lever le coude est à déconseiller aux personnes souffrant de vertiges et de perte d'équilibre.
Pourtant, sur un plateau de tournage incertain, un certain Stanley Kubrick penche en arrière. Tout en levant le coude pour fumer une cigarette, Stanley ne perd pas l'équilibre. Cette cigarette qui semble des plus anodines (hormis un possible cancer à venir) en ce qu'elle ne recèle aucune herbe qui fasse rire, n'est pas la cause de son penchant.
Cet effet peut encore se retrouver en des lieux publics, sans même que l'horizontalité du sol soit à remettre en question. Le métro new-yorkais a ainsi choisi de poser le carrelage mural en fonction de la pente de l'escalator plutôt que de l'horizontalité du sol. Le parisien égaré en ces lieux aura alors le sentiment que l'américain moyen penche vers l'avant. Et si il est vrai que les têtes s'inclinent vers les marches, le dos des travailleurs se courbe vers l'avant en raison de l'inclinaison contraire du carrelage plutôt que de la volonté manifeste du prolétaire américain d'aller de l'avant vers un avenir glorieux qui lui permettrait de rembourser ses différents crédits. Avec cette image, nous abandonnons le vaisseau spatial qui faisait tanguer les êtres pour entrer dans le monde souterrain du réalisme capitaliste qui fait courber les dos.
2) LA CHAMBRE D'AMES C'est une belle chambre que la chambre d'Adelbert Ames. Une chambre où, bien que debouts et éveillés,les gens font des rêves de nains et de géants. Et si l'adolescent passait à gauche et sa mère à droite, nous aurions alors, devant nos yeux ébahis, une géante regardant un nourrisson. Il se pourrait donc que cette chambre ne soit pas la chambre que nous imaginions, celle que nous attendions et dont l'espace correspond aux pièces que nous connaissons : ces volumes cubiques ou parallépipèdiques que la société occidentale s'acharne à entasser, accumuler et juxtaposer sur la terre qui est ronde.
C'est ainsi que l'horizontale qui sépare le sol en damier du mur aux fenêtres n'est pas plus horizontale qu'elle n'est frontale. Cette ligne de sol s'éloigne fortement de nous, partant de la droite pour fuir vers la gauche, en même temps qu'elle descend brutalement et inexorablement du fils vers la mère.
C'est ainsi que ce qui nous apparait comme une ligne horizontale frontale peut à la fois masquer une ligne fuyante et une ligne oblique. Deux lignes aux orientations différentes prennent l'apparence d'une simple horizontale parce que notre système perceptif préfère, en certaines occasions, les horizontales frontales aux obliques fuyantes.
3) LE NIVEAU A EAU QUI PENCHE Ceux qui ont un penchant pour la boisson auront un penchant pour cette photo aux liquides penchés. Ces gens là ne pourront pas être déstabilisés par cette image titubante, et se diront qu'à force de lever le coude, l'alcool en arrive à pencher dans les verres.
Le trucage semble pourtant simple : si l'eau ne peut pencher, c'est que le plateau sur lequel reposent les verres n'est pas horizontal. Encore une fois, le système visuel privilégiera la vision d'une ligne horizontale à un savoir quasi universel : une eau "plate" ne peut prendre une direction oblique. Mais ici, le conflit horizontale-oblique peut s'expliquer par le fait que si des neurones sont spécialisés dans la reconnaissance des directions des lignes (phénomène de bas niveau qui intervient très tôt dans la construction mentale de l'image), le savoir qu'une eau étale ne peut pencher utilise des mécanismes beaucoup plus tardifs (phénomène de haut niveau). Ainsi, cette photo redeviendrait banale si, en lieu et place de l'eau, nous avions un décor constitué d'une bande oblique alignée sur les trois verres. PAGE PRECEDENTE : Ligne d'horizon et ligne de sol
WEBOGRAPHIE ART ICONOGRAPHIE GROUPE DE BURGON (attribué au),
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