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"L'horizontale ment, page 2"

 


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Avril 2015

Comme son nom l'indique, la ligne d'horizon tend à être à l'horizon, mais, de surcroît, nous imaginons qu'elle est horizontale. Et bien que nous connaissions tous les montées, descentes, vallonnements des collines et lignes de crête des montagnes, nous pensons que tout cela est temporaire et attendons patiemment de voir réapparaître dans notre champ de vision cette ligne d'horizon horizontale, le niveau à eau de notre espace perçu.
Nombre d'artistes se sont donc complus à jouer avec ce niveau afin de déstabiliser notre regard. C'est ainsi que nous allons aborder maintenant les directions insensées que certains ont donné à cette ligne.

HORIZONTALE DE L'HORIZON

La ligne d'horizon bien que dite d'horizon est rarement horizontale, apparaissant parfois comme pente ou descente, comme ligne de collines ou chaînes de montagnes. Pourtant, en l'une de ses occurrences cette ligne devrait toujours, en dépit de sa courbure visible, se présenter à horizontale : l'horizon maritime. Un des exemples les plus connus d'horizon maritime penché provient d'une gravure de William Hogarth. Là, à coté de l'église, derrière les arbres entrelacés la mer penche.

 

Hogarth, "Satire on false perspective", gravure.

 

Mais, un précédent que je ne m'explique toujours pas se trouve dans une peinture du musée du Louvre. Le concert champêtre du Titien présente un horizon penché. Il se pourrait fort que cela soit dû aux nombreux changements de taille de la toile opérés grâce à des rentoilages successifs. C'est ainsi que les deux bâtisses posées sur le piton central ne sont pas d'aplomb.
Mais, bien que la prise de vue présentée ci-dessous soit faussée par le défaut de parallaxe qui accentue la pente de l'horizon (les reflets ne permettaient pas un point de vue frontal), un autre détail est troublant. Si une pente est acceptable pour un horizon terrestre, elle ne le peut l'être pour un horizon marin. Il se trouve qu'une grande étendue réfléchissante passe derrière la grande bâtisse placée entre ciel et terre. La couleur de cette surface, lorsqu'elle est éclairée par le soleil, devrait être verdâtre pour des herbages ou bien orangée pour des cultures. Mais nous avons là un miroir étincelant qui évoque plutôt un plan d'eau. Ainsi, au mieux, nous aurions là un lac et ,au pire, une baie ouvrant sur la mer : un horizon maritime penché

 

Titien, "Concert champêtre", détail, Louvre.

 

Un autre détail pose encore problème. A regarder de plus près les bâtisses, nous devons constater que la tour bleutée située dans les lointains penche moins que les bâtiments blanc et ocre placés en son avant. Et là, aucun horizon, aucun sol et aucun rentoilage ne peuvent expliquer cet écart de verticalité. En ce lieu, la verticale ment.

.Titien, "Concert champêtre", détail 2, Louvre.

 

Influencé par cette toile ou d'autres images, j'en étais arrivé à faire des bâtiments qui, en-dehors de toute logique humaine, suivent la pente Ces images perturbent notre logique visuelle en ce qu'elles remettent en cause notre sixième sens : le système vestibulaire. Ce système, qui recherche à tout instant la verticalité afin que notre corps puisse évoluer dans l'espace sans roulis, tangage ou autres déambulations avinées, se doit d'offrir au bipède moyen une bonne assise horizontale.
Devant cette image, nous sommes donc amenés à nous demander ce qui penche. Est-ce le sol, qui, par un gigantesque glissement de terrain, enverrait arbres et maison vers un enfer situé à droite, ou bien, nous-mêmes qui, tombant d'un coup et d'une masse vers la gauche, verrions le monde sous un autre angle ? Là est l'indécision qui peut nous étreindre.

 

Figures Ambigues, "Maison de pente", dessin, graphite.

 

Cette dépendance physiologique de l'être humain à l'horizontale et à la verticale peut nous conduire à être pris au dépourvu devant certaines situations ou images de la vie quotidienne.

 

OBLIQUITES DE L'HORIZON

Certaines images du monde en arrivent à présenter des obliquités surprenantes pour notre système vestibulaire. Des conflits apparaissent alors entre l'horizontalité attendue et supposée du sol et la verticalité, tout aussi supposée et attendue, d'éléments posés au sol (immeubles, poteaux,....). En ces images, la question est donc de savoir à quelle direction se fier : l'horizontalité ou l'obliquité ?
La topographie toute particulière de San-Francisco peut ainsi donner lieu à des visions de tremblements de terre, d'effondrements et de cataclysmes, en ce lieu tant redoutés. Un immeuble semble alors s'enfoncer dans le sol sans que la moindre vitre n'éclate ou que la moindre lézarde n'apparaisse dans ces murs aux briques parfaitement jointées.
Faute de tremblement, nous devons imputer notre stupeur à notre préférence, à la fois innée et acquise, pour l'horizontale du sol, qui, ici, entre en conflit avec cette autre préférence, acquise quant à elle, pour les bâtiments qui se dressent à la verticale vers le ciel.

 

Photographie, "Maison penchée", Wikipedia.

 

Pour trouver la solution à cette alternative visuelle, revenons en France à Montmartre. Si la première image, provoque le même vertige, celui d'un immeuble s'enfonçant dans la croûte terrestre, la seconde lèvera l'indécision.

 

Photo de Montmartre, "mmeuble sombrant", 1.

 

La pente de la Butte Montmartre avait été graphiquement éliminée grâce à une rotation de l'image. L'absence de cette pente, effacée et oubliée car devenue horizontale, laisse poindre l'idée de l'effondrement de l'immeuble, qui, vaisseau de pierre et de brique, coulerait comme un paquebot. A Montmartre comme à San-Francisco, nous privilégions l'hypothèse de l'horizontalité du sol. Ainsi, un immeuble oblique perturberait moins la construction de notre image visuelle du monde qu'une pente marquée.

 

Photo de Montmartre, "Immeuble sombrant", 2.

 

Pour connaître nos véritables préférences, nos attentes et attendus, changeons de sujet et passons des immeubles aux êtres humains qui les habitent.
On serait tenté de croire que la raison de l'obliquité d'un personnage devrait être plus facile à débusquer surtout dans un paysage qui méconnait les horizontales et verticales parfaites des bâtiments. Il n'en est pourtant rien. Ainsi, en cette photo, malgré la pente du terrain et donc de l'horizon, nous persistons à nous fier à la première horizontale venue : l'horizontale du véhicule. Un type de véhicule qui, de plus, est apte à gravir les pentes abruptes ou dévaler les descentes les plus raides. Comment un objet mobile qui, à la différence des bâtiments, peut changer d'orientation selon la configuration des lieux en arrive-t-il à nous imposer son horizontalité ? Je l'ignore et suis obligé d'admettre le pouvoir démesuré de l'horizontale en toute image. Car ici, un élément nous indique la véritable horizontalité du paysage : le câble qui traverse le ciel, même si ce dernier pourrait, il est vrai, épouser la déclivité supposée de l'horizon.

 

"Homme penché", photographie.

 

Ainsi la verticalité ne semble pas être la principale direction sur laquelle se base notre système vestibulaire. Pour qu'il y ait une verticale, il faut un sol et donc, le plus souvent, de l'horizontalité. C'est ainsi, qu'avant de pouvoir déterminer la verticale de notre corps, notre système vestibulaire se doit de connaitre l'horizontale, à savoir l'orientation la plus habituelle de la surface sur laquelle notre corps repose. En cela, notre système visuel, comme nous venons de le voir en ces images tourmentées, préférera choisir la plus petite horizontale, y compris lorsque celle-ci conduit aux orientations les plus surprenantes des éléments connus de notre quotidien.

 

VERTICALE DE L'HORIZON

Au-delà de l'incohérence des obliquités de l'horizon, nous pouvons trouver des orientations encore plus improbables : celles-ci concernent, en un paradoxe surprenant, la verticalité de l'horizon.
Au premier abord, cette photo apparaitra à plus d'un comme un portrait en pied pris dans la nature. Mais, après avoir pris conscience des troncs d'arbres horizontaux qui se détachent sur le ciel laiteux, nous sommes amenés à réviser un jugement, qui, trompé par l'horizontalité et la verticalité conjuguées du corps et du morceau de paysage situés au premier plan, semble avoir été hâtif. En cette photographie, notre horizon habituel, par une rotation de l'image à 90°; a été redressé à la verticale.

 

"Horizon vertical, 1", photographie.

 

Ce type d'image est relativement courant sur le web. Tant les sols des villes que ceux des campagnes peuvent donner lieu à ces désorientations. Ici, après le passage de l'ouragan Sandy, certains se sont amusés à remettre en question notre vision de l'orientation d'éléments naturels dans l'espace. Si la solution présentée ci-dessous confirme l'importance de l'horizontale et de la verticale pour notre système visuel (car en cette seconde image tout un chacun voit bien que le personnage est dans une position inhabituelle, contrainte et forcée), la première image nous a laissé douter de nos repères spatiaux. Et cette fois, nous pouvons supposer que ce sont les verticales, verticale du corps et du tronc d'arbre, qui nous ont induit en erreur.
Il apparaît que pour sortir de cette confusion, nous avons un élément déterminant : le contexte. Car cette seconde photographie élargit notre champ de vision au point que nous pouvons voir la base de l'arbre déraciné. Il est certain que l'élargissement du champ des photographies précédentes permettrait de revenir à la vision normale du monde en dépit de la présence d'obliquités parfois très importantes (les déclivités du sol).

 

"Verticale de l'horizon, 2", photographie.

 

Pourtant, un artiste, Philippe Ramette, se moque bien du contexte. Malgré la présence évidente de la ville et de l'océan, nous avons du mal à nous défaire de la vision d'un homme observant un horizon vertical depuis son balcon.
Pire encore, cette image a été réalisée sans truquage numérique. C'est ainsi que sous vos yeux ébaubis, le vrai Ramette, couché à l'horizontale et usant de la force de ses biceps, s'accroche à la rampe de son balcon, balcon lui-même trainé sur l'eau par un bateau situé dans le hors-champ.
En cette photographie, l'horizontalité de la base du balcon et la verticalité du personnage se soutiennent et s'associent afin de nous faire douter du véritable horizon. Cette Hong-Kong qui tombe à la verticale semble dès lors moins improbable que la nouvelle version d'un christ flottant au-dessus de l'eau.

 

Philippe Ramette, "Balcon", photographie.

 

INCOHERENCES DE L'HORIZON

Bien d'autres incohérences peuvent encore être appliquées à notre si chère et si importante ligne d'horizon. Inventeur d'architectures impossibles, Maurits Escher, dans sa lithographie Relativité, présente un univers aux trois horizons. Mais, au-delà de la contiguïté aberrante de trois mondes utilisant chacun un horizon différent, Escher se sert encore de la réversibilité connue des escaliers, afin que chacun des trois principaux escaliers participe de deux mondes différents. Il ne semble guère possible de nous faire plus perdre la tête, d'affoler autant notre système vestibulaire. Cette image qui est à tourner et à retourner pour découvrir les détails éparpillés de trois mondes reliés par trois escaliers perçus tantôt en plongée, tantôt en contre-plongée, nous fait alors tourner la tête.

 

Escher, "Relativité", lithographie.

 

Mais, dès le Moyen-Age, certaines gravures au titre évocateur, Le monde à l'envers, s'étaient déjà essayées au renversement de l'espace (voir Bibliographie). Si la plupart de ces gravures évoquaient un renversement de la hiérarchie : La femme battant son mari, L'âne porté par le paysan,..., l'une d'entre elles se dispensait des sociétés humaines et animales. Ainsi, avec Les maisons éclairent le soleil et la lune, nous assistons à un renversement céleste. Notre créateur aurait-il abusé de la vigne le septième jour ? Et, si l'horizon est toujours à sa place, ce sont les éléments du ciel et de la terre qui échangent ici leur place et leur rôle, tandis que la ville s'en voit toute retournée
Alors que la plupart des images précédentes permettaient de revenir au juste horizon par une simple rotation de l'image, vous aurez beau tourner et retourner cette gravure dans tous les sens, rien n'y fera.

 

"Le monde à l'envers", gravure.

 

Il est en fait possible d'opérer ce retournement du ciel et de la terre avec la photographie.C'est ainsi que l'image ci-dessous a été retournée à 180° pour donner un nouveau sens à l'image du réel : Le garage du monde.

 

"Le monde à l'envers", gravure.

 

Nous retrouvons plus ou moins la même situation avec une gravure de Maurits Escher, Un autre monde. Ici, une ligne d'horizon parcourt la moitié gauche de ce monde incertain, sans pourtant arriver à l'unifier. Car nous avons un point de vue plongeant sur le tiers supérieur de l'image, tandis que le tiers inférieur est perçu en contre-plongée. A la manière de la gravure moyen-âgeuse, mais de façon beaucoup plus subtile et complexe, la terre est en haut, tandis que le ciel est en bas.

 

Escher, "Autre Monde", gravure sur bois.

 

Nous allons maintenant aborder une autre ligne, tout aussi importante pour notre équilibre physique que la ligne d'horizon : la ligne de sol.

 

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WEBOGRAPHIE

ART
RAMETTE Philippe, Balcon, 1996, photographie couleur, 149 x 109 cm., FRAC Basse-Normandie.
ESCHER Maurits Cornelis, Relativité, 1953, lithographie. 294mm x 282mm./
https://mcescher.com/gallery/impossible-constructions/#iLightbox[gallery_image_1]/1

ESCHER Maurits Cornelis, Un autre monde, 1947, gravure sur bois, 261mm x 318mm.
https://mcescher.com/gallery/impossible-constructions/#iLightbox[gallery_image_1]/4
TITIEN,
Le Concert champêtre, vers 1509, huile sur toile, 1,05 x 1,37 m., musée du Louvre.
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010062281

PHOTOGRAPHIE
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Steep_street_in_San_Francisco.jpg
Maisons penchées, San Francisco.
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Baldwin_Street,_New_Zealand.jpg
Une maison semble sombrer dans la terre.
https://www.flickr.com/photos/mattbibbey/465568279/
Un homme penche devant son 4x4.
http://www.gutenberg.org/files/39691/39691-h/39691-h.htm
Voir Fig. 28. "A catastrophe", By M. Bracq. From Photo Gazette. La plus ancienne rotation du sol photographiée

BIBLIOGRAPHIE

TRISTAN Frédéric, Le monde à l’envers, 1980, Hachette, ISBN n° 2.01.007511.0
Voir page 135 : "Le monde renversé", première planche, imprimerie Pellerin, Epinal, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.

ICONOGRAPHIE

DESSINS PERSONNELS
http://figuresambigues.free.fr/FaussePerspective/pente.html

Une maison et un arbre suivent la pente du sol
http://figuresambigues.free.fr/Carnet90-91/page3.html
"Jerusalem céleste" (inspiré du livre de Frédéric Tristan).

 

 

 

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