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"Plans inclinés et ambiguïtés d'orientation, page 3" |
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Février 2016 LES AMBIGUITES DE LA DIRECTION DU REGARD Un plan incliné n'apparaît, vraiment et surement comme tel, seulement lorsque nous portons notre regard à l'horizontale vers le lointain. Il peut encore nous arriver de jeter sur le monde un regard en plongée ou en contre-plongée. En ces occasions là, nous pouvons considérer que nous contemplons une forme particulière de plans inclinés. Mais lorsque ce regard incliné contemple un plan incliné, nous sommes confrontés à la rencontre de deux inclinaisons : celle du monde et celle du regard que nous portons sur lui. Cette situation là en arrive à produire des illusions particulières.
1) LES ESCALIERS A L'INCLINAISON INCERTAINE Jusqu'ici, hormis l'escalier peint, nous avons vu des plans qui ne s'inclinent pas de la même manière dans le réel et dans la perception que nous en avons. Mais un deuxième problème peut se poser au système perceptif : regardons-nous l'escalier en plongée ou en contre-plongée ? Ce n'est donc plus tant l'inclinaison des plans du réel qui pose problème que l'inclinaison de notre regard sur le monde.
La zone grise autour de la queue du chat pour une raison que j'aurais du mal à expliquer me fait plus penser à un sol qu'à un mur vertical : cet escalier descend. D'un autre coté, le rehaut placé à chaque angle serait plus approprié et fonctionnel si il était placé au sommet de la contremarche : cet escalier monte. Mais de quel détail plastique provient cette indécidable ambiguïté ? De par leur obliquité, les nombreuses lignes bordant les marches ou contremarches peuvent tout à tour être interprétées de deux manières différentes. Si l'escalier monte, ces lignes se dirigent, comme en toute contre-plongée, vers un point de fuite zénithal. En ce cas, l'horizon se situe dans le hors-champ inférieur puisque nous portons notre regard vers le ciel En revanche, à supposer que l'escalier descende, cette même convergence de lignes signifiera que les obliques se dirigent vers un autre point de fuite placé sur un horizon situé dans le hors-champ supérieur, horizon que nous ne pouvons apercevoir puisque nous regardons alors vers le sol. Mais en cette image au point de vue particulièrement bien choisi, il est bien difficile de faire un choix. Heureusement, l'escalier de Bonifaccio est, quant à lui, beaucoup moins ambigu. Malgré l'obliquité montante de la rampe dans le champ de l'image, nous devinons que cet escalier descend vers le parking situé en contrebas de la ville.
L'image suivante apporte une nouvelle interprétation dans la confusion de l'inclinaison des escaliers. Car ici, nous pensons, en un premier temps, voir un tunnel horizontal et infini. Puis, regardant le sol, nous apercevons les marches métalliques des escalators. Mais, de ce point de vue là et en raison de la vision que nous avons des marches, nous pourrions tout aussi bien être en train de descendre que de monter cet escalator. Si l'inclinaison, descente ou montée, reste pour lors indécise, comment avons-nous pu, en un premier temps, croire à l'horizontalité de ce tunnel ? La photo a été prise de telle manière que les rampes qui bordent l'escalator semblent tracer une ligne d'horizon qui renie tout autant la plongée que la contre-plongée. Les rampes forment une ligne continue sur laquelle est placé un point de fuite central vers lequel convergent la plupart des fuyantes de l'image. En revanche, pour trouver les véritables lignes de l'horizon terrestre, nous devrons poursuivre les fuyantes qui ne se dirigent pas vers ce point de fuite particulier qui marque seulement la direction de notre regard et, en cela, peut tout aussi bien signifier la montée que la descente. Ainsi, pour obtenir la véritable ligne d'horizon d'un escalator descendant, nous devrions poursuivre les bords latéraux convergents des supposées marches et placer alors l'horizon dans le hors-champ supérieur de l'image. Et, pour obtenir la ligne d'horizon d'un escalator ascendant, nous devrions poursuivre les bords latéraux et convergents des supposées marches que nous ne pouvons ici apercevoir et trouver alors l'horizon dans le hors-champ inférieur de l'image.
2) D'AUTRES ELEMENTS A L'INCLINAISON INCERTAINE
VUE EN CONTRE-PLONGEE Avec cette vue du Clocher de Bordeaux, nous croyons au premier abord retrouver le tunnel de l'escalator. Pourtant, la problématique est différente en ce que la direction des fuyantes n'est plus tout à fait la même Bien que nous puissions, en l'absence de marches, encore plus facilement envisager l'hypothèse du tunnel, et, en cela, un point de convergence des fuyantes situé sur la ligne d'horizon normale de tout paysage, les autres interprétations diffèrent. En raison de l'absence de marches, les lignes de fuite ne marquent plus un plan ascendant (une montée) ou un plan descendant (une descente). Ces lignes de fuite nous proposent maintenant deux autres directions antagoniques. Elles peuvent tout autant se diriger vers un point de fuite placé au zénith (en contre-plongée verticale), que vers un point placé au nadir (en plongée verticale). Sommes-nous dans une tour qui s'élève vers le ciel ou dans un puits qui s'enfonce dans les entrailles de la terre ?
Pour mesurer l'importance de l'emplacement du point de fuite faisons subir une rotation de 180° à la photographie. Cette fois, du fait de la position haute du point de fuite, nous n'avons plus les pieds sur terre et ne pouvons plus marcher dans un tunnel. De même, nous ne pouvons plus nous pencher au bord d'un puits. Ici, la solution qui nous reste est de dresser la tête pour porter un regard vertical vers le sommet du clocher.
Nous venons de voir qu'un même point de fuite et ses fuyantes peuvent tout autant marquer une vue frontale d'un élément que sa vue en plongée ou en contre-plongée. En ces trois occurrences, les fuyantes convergent bien vers un point de fuite central. Ainsi, en l'absence d'éléments du réel (sol, ciel, arbres...), nous sommes bien en peine de connaître tant la direction de notre regard que l'orientation des plans fuyants. Nous devons alors chercher dans l'image des détails moins mathématiques qui permettront de résoudre l'ambiguïté. Parfois la reconnaissance formelle, comme reconnaître des marches ou des contre-marches, suffit à cette levée de l'ambiguïté, parfois une position décentrée peut favoriser certaines interprétations de l'image.
VUE EN PLONGEE SIMPLE Avec cette nouvelle série d'images, nous délaissons fuyantes et points de fuite. Ainsi, seuls des détails relevant de la reconnaissance formelle devraient nous aider à lever les successives ambiguïtés spatiales.
Cette autre image reprend le même principe. En lieu et place d'un prétendu vallon se détachant sur un ciel plombé, nous sommes devant une colline descendant en pente raide vers le lac. Et, ici, rien ne permet de lever l'ambiguïté, le chien pouvant tout autant contempler le ciel qu'observer le lac.
VUE EN PLONGEE COMPLEXE Avec cette dernière image de la série, deux indices matériels se contredisent. Tandis que la présence des nuages et du ciel nous laisse croire à une vision en contre-plongée, un rocher semble léviter dans les airs. Sachant que le raton laveur ne semble pas avoir la capacité de jeter des roches en l'air, nous devons admettre que nous sommes encore devant un lac dont l'eau reflète un ciel illusoire.
VUE EN PLONGEE ET AUTRES INDICES En cette photographie, tout se complique. Le sol me semble vertical mais les raisons qui me poussent à le voir ainsi ne se limitent pas à la vue plongeante que nous impose la photographie. Malgré la présence évidente du soubassement du Jeu de Paume, dont je ne peux méconnaître la verticalité des murs, le dallage me paraît bien vertical. Ce qui vous le comprendrez aisément ne peut être.
Le rabattement incongru du sol à la verticale peut être expliqué par plusieurs indices visuels. En premier lieu, le regard humain portant moins d'attention et accordant moins de netteté à la périphérie de la vision (où dominent les bâtonnets qui ne perçoivent que les nuances de gris et sont spécialisés dans la détection du mouvement), l'orientation et la netteté des plans y est moins précise. C'est ainsi que Bonnard, en ses plongées sur les bains de sa femme ou les pièces des différents lieux où il a vécu, conscient de ces déformations de la périphérie du champ de vision, rabattait souvent les sols à la verticale
Ensuite, nous avons la croix du sol. Cette croix ressemble à une croix véritable en ce qu'elle semble se dresser à la verticale au lieu d'être tracée au sol. C'est qu'elle a été prise sous un angle tel que l'horizontale au sol de sa branche verticale se dresse à la verticale dans l'image. Avec une prise de vue légèrement décalée à gauche ou à droite, l'obliquité de sa direction lui aurait rendu sa trajectoire terrestre. Mais quoique'il en soit, si vous avez la curiosité de masquer la partie supérieure de la photo, vous aurez, en dépit de la présence des deux pieds de chaise, la vision d'un sol vertical.
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