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"La réversibilité animée et inanimée" |
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Juin 2008 Entrez dans le monde fabuleux des images réversibles figuratives. Entrez pour voir la danseuse qui pirouette dans les deux sens sans modifier ses gestes, le cheval qui s'approche de nous en s'éloignant, la chaise qui est à la fois au-dessus et en-dessous de vous et l'avion qui plane en rase mottes dans l'azur. Entrez ! Entrez pour contempler ces monstres de foire, ces freaks de l'image, ces images de foire. LA DANSEUSE Une nouvelle figure a fait son apparition sur le web : la Spinning silhouette de Nobuyuki Kayahara, designer japonais (adresse web en bas de page). Les heureux possesseurs d'une connexion à haut débit ont droit à une animation Flash Macromedia ambiguë. Car, tandis que certains verront cette silhouette tourner dans le sens des aiguilles d'une montre, les autres percevront une rotation contraire. Pour lors, il semble qu'aucune explication valable n'ait été produite. Certains évoquent la vieille lune du cerveau gauche et du cerveau droit : la prééminence de l'un des deux hémisphères expliquerait le choix du sens de rotation. Quant à moi qui ne possède pas le haut débit, je ne vois là qu'une image fixe. Mais ayant téléchargé l'animation, je me suis retrouvé avec un fichier d'une trentaine de "photogrammes", dont certaines me sont apparues comme étant réversibles. Vous trouverez ci-dessous trois exemples de cette réversibilité fixe. Ainsi, la première image de l'animation peut tout autant être perçue comme la vue de face que la vue arrière d'un même personnage. Il est vrai que la vision de face, nous demande de supposer que cette danseuse pivote sur son talon gauche. Mais l'ombre portée du personnage n'étant pas conjointe à la silhouette, nous aurions la un bel exemple de double ou triple axel, sans patins et sans tutu. Le patinage étant ce qu'il est, cette pose ne relève donc pas de l'impossible.
Les deux autre photogrammes peuvent, eux-aussi, être compris comme des images réversibles, si ce n'est encore une fois cette satanée plante de pied, qui, cette fois, se relève lors de la réception au sol du personnage en fin d'animation.
Mais si nous avons véritablement là une figure réversible, qui plus est animée, nous devons réviser nos classiques. En premier lieu, pour en finir avec les illusions de mouvement qui ne sont pas le propos du site, nous avons à supposer que quelques images réversibles dispersées dans une courte séquence suffisent à rendre l'ensemble équivoque. Nous avons ensuite à supposer que cette réversibilité, selon le choix que nous opérons, vue de face ou vue de dos, induit la perception d'un sens de rotation. Nous laisserons aux professionnels de la profession du mouvement illusoire le soin de discuter ces divagations, pour nous concentrer sur une autre problématique de la réversibilité que met en évidence cette figure. LE CHEVAL Nous, amateurs mal éclairés, étions habitués à ce que la réversibilité travaille deux représentations spatiales : le plein et le creux (comme le Dièdre de Mach) ou la plongée et la contre-plongée (à la manière du Cube de Necker). Mais, aucune figure ne remettait jusqu'ici en cause le recto et le verso d'une même forme. Aucune si ce n'est la photographie présentée ci-dessous, qui, elle-aussi, parcourt le web depuis quelque temps. Pourtant, Jerry Downs, son créateur (voir l'adresse du site en bas de page) ne se contente pas d'imaginer une silhouette perçue de trois-quart arrière ou de trois-quart avant. Il ajoute deux interprétations à cette première ambiguïté des orientations : un cheval vu de trois quart-arrière tournant sa tête vers nous et un autre perçu de trois-quart avant la détournant de nous (illustrations à voir sur son site).
Vous pourriez trouver de nombreuses variantes photographiées ou dessinées des ces silhouettes animales et humaines. Mais, en l'état des connaissances pifométriques actuelles sur la question, il semble que l'image la plus ancienne date de 1904 :
Mais nous n'en avons pas fini avec ce type d'image, car au-delà des nouveaux conflits d'orientation (recto/verso, trois-quart avant/trois-quart arrière), un second point commun relie ces deux figures : l'une comme l'autre utilisent la figuration réaliste pour aboutir à leurs fins. Cela aussi est nouveau, car si une classification des formes et volumes géométriques réversibles a déjà été entamée (Julian Hochberg and Virginia Brooks, The Psychophysics of Form: Reversible-Perspective Drawings of Spatial Objects, 1960), peu auraient pu imaginer que des formes complexes (ignorantes de la rectilignité et de la symétrie) et réalistes (domaine où l'être humain est censé disposer de savoirs antérieurs conséquents) auraient pu prêter le flanc à ce type d'ambiguïté.
LA CHAISE Ceci me fait souvenir d'une photographie trouvée dans Libération, il y a fort longtemps, à l'occasion de la réédition de la chaise métallique de Mallet-Stevens. Cette satanée chaise avait arrêté mon regard, alors même que son ambiguïté n'est pas totale. Bien que forcément perçue de trois-quart avant, cette photographie m'avait laissé entrevoir la possibilité d'un trois-quart arrière.
Afin de mettre en évidence l'ambiguïté entr'aperçue, j'ai retravaillé l'image. Un pied a été supprimé qui ne signifie pas que nous soyons en présence d'une chaise cassée. Vous devrez simplement supposer que le pied manquant est masqué par le pied central situé en son avant. Ainsi, avec l'image de gauche, nous retrouvons l'ambiguïté trois-quart avant/trois-quart arrière de La Spinning silhouette et du Cheval. Certains auront du mal à voir les deux orientations. Pour moi, la vue arrière s'impose en premier (ce qui est paradoxal puisque la photo originale était prise de trois-quart avant). Pour accéder à la vue avant, nous devons ne pas oublier que les formes noires dessinées sur l'assise sont (comme dans le modèle de départ) le reflet du montant latéral gauche et des trois barres centrales du dossier. Puis, nous devons encore accepter une assise en forme de trapèze dont les cotés convergents auraient pour effet de rapprocher les pieds avant.
C'est ainsi que, prenant mon stylo, j'avais à l'époque essayé de rendre compte de cette ambiguïté potentielle par l'entremise des deux croquis présentés ci-dessous. Malheureusement, le résultat donne une version qui diffère notablement de l'ambiguïté alors entr'aperçue. Dans la version dessinée et modifiée, nous obtenons une vue plongeante de trois-quart avant sur le siège (à gauche) qui s'oppose à une vue en contre-plongée de trois-quart arrière (à droite). En cela, tant dans les photos remaniées que dans les croquis ébauchés, seuls l'assise et le dossier sont véritablement réversibles. Mais, paradoxalement, nous obtenons avec ces deux croquis une version figurative du Cube de Necker. Le dossier qui était loin de nous lorsqu'il était vu en plongée, devient proche lorsqu'il est perçu en contre-plongée. Ainsi, à la manière du Cube, tant les orientations que les échelonnements s'inversent-ils. Seul le vocabulaire nous fait défaut puisque, si nous pouvons parler et reconnaître la face avant ou arrière d'un dossier de chaise, nous serions bien en peine de dire si le coté d'un cube transparent nous fait face ou nous tourne le dos.
L'AVION Peu avant ou peu après, j'avais dessiné cet avion. Avion qui peut, lui-aussi, être perçu en plongée ou en contre-plongée. Mais, de la même manière que la chaise ne se laisse pas renverser sans laisser des traces graphiques de sa réversibilité déséquilibrée, nous pouvons affirmer que cette carlingue de tôle vole au-dessus de nous. Il suffit de regarder l'inégale longueur des ailes pour se rendre compte qu'une solution prévaut sur l'autre. La carlingue cachant une partie de l'aile éloignée, l'aile la plus courte est donc la plus éloignée et nous sommes ainsi en train d'observer un aéroplane qui nous survole (ce qui, rétrospectivement, me fait dire que le Cheval détourne la tête en raison de la longueur inégale de ses oreilles).
Mais ces détails échappant parfois à notre sagacité, j'avais réalisé les deux versions antithétiques. En raison de la présence de valeurs, nous connaissons maintenant la position de l'une des ailes : son point de fixation à la carlingue. Tant la présence de cet indice supplémentaire que la juxtaposition des images ne laissent maintenant plus aucun doute quant au point de vue que nous avons sur cet objet volant.
Pour en terminer avec cette série, le dernier croquis présenté ci-dessous montre, si il en était besoin, que le contexte, jusqu'ici absent de toutes les images proposées, permet de lever les ambiguïtés. Sachant que la présence du sol, qui était suggérée par l'ombre portée de la danseuse, ne constitue pas toujours un contexte nécessaire et suffisant, ici, des cubes volants et des personnages dissonants font ce que le sol n'arrive pas à résoudre ailleurs.
CONCLUSION Nous sommes ainsi revenus à notre point de départ : partant d'une ambiguïté des vues de trois-quart avant et arrière, nous arrivons aux classiques oppositions de la plongée et de la contre-plongée. Mais le propos de ce texte n'était peut-être pas tant de débusquer une nouvelle catégorie de réversibilité des orientations que de montrer leur présence dans le réel, ou pour le moins, dans leur figuration dessinée. Pour ce qui est du réel, vous pourrez trouver dans la rubrique photographie des figures réversibles. Si ce n'est que ces dernières, prises ici et là, utilisent des formes géométriques du réel : ce que ni la Danseuse, ni le Cheval vus plus haut, danseuse et cheval que nous pourrions combiner à la manière d'un dessin de cirque de Seurat ou de Lautrec, n'utilisent la ligne droite pour nous entraîner dans des conflits visuels insolubles.
WEBOGRAPHIE BIBLIOGRAPHIE SANDFORD Edmund Clark,
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