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"La triangulation des faces : troisième partie"

 


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Juin 2007

LA SORTIE DU CADRE

Nous allons maintenant essayer de pousser la triangulation dans ses derniers retranchements. Nous commencerons ainsi par sortir du cadre. Jusqu'ici, nous avons en effet supposé que le triangle constitué des yeux et de la bouche était situé à l'intérieur d'une forme, quelle qu'elle soit il est vrai, mais d'une forme qui serait la représentation dénaturée du crâne.
Mais à faire sortir certains éléments du triangle de la forme du crâne, vous conviendrez, je l'espère, que le visage reste encore et toujours présent. Pourtant, commencent à poindre certaines altérations. Ainsi, lorsque les yeux sortent du cadre, j'aurais tendance à imaginer des têtes d'animaux : parfois poissons (ci-dessous à gauche), parfois rongeurs (ci-dessous à droite). Qui plus est, l'élément graphique qui, dans les pages précédentes, signifiait jusqu'ici la bouche, se transforme pour moi en truffe ou en bec. De même, lorsque les yeux restent à l'intérieur et que le point de la bouche sort du cadre (ci-dessous à droite), ce dernier devient encore une truffe. En sortant du cadre, à savoir de la silhouette globale d'un faciès humanoïde, les éléments graphiques de la triangulation des visages auraient donc tendance à se transformer en faces animales.

 

Dessin : "Visages de formes diverses avec triangulation exagérée, 1".Dessin : "Visages de formes diverses avec triangulation exagérée, 2".
 

Mais, en dépit de la sortie du cadre, les éléments ne sont pas si éloignés, qui restent pour lors en contact avec le cadre. La vignette suivante (ci-dessous à gauche) supprime cette contiguïté. Nous allons donc voir ce que deviennent ces faces imaginaires lorsque les yeux leur sortent de la tête. Étonnamment, malgré cette nouvelle perte, rien n'est perdu. Tout comme moi, nombre de lecteurs de bandes-dessinées verront là des faces animales. Mais pour en arriver là, une nouvelle organisation de la signification des éléments graphiques est requise, car, à l'évidence, le cadre ne peut plus jouer le rôle de limite entre la face et le monde environnant. Ainsi, en lieu et place d'un crâne ou d'une tête, j'imagine maintenant des museaux (les deux formes rectangulaires) ou des becs (les deux formes ovales). Ici, le point situé à la base de la triangulation se transforme en appendice buccal placé à la base d'un museau animal, que ce dernier relève des piscidés, volatiles ou mammifères.


Dessin : "Visages de formes diverses avec triangulation exagérée, 3".
Dessin : "Visages de formes diverses avec triangulation exagérée, 1".

 

Passons maintenant à la dernière vignette (ci-dessus à droite) qui présente à la fois des yeux et des bouches extérieures au cadre. Là, je dois forcer ma vision pour apercevoir un faciès. Et bien je puisse distinguer une face dans les deux plus grands croquis, je serais bien en peine d'expliquer le plus petit. Il n'en reste pas moins que jj'arrive à percevoir un visage proche de l'humain dans le croquis situé à gauche. Une explication est possible : cette forme verticale pourrait tout aussi bien représenter un appendice nasal qu'une tache claire ou foncée au beau milieu d'une face animale. À suivre cette hypothèse et les interprétations des cadres ovales ou rectangulaires des trois dernières vignettes, nous sommes amenés à constater un déplacement de signification. Ce qui était représentation graphique du crane, lorsque la triangulation était contenue à l'intérieur d'un cadre, se transforme en museau, bec, appendice nasal, tache de pelage, lorsqu'un ou plusieurs éléments de la triangulation sortent du cadre. À suivre cette logique, le cadre ne serait pas déterminant, et le contour d'un visage ou d'une face ne serait pas nécessaire à la paréidolie pour qu'elle en arrive à nous faire prendre ses vessies pour nos lanternes. C'est ce que nous allons essayer de vérifier avec la dernière planche.

 

L'ABSENCE DE CADRE

La première vignette (ci-dessous à gauche) montre à l'évidence que le cadre n'est pas nécessaire à la perception de visages imaginaires. Nous avons là six triangulations qui, toutes, me font penser à des visages. Et comme nous l'avions déjà remarqué lorsque le cadre était présent, selon la forme, l'orientation, la taille des graphismes utilisés, des expressions peuvent être attribuées à ces ébauches à peine esquissées de têtes humaines ou animales. Je reconnais l'étonnement en bas à droite, perçois l'attente indécise en haut au milieu et devine même un caractère sournois par l'entremise des trois traits disposés en étoile. Que pouvons-nous donc bien faire pour cesser de voir ces satanés visages dès que trois éléments sont placés en triangle ?
La vignette suivante (ci-dessous à droite) tente ainsi d'étirer les distances ou de modifier les proportions du triangle à l'origine de nos hallucinations. Mais, là encore, je ne peux m'empêcher de voir ces faces qui me regardent et m'observent, certaines effrayées (celles étirées en hauteur à gauche et à droite), d'autres placides ou étonnées (celles qui alignent leurs trois points sur une presque horizontale). Et si celle située en bas et au milieu est peu lisible, cet écart n'est pas tant le résultat de l'aplatissement de la trogne que de la proximité d'éléments graphiques des deux visages verticaux.

 

Dessin : "Triangulations sans contour de visage, 1".Dessin : "Triangulations sans contour de visage, 2".

 

Ainsi, nous devons attendre l'avant dernière-vignette (ci-dessous à gauche), pour commencer à nous déprendre de nos hallucinations. Un même procédé a été utilisé, qui consiste à modifier la taille relative des trois éléments graphiques de la triangulation. Procédé qui n'a cependant aucun impact sur les deux visages supérieurs, celui de gauche me faisant penser à un lémurien, tandis que son voisin laisse imaginer un bon chien. Les trois autres triangulations semblent, en revanche, souffrir de la situation. L'écart est facile à expliquer. Les deux premiers visages ne portent pas atteinte à la perception d'une face animale car ils respectent la symétrie des yeux, tandis que les autres atteignent ce qui semble être une limite de la triangulation : les deux éléments graphiques représentant les yeux doivent posséder à peu près la même taille. Il n'en reste pas moins que l'imagination humaine étant ce qu'elle est : je vois encore la tête d'un chiot en haut à droite. Chiot qui pourrait tout autant avoir son oeil gauche perdu au beau milieu d'une tache noire de son pelage, qu'une oreille, toute aussi noire, rabattue sur ce même oeil.

 

Dessin : "Triangulations sans contour de visage, 3".Dessin : "Triangulations sans contour de visage, 4".

 

Avec la dernière vignette (ci-dessus à droite), nous allons tenter une nouvelle expérience qui consiste à modifier la hauteur des yeux. Mais, le visage résiste au point qu'il nous est plus facile ici de voir des figures que dans l'image précédente. Car, comme nous le verrons avec les profils (voir Addendum), un visage pour être perçu n'a pas besoin d'utilser une triangulation isocèle. Les différentes formes de triangle, rectangle, équilatéral ou même disproportionné, permettent au contraire d'évoquer une nuance particulière d'expression faciale. Ainsi, dans le cas présent, je vois en ces trois croquis un visage à l'oeil interrogateur, comme si l'un des sourcils, pourtant absents, se soulevait pour marquer une forme d'étonnement réprobative.

Pour lors, c'est ainsi que nous en terminerons avec la paréidolie. Celle-ci n'est pas sans susciter nombre d'étonnements. Celui du psychologue de la perception tout d'abord, qui peut, si l'on en croit ce qui a été avancé ici, être surpris que trois éléments graphiques suffisent à susciter la présence d'un visage imaginaire. Cet autre du dessinateur, qui, bien que pratiquant cela depuis longtemps, s'étonne encore que l'on puisse tant en dire sur l'âme humaine à partir de trois points. Et enfin ce dernier de notre cortex supérieur, étonné de ne pas être maître chez lui et d'avoir à subir la présence de ces visages, qui, en des temps plus éloignés, pouvaient tout autant exprimer la présence fugitive d'ennemis embusqués que l'arrivée soudaine d'êtres aimés et désirés. Mais alors qu'il fût un temps où la perception de ces visages pouvait être une question de vie ou de mort, de nos jours, le quidam de base se contente d'accepter une illusion déceptive ou envisage, non sans mauvaise foi, l'apparition miraculeuse du visage de la vierge Marie sur un toast brûlé.

 

PAGE PRÉCÉDENTE : La triangulation des faces, page 2

 

ADDENDUM
Vous pouvez continuer votre parcours en passant aux triangulations des visages vus de profil. Pour cela, veuillez consulter l'article suivant :
La triangulation des profils (encore 3 pages ! Pitié...).

 

 

 

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