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"La triangulation des profils : troisième partie"

 


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Octobre 2007

LE LAPIN-CANARD EXPLIQUÉ AUX ENFANTS

L'image du Lapin-canard, partie d'Allemagne à la fin du XIXème siècle pour conquérir le monde de la psychologie après avoir été publiée par Joseph Jastrow en 1905, fascine toujours. Chacun se demande comment on peut arriver à concilier deux visages orientés dans deux directions différentes en un même dessin. Car le Lapin-canard ne rentre pas dans le cadre de la double-image traditionnelle qui, à la manière de l'arcimboldesque (voir un exemple), se contente de superposer des objets, fruits, animaux et que sais-je encore, aux différents éléments d'un visage. Nous avons là deux têtes animales différentes qui s'orientent dans deux directions contraires et dont l'unique et seul point commun connu à ce jour est l'oeil.
Après avoir tant parlé de la triangulation des visages, nous pouvons maintenant proposer une hypothèse qui ne cherchera pas tant à comprendre les mécanismes perceptifs mis en oeuvre pour voir l'une ou l'autre face animale qu'à décrire le processus de lecture de l'image qui nous permet de passer de l'un à l'autre. Processus de lecture qui, pour atteindre à un certain niveau de crédibilité, devrait pouvoir être utilisé comme processus plastique de construction de ce type d'images.

 

Double-image : "Lapin-canard", Joseph Jastrow, 1905Double-image : "Lapin-canard", Joseph Jastrow, 1905, vue avec triangulations

 

Comme le montre le croquis présenté ci-dessus à droite, nous avons deux triangulations possibles et antagoniques. La jaune orientée vers la gauche met en évidence la tête de canard, tandis que la rouge qui se dirige vers la droite permet de voir celle du lapin. Ainsi, deux triangles rectangles s'affrontent en cette figure pour donner lieu à deux interprétations différentes. La présence des triangles rectangles est due au fait que nous sommes en présence de profils animaux. Dans le cas qui nous intéresse, il se trouve que tant le profil du lapin que celui du canard réunissent en une même zone ce qui correspond au nez et à la bouche de l'être humain. Ainsi, le museau du lapin se trouve proche de sa bouche, tandis que les "narines" du canard ne peuvent être dissociées de son bec. C'est en cela que nous retrouvons le triangle rectangle utilisé pour expliquer l'absence de nez du troisième croquis de la page précédente. C'est donc toujours en cela que ce que nous pourrions appeler la base du front de l'animal constitue le troisième point de la triangulation. C'est en choisissant ensuite une des deux triangulations que le regardeur détermine l'orientation de l'image, son sens de lecture, qui lui permet d'accéder, selon le cas, à la vision du lapin ou à celle du canard. En revanche, nous n'essaierons pas ici de savoir ce qui fait qu'un individu privilégie une vision par rapport à l'autre. Des expériences ont été réalisées par des psychologues de la perception qui montrent que le pays, l'âge, ou bien encore la saison, jouent un rôle dans le choix fait par le regardeur. Pour cela, je vous recommande une page en anglais fort instructive à propos d'une figure réversible nommée Whale-Kangoroo :
https://www.ocf.berkeley.edu/~jfkihlstrom/SEP06.htm
Quant à nous, nous avons encore à savoir si cette géométrisation de la lecture des profils peut donner lieu à un principe plastique permettant de produire des images qui respecteront la problématique du Lapin-canard.

D'AUTRES LAPIN-CANARD MONTRÉS AUX PARENTS

Voici donc quelques croquis qui reprennent l'architecture géométrique du Lapin-canard. À l'évidence, en chacune de ces images, deux faces humaines ou animales peuvent être perçues à partir de deux sens de lecture contraires : de la gauche vers le droite ou de la droite vers la gauche. Afin de mieux percevoir les têtes mêlées et emmêlées, vous aurez tout intérêt à masquer de la main un peu plus de la moitié gauche puis de la moitié droite de chaque croquis. Nous avons tout d'abord, deux croquis, qui, à la manière du Lapin-canard, mêlent des profils animaliers.

 

Variation dessinée sur le "Lapin-canard" de Joseph Jastrow, 1.Variation dessinée sur le "Lapin-canard" de Joseph Jastrow, 2.

 

À essayer ensuite d'appliquer cette belle mécanique plastique à des visages humains, nous obtenons les deux croquis ci-dessous. À l'évidence, avec ou sans nez marqué (en bas à droite), les visages peuvent, eux-aussi, être perçus de deux manières différentes et contraires. Comme nous l'avons vu dans la page précédente, l'absence de nez ne gène en rien la triangulation. En lieu et place d'un triangle ordinaire, nous avons un triangle rectangle, dont le coté vertical est représenté par la ligne qui s'étend du front à la bouche.

 

Variation sur le"Lapin-canard" de Joseph Jastrow, 3.Variation sur le "Lapin-canard" de Joseph Jastrow, 4.

 

Enfin, en un dernier avatar possible de l'application de la triangulation à des profils, nous pouvons encore associer une tête humaine à une gueule animale. Tout ou presque ayant été tenté, nous allons passer à une dernière problématique : l'emploi qui a pu être fait par des artistes de la triangulation des visages.

 

Variation sur le "Lapin-canard" de Joseph Jastrow, 5.

 

LES VISAGES FACE-PROFIL DE PICASSO

Jusqu'à la fin de son grand oeuvre, Picasso a conservé en ses toiles un ultime vestige de sa période cubiste : le visage face-profil. Ce visage a pour caractéristique de combiner en une seule et même figure une vue de face et une autre de profil d'un même personnage réel ou imaginaire.
Principe que j'ai maladroitement essayé de représenter dans le croquis présenté ci-dessous. Tandis que la part ombrée de la figure rend compte d'un visage de profil, l'ensemble exprime une vue de face. Mais en mêlant les faces et les profils,
Picasso pose un problème que la triangulation du Lapin-canard méconnaissait. Pourtant, en dépit de cet écart des points de vue, nous allons retrouver le même mécanisme à l'oeuvre.
Car, comme le montre le croquis ci-dessous à droite, notre lecture hésite toujours entre deux triangles. À choisir le triangle
jaune, nous verrons une face, tandis qu'à préférer le rouge, nous obtiendrons un profil. Et c'est ainsi que sautant d'un triangle à l'autre, nous hésitons entre deux visages différents qui pourtant ne font qu'un.
C'est fini pour aujourd'hui.

 

Figure ambigue : "Visage face-profil à la manière de Picasso".Figure ambigue : "Visage face-profil à la manière de Picasso", vue avec triangulations.

 

PAGE PRÉCÉDENTE : La triangulation des profils, page 2

 

WEBOGRAPHIE
http://www.alhirschfeldfoundation.org/piece/boys-syracuse-0#result_info_2763
Un dessin de
Al Hirschfeld, The boys from syracuse, 1938.
https://www.ocf.berkeley.edu/~jfkihlstrom/SEP06.htm
Analyse de la figure
Whale-kangaroo par age, sexe, pays....

 

 

 

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