Marchés aux volailles et légumes,
Arnout de Muyser, "La femme du marché", XVIème siècle.

 


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Tout en poursuivant, avec des scène de marchés aux volailles, nous allons voir que ce genre là peut très bien, chez d’autres peintres, associer sur la même toile volailles et légumes.

1. DE MUYSER Arnout, "La femme du marché".

Au contraire d’Aertsen et de Beuckelaer, vus précédemment, De Muyser fait tenir le stand des volailles, situé dans le tiers droit de la toile, à une femme. Habituellement, les étals de volailles étaient tenus par des hommes (mais il est vrai que la toile de De Witte, vue précédemment, appartient au siècle postérieur). La présence d’une femme est étonnante, en ce que les oiseaux, notamment sauvages, possèdent des formes et une symbolique phalliques. Et, même dans la basse-cour, seules les poules, parce qu’elles sont fécondes d’oeufs, peuvent proposer une symbolique féminine. Ainsi, dans le panier en osier situé en bas à droite, nous apercevons au moins quatre coqs. Un autre panier, situé à sa gauche, contient des pigeons, et sur le banc derrière la femme assise se trouvent deux volatiles que je ne saurais identifier, mais qui sont apparemment morts. En revanche, deux poules qui, dans les toiles précédentes, étaient enfermées, sont posées, à peine tenues sur ses genoux. Que les coqs soient dans une nasse et que les poules soient libres montre que pour cette femme les volailles "masculines" doivent être contenues ou mourir et que les volailles "féminines" sont protégées, bien à l’abri en son giron.
Cette femme, malgré ses deux poules, n’en reste pas moins du coté de la chair et de la viande. Et la viande était pêché, car à cette époque presque la moitié des jours de l’année étaient jours de carême, à table tant qu’au lit. De plus, à quelques pas derrière elle se trouve un chasseur avec sa meute de chiens et deux lièvres morts tenus dans sa main gauche. Plus loin encore, au-dessus de sa tête, nous voyons ce qui ressemble à un commerce de boucherie. Enfin, au loin sur la place, pour en finir avec le tiers droit de la toile, se trouve ce qui semble être l’hôtel de ville, une "maison des hommes", surmontée d’un beffroi long et droit.
La femme, quant à elle, nous regarde à la manière de la "Veuve" du tableau d’Aertsen. Ce visage sévère est confirmé par les vêtements. Ceux-ci, bien fermés et de couleurs sombres, recouvrent son corps. Seules la collerette et la coiffe sont blanches. Pourtant, à regarder sa fraise, à l’époque et aujourd’hui encore, on dirait qu’elle est collet monté.

Passons de l’autre coté de la toile, les deux tiers de la surface réservés à l’étal de légumes. Nous avons là une répartition des tâches inédite. Car, l’étal est encore tenu par une femme et le seul homme présent dans les premiers plans, comme nous le verrons plus avant, n’est ni un marchand, ni un client. Il est vrai qu’en ces peintures, les étals de légumes étaient tenus par des femmes. Mais, celle que nous voyons forme un contraste saisissant avec la marchande de volailles. Habillée de couleurs claires, si ce n’est le rouge sanguin de sa jupe, son col ouvert dévoile la naissance de sa poitrine et ses bras sont dénudés. Pourtant, en dépit de ses habits, son regard semble gêné, car, de sa main droite, elle repousse un homme qui lui tend un pichet que l’on peut supposer rempli de vin. En effet, au-dessus de la tête de la marchande se trouve l’enseigne d’une taverne. À l’intérieur de la taverne un homme bien habillé et une femme au collet monté entretiennent une vive discussion. Quel en est le sujet, nous ne le saurons pas. Puis, plus loin, nous apercevons l’étal d’un menuisier, menuisier qui, pour équarrir une poutre de bois, doit procéder à de nombreux aller-retours avec son instrument.
Revenons maintenant à l’étal de légumes. Tout en bas nous avons des formes rondes et pleines : choux, melons, navets,… et des formes allongées et phalliques : concombres, carottes… Entre les formes rondes et allongées, se trouvent trois choux. En raison d’un mythe de l’antiquité grecque, on dit encore que les bébés naissent dans les choux (en fait les garçons, car les filles préfèrent les roses). Ainsi, cette juxtaposition de deux ensembles symboliques n’est sans doute pas fortuite. Au point que l’extrémité d’un des tubercules blancs entassés dans une bassine de bois placée au centre de la scène vient toucher le petit doigt de la vendeuse. Pire, une feuille de chou repose sur le sol aux pieds de la vendeuse, à la verticale de sa main.
Au-dessus de ce premier étagement, nous arrivons aux fruits : poires, pommes, prunes, raisins,... toutes choses que nous devons croquer crues et parfois crument. Il est vrai que dans ce genre de peinture, les artistes se plaisaient à montrer la maitrise qu’ils avaient dans la représentation des différentes matières, des ombres, des lumières et des reflets. Il est vrai aussi que le connaisseur voyait dans cette profusion, cette accumulation, cet amoncellement de fruits et de légumes la richesse d’un pays et la fécondité de la nature. Fécondité qu’il était facile de reporter sur une marchande des produits de la terre.
Mais, au sommet de cet entassement, à gauche du bras de l’homme, un petit panier clair pourvu d’une anse, dont j’aimerais bien connaître le contenu, se détache. Car plus à gauche encore, un bouquet de fleurs majoritairement blanches surgit, couronnant cette avalanche de légumes et de fruits. Bien que je ne connaisse rien aux fleurs, ni à leur langage, cette blancheur n’est pas sans rappeler les lys présents dans les "Annonciations". Ainsi, trois éléments, qui n’ont que peu de rapport avec un étal de légumes, pourraient exprimer une demande, raconter un récit. Une femme doit abandonner la blancheur virginale des fleurs et laisser un homme prendre et tendre un contenant matriciel pour obtenir un panier bien rempli.

Mais, alors comment comprendre un tel contraste d’objets, de vêtements, d’attitude, de formes, de couleurs et de symboles, si les deux marchandes refusent la fécondité ? Serait-ce que le chasseur attend patiemment, à l’affût, l’objet de son désir, tandis que le buveur, trop éméché et trop empressé, est repoussé ? Ou serait-ce encore que la femme aux poules aurait encore sa virginité, alors que la femme débraillée et à l’étal débordant aurait déjà fait preuve de sa fécondité ?

 

2. DE SAIVE Jean-Baptiste II, "A market stall with a still life of vegetables, fruit and birds".

DeSaive, "Marché aux Légumes et volailles", XVIIème siècle.

De Saive fait partie de la génération suivante. Ainsi, avec cette toile, qui pourrait être du milieu du XVIIème siècle, nous voyons que le thème du marché aux volailles et au légumes perdure. Pourtant, le sens a changé, car il semble que nous arrivions ici à une représentation de la bonne reproduction humaine.

Le tiers gauche du tableau est réservé à l’étal des volailles. Au troisième plan, un homme debout, que nous appellerons le grand-père, montre au spectateur un coq mort qu’il tient par les pattes. Coq dont la crête semble toucher le visage du jeune homme assis. À droite du grand-père, un dindon ou une dinde est accroché à un panneau de bois. Enfin, plus bas, au premier plan, sur une table de bois, d’autres oiseaux, qu’ils soient sauvages ou non, sont morts. En revanche, dans un panier rouge, nous apercevons des pains ou gâteaux à moitié couverts d’un linge blanc. Pourtant, à la différence du marché aux volailles d’Aertsen, les oeufs sont absents. Se pourrait-ils que les oeufs aient été déjà consommés ? Car, hormis le panier de couleur rouge, le marchand de volailles et le jeune homme, qui pourrait être son fils, semblent nous dire qu’il faut savoir tuer le coq et tous les volatiles sauvages ou domestiques pour dépasser le plaisir de la chair, pour en arriver enfin aux fruits de l’union. Fruits rouges que nous allons bientôt aborder.

Car, les deux jeunes gens échangent un regard amoureux. Tandis que l’homme passe son bras sur celui de la femme pour toucher sa main, atteindre son giron ou, bien encore, prendre des fruits rouges, la femme et l’enfant plongent à pleines mains dans ce panier de fruits que tous semblent convoiter. En cela, ce panier pourrait très bien être la matrice que ces trois personnages ont connu d’une manière ou d’une autre, panier qui ferait suite au panier rouge situé à gauche. Même un tubercule de l’étal se dresse à la verticale pour, peut-être, nous signifier qu’il voudrait bien en être, ou qu’il en a été. L’enfant, quant à lui, petite bouille rond se tient, souriant, près d’un chou presque aussi grand que lui, chou lui-même entouré d’autres choux.

 

3. DE SAIVE Jean-Baptiste II, "Fruttivendola".

DeSaive, "Marché aux Légumes et volailles", XVIIème siècle.

Malgré l’absence de dates, cette toile pourrait poursuivre la narration entamée avec la peinture précédente. Encore une fois, l’étal de légumes occupe les deux tiers de la toile. La vendeuse, au regard perdu, ne semble plus amoureuse, mais semble penser à l’avenir. Sa main droite repose sur deux choux rouges que je vois comme la représentation symbolique des deux enfants qui, à droite, désignent des oiseaux apparemment morts, puisque les seuls à ne pas être enfermés. Mais la main gauche de la vendeuse plonge une nouvelle fois dans un panier de fruits rouges, si ce n’est que cette fois elle est bien la seule. L’homme de son âge, le vendeur de volailles, qui pourrait très bien être son mari, s’est assoupi. Pourtant rien n’est perdu puisqu’à part les oiseaux noirs et blancs, toutes ses volailles sont encore bien vivantes, y compris le coq et la poule enfermés dans une nasse en bas à droite. Que faudrait-il alors pour agrandir la famille ? Il faudrait que cet endormi se réveille pour traverser le pont qui le relie plastiquement à la femme, il faudrait ensuite qu’il soulève le gobelet qui ferme le goulot de l’énorme cruche, qui n’est pas sans faire penser au ventre d’une femme enceinte et qu’il en arrive alors au gros chou blanc que la vendeuse tient entre son bras et son tablier. Nous aurions là un troisième enfant.

Il se pourrait que ce jeu des symboles et des parcours plastiques soit repris et redoublé par la scène qui se déroule en haut à gauche. Là, un homme d’un certain âge paraît désigner la ville à une marchande de fruits tout aussi âgée. Mais son index pourrait tout autant montrer l’endormi. Et que pourrait dire cet homme à cette femme, si ce n’est l’autre récit qui se déroule derrière eux : une femme, qui tient un énorme coq vivant sous son bras, apporte dans un panier posé sur sa tête des légumes, dont deux choux placés au beau milieu bien en évidence.

Remarquons qu’en ces peintures, l’étal de légumes prend toujours plus de place que celui des volailles, ou même des fleurs comme nous le verrons plus loin. Il y a fort à parier que l’étal de légumes symbolise la terre qui est féconde, alors que l’air, le domaine des oiseaux ne l’est pas. De même, qu’il est difficile de comprendre la présence répétée d’un panier de fruits rouges (si ce sont bien des fruits) sur un étal de légumes, qui plus est lorsque nous avons ici la présence d’une marchande de fruits.

 

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ICONOGRAPHIE

DE MUYSER Arnout, seconde moitié du XVIe siècle
"La femme du marché", huile sur toile, circa 1590, 110,5x133 cm., Naples, Museo Gallerie Nazionale di Capodimonte.
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Arnout_de_Muyser.jpg?uselang=fr

DE SAIVE Jean-Baptiste II, 1597- décédé après 1641.
"A market stall with a still life of vegetables, fruit and birds" , huile sur toile, 172,5 x 217 cm. (vente privée)
https://www.artnet.fr/artistes/jean-baptiste-de-saive-the-younger/a-market-stall-with-a-still-life-of-vegetables-tSz1jwmAsKM5GvHhbfNdPw2
DE SAIVE Jean-Baptiste II
, 1597- décédé après 1641.
"Fruttivendola", huile sur toile,181 x 233 cm. (vente privée)
https://www.artnet.fr/artistes/jean-baptiste-de-saive-the-younger/fruttivendola-yvo3E-bM5F1Sxs9JYAX0lA2

 

 

 

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