Nature morte, 1958, huile sur
Morandi, "Nature morte", 1958, huile sur toile, Vitali n°1080.
precedent suivant

 


PLANSITE-------SITEMAP---

 

Juin 2006

Dans la série des images morandiennes qui associent l'alignement ambigu au contact équivoque, j'ai trouvé cette perle. À observer la partie supérieure de la toile, le sommet de deux , ou peut-être trois objets, semble se poursuivre le long d'une même ligne horizontale à la légère obliquité. Ainsi, les deux rectangles sombres poursuivent-ils le trajet de leur sommet sur la limite, inhabituellement soulignée, séparant la panse de l'encolure du flacon. En plaçant sur une même ligne des volumes distincts, cet alignement nous conduit à imaginer leur contiguïté. À masquer de la main la moitié inférieure du tableau, nous croyons donc voir là deux ou trois éléments conjoints situés à une même profondeur.
Observons maintenant les bases. Leur étagement sur le plateau de la table devrait nous renseigner sur l'échelonnement réel des plans. Mais ici, les bases ne sont pas d'un grand secours : l'une d'elles, celle du bloc vertical gauche, étant masquée par une tasse. Heureusement,
Morandi ayant pensé à tout, nous offre des ombres portées nettement marquées pour résoudre l'énigme qu'il s'est ingénié à mettre en place. Grâce à ces ombres, nous voyons qu'il y a bien trois objets : deux blocs verticaux et un flacon, et que ces trois éléments aux sommets apparemment conjoints possèdent des bases nettement disjointes, régulièrement échelonnées dans la profondeur de l'image. Ainsi, en comptant la tasse, nous avons quatre objets, qui, en dépit de l'alignement horizontal et des nombreux contacts équivoques de contours (les deux rectangles noirs qui semblent contigus) ou de surfaces (le rectangle noir central qui pourrait représenter le coté gauche du flacon), sont tous séparés, espacés, distincts, isolés, échelonnés, en un mot solitaires.
Encore une fois, à la manière de la nature morte
Vitali n°1171, Morandi nous fait jouer les détectives en nous demandant de mener une enquête afin d'établir la vérité des rapports spatiaux. Et une nouvelle fois les ombres portées sont venues à notre secours, comme si pour le peintre, ni les volumes, ni l'étagement, ni le recouvrement ne pouvaient chacun de leur coté ou même tous ensemble arriver à donner une information fiable et complète de l'espace de la représentation.

Maintenant, je vais encore jouer les petits maîtres morandiens, l'assistant besogneux d'atelier du grand artiste, en offrant à la foule innombrable des visiteurs de ce site deux croquis personnels, qui, si ils avaient été produits en 1957, auraient pu passer pour prémonitoires alors qu'ils n'évoqueront pour la plupart d'entre vous qu'un mauvais pastiche camouflé et sournois de l'oeuvre du maître :

Figure ambigue : "Trois blocs", alignement équivoque.Figure ambigue : "Quatre blocs", alignement équivoque.

Il est vrai que nous retrouvons, en ces deux images, un conflit identique à celui de la toile présentée. Le croquis gauche (voir l'analyse) présente des volumes dont l'alignement des sommets contredit tant l'étagement des bases que le contact des contours verticaux, et en cela représente la version impossible de la nature morte. Le croquis droit (voir l'analyse) offre la version possible : en dépit de l'alignement des sommets, les bases s'étagent, distantes et distinctes dans la profondeur de l'espace. Mais ces deux images font bien pâle figure, qui évoquent les schémas explicatifs d'un manuel de perspective pour apprenti dessinateur où l'on présenterait à la sagacité du postulant quelques écueils de la mécanique de la représentation spatiale. Morandi quant à lui propose une toile complexe, où les multiples chausse-trappes et fausses pistes mis en place par le peintre, incitent le spectateur à jouer les détectives de l'ombre afin de résoudre l'énigme proposée au soleil couchant.

 

Peinture visible à :
Milan, collection privée
Image reproduite dans :
Vitali Lamberto, Morandi, catalogo generale, n°1080, volume II, Éditions Electa, Turin, 1977.

 

 

 

RETOUR AU SOMMAIRE

RETOUR À L'ACCUEIL

precedent suivant