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Tableau de la classification des orientations ambigues, 2.
ESSAI DE CLASSIFICATION DES ORIENTATIONS AMBIGU│S (2)

RAPPEL
Le texte que vous avez sous les yeux constitue une nouvelle (novembre 2010) tentative de classification des figures impossibles et ambiguës. Il est sans doute bon de rappeler que ces classifications ne concernent que les figures qui traitent de la profondeur, que ce soit à travers l'échelonnement ou l'orientation des plans. L'orientation était présente dans la classification précédente, mais était uniquement représentée par la catégorie des figures réversibles. Depuis cette Classification toujours perfectible des figures impossibles et ambiguës publiée en 2000 et modifiée en mars 2004, beaucoup de nouvelles images sont passées devant mes yeux. Certaines ne rentraient pas dans le moule rigide de la classification précédente. Les anamorphoses, tant en raison de la déambulation du spectateur que de la manipulation du support ou de l'utilisation de miroirs posaient déjà problème. Il eût été facile de les ignorer, mais d'autres images, comme les triscèles et les triple-faces qui ont donné lieu à articles, posaient aussi problème. Enfin, il y avait encore toutes ces images, mises de coté, ne sachant comment en parler, les définir et où les ranger.

 

4) L’AMBIGU D'ORIENTATION DU FOND

DÉFINITION
À la différence de l'ambigu de la figure et du fond où quelque chose de connaissable ou reconnaissable apparaît dès la première perception avant toute manipulation, l’ambigu du fond concerne les représentations où aucune forme précise ne se dégage du fond, à savoir le support total de l'image. En ces images, le fond est un chaos incompréhensible. Ainsi, ce n’est qu’après une manipulation particulière ou même encore une déambulation précise opérée par le spectateur que pourra surgir la figure camouflée dans le fond. En cela, le support n'a plus à être considéré comme un plan frontal sujet à divers retournements, mais comme un matériau à part entière pouvant être orienté dans toutes les directions de l'espace. Bizarrement, pour une raison que j'ignore, l'ensemble des anamorphoses travaille le fond de l'image.

DE LA SUPERPOSITION
Une anamorphose latérale demande à être perçue à partir d'un angle de vision particulier, l'angle sous lequel l'image incompréhensible reprendra sa forme initiale. Pour ce faire, il suffit de trouver la vue rasante, qui, partant du petit coté du trapèze, permet de revenir au modèle, ci-dessous, quadrillé. La manipulation du support paraît ainsi évidente. Mais, cette même image (ci-dessous, gravure tirée du livre de Jean-François Niceron) aurait très bien pu être reproduite sur la toile d'un tableau ou le mur d'un bâtiment. En ces occurrences, la déambulation du corps remplace la manipulation du support, pour arriver à percevoir l'image non déformée. Il n'en reste pas moins que, dans un cas comme dans l'autre, nous avons à passer d'une vision frontale à une vue rasante. Ainsi, l'anamorphose latérale demande un changement de point de vue, changement qui relève de l'obliquité à savoir une vision ou un placement oblique. À revenir aux trois principes plastiques de l'ambiguïté spatiale, l'anamorphose latérale obéit au principe de la superposition équivoque. Car ici, deux images différentes apparaissent successivement à partir d'un même tracé matériel. Ce qu'un article précédent avait déjà envisagée : L'anamorphose comme superposition équivoque.

 

Niceron, anamorphose latérale, gravure.

 

La situation se complique avec les anamorphoses en volume, qui peuvent prendre la forme d'une pyramide ou bien celle d'un cône (ci-dessous, autre gravure tirée du livre de Jean-François Niceron). Avec ce type de construction, il ne faudrait pas confondre la fabrication préalable du volume en papier avec la manipulation demandée au spectateur. Car, comme pour l'anamorphose à cannelures, la manipulation n'intervient qu'une fois l'objet construit. Vous devez donc vous imaginer devant une table sur laquelle serait posée une de ces anamorphoses. Vous seriez face à un dessin incompréhensible recouvrant l'ensemble du volume. Pour découvrir l'image, deux solutions s'offrent alors à vous : se placer à la verticale de l'objet ou le prendre en main afin de le regarder par la pointe. C'est alors que vous pourrez percevoir l'image reproduite sur le carré apparent de la pyramide vue sous cet angle unique ou le disque apparent du cône regardé à partir de ce point de vue particulier. Nous retrouvons donc les deux méthodes déjà évoquées pour révéler l'image : la manipulation du support (sa prise en main) ou la déambulation autour de lui (la recherche du bon angle de vision) .
Nous avons maintenant à retrouver l'obliquité du support. Rien de plus facile, car la déambulation et la manipulation vous obligent à observer des plans s'éloignant dans l'obliquité de l'espace, que ce soient les quatre faces de la pyramide ou le plan unique et continu du cône.

 

Niceron : anamorphose en cone de papier, gravure.

 

DU CONTACT
Ce type d'anamorphose est connu depuis
Niceron. Dans son livre (voir biblio en bas de page), celui-ci en présentait même une variante à miroir qui, bien que fixée au mur, en arrive à éviter la déambulation du spectateur. La figure LV montre dans un miroir le reflet des cannelures supérieures du dispositif, offrant ainsi à la vue, le visage de quelqu'un ressemblant à François I (LIV). Mais le dispositif étant accroché en hauteur, le spectateur pouvait, sans avoir à se déplacer, reconnaître un second visage (LVI) formé par les cannelures inférieures masquées dans l'ombre de la gravure.
Si l'anamorphose à cannelures est encadrée ou fixée au mur, seule la déambulation du spectateur est à même de faire apparaître les portraits cachés. Il est cependant vrai que certaines de ces anamorphoses en forme d'accordéon sont sur un support pouvant être manipulé et qu'ainsi une simple manipulation suffit à dévoiler les images. Mais, dans un cas comme dans l'autre, nous restons dans l'obliquité du support, car chacun comprendra que seul un point de vue oblique sur le support est à même de nous révéler ce qui était caché.
À se poser maintenant la question de la catégorie plastique de l'ambiguïté spatiale, la réponse sera simple : nous sommes devant un contact équivoque. Le point de vue idéal suppose que le spectateur trouve l'angle exact sous lequel l'ensemble des bandes verticales de papier, bien qu'échelonnées dans la succession des dents de scie du support, paraissent contiguës. Nous avons là un contact équivoque de contour où les cotés de chaque bande semblent entrer en contact tant avec le bord de la bande suivante que celui de la précédente.

 

Niceron : anamorphose à cannelures, gravure.

 

Cette planche extraite de La Perspective Pratique du Père Du Breuil (1649) présente une anamorphose à pyramide en miroir et non de papier. Cette pyramide réfléchissante devrait être placée sur le carré central. Vue par la pointe, les quatre triangles hachurés, éparpillés à la surface du feuillet dans les quatre directions de l'espace plan, se réunissent pour former un carré où l'on retrouve l'image initiale ayant servi de modèle. Mais à comprendre cet enchaînement de plans et de volumes, il ne faudrait pas oublier que nous sommes partis d'une image plane (les cinq visages tourneboulés) pour aboutir, par l'intermédiaire d'un volume de verre, à une seconde image plane (un portrait unique et réaliste) perçue par l'oeil du spectateur idéalement placé.
Tout comme avec l'anamorphose conique, le modèle n'apparaît pas, le visage final étant morcelé et caché à travers les différents portraits de la gravure. Tout comme avec l'anamorphose conique, nous devons déambuler afin de trouver le point de vue idéal : placer notre oeil à la verticale de la pointe de la pyramide afin de voir un carré miroitant où se reflètent et se rejoignent les quatre triangles hachurés de la gravure. Tout comme avec l'anamorphose conique, nous portons ainsi un regard oblique sur les pentes de la pyramide. Tout comme avec l'anamorphose conique, le dispositif plastique nous demande d'aligner l'image étoilée avec l'image carrée, sans que celles-ci ne soient en contact ou ne se superposent.

 

Du Breuil : anamorphose catoptrique à pyramide, gravure.

 

Il est pourtant vrai que la base de chaque triangle gravé entre en contact avec la base de chaque triangle de verre. Mais là encore, un élément supplémentaire comme un support plan vitré pourrait très bien éloigner la gravure de la pyramide. Il est pourtant vrai que les quatre cotés de la pyramide mettent en contact les quatre triangles éparpillés à la surface de la feuille. Et là, force est de reconnaître une contiguïté nécessaire. Mais, à la manière de beaucoup de figures classiques sans miroir, les spécialistes de la spécialité, ceux ayant parcouru d'un oeil distrait une centaine de pages du site, vous diront que l'on rencontre souvent des alignements mâtinés de contact et des contiguïtés associées à des alignements. Ainsi, nous en terminerons avec ces impossibles dispositifs, en supposant que l'alignement ambigu domine dans les anamorphoses catoptriques à cylindre et à cône, tandis qu'il se pourrait que le contact équivoque soit prédominant avec les anamorphoses catoptriques à pyramide.

DE L'ALIGNEMENT
En son livre,
Jean-François Niceron déforme grâce à une anamorphose cylindrique le portrait de Saint-François de Paule réalisé par Simon Vouet. Cette image ne présente que le mode de construction graphique : le modèle quadrillé et sa déformation en arc de cercle. Afin de retrouver le portrait initial (qui ne devrait pas apparaître, comme ici, en tant que tel sur le support final), il faudrait placer un miroir cylindrique à l'emplacement du cercle médian, puis trouver l'angle sous lequel la déformation placée tête-bêche reprendrait sa forme initiale par l'intermédiaire de son reflet dans le cylindre.
En cela, ce n'est pas tant la manipulation, le cylindre pouvant être mis en place avant la venue du spectateur, que la déambulation qui prime. Car, si le spectateur doit éviter le piège qui consiste à porter son regard sur l'image couchée sur le papier, il doit encore trouver le point de vue exact sous lequel le reflet perçu dans le miroir le renverra à l'image initiale. Pire encore, à la différence de l'anamorphose latérale réduite à un parcours de 180° devant le papier ou le mur, l'anamorphose cylindrique ouvre un trajet de 360° autour du miroir, qui, de plus, nécessite une recherche d'environ 90° dans la hauteur de l'espace (de la base du cylindre à une vue d'avion), afin d'atteindre le point de vue idéal.
Quant à l'obliquité, celle-ci sera maintenant à considérer en son rapport avec la surface du miroir plutôt qu'avec celle de l'image tracée sur la papier. Car, c'est en portant un regard oblique, à savoir une vue plongeante, sur le miroir que l'image pourra enfin être découverte et reconnue.

 

Niceron : anamorphose cylindrique, gravure.

 

En ce qui concerne la classification plastique, la tâche s'avère tout aussi délicate pour les anamorphoses à miroir que pour les anamorphoses précédentes, constituées de volumes en papier. Il se trouve pourtant que nous avons deux éléments distincts : l'image plane déformée et le miroir. L'un sans l'autre, le retour à l'image initiale ne pourrait s'opérer. En cela, la présence de deux éléments nous laisse le choix entre le contact équivoque (déjà abordé avec l'anamorphose à cannelures) et l'alignement. Bien que le contact de la base du cylindre avec le cercle dessiné sur le papier soit évident, nous ne nous laisserons pas abuser par ce détail : le cylindre pourrait être suspendu par un fil au-dessus du papier sans que l'image réfléchie en souffre beaucoup. Le dispositif plastique nous demande seulement de trouver l'angle exact et unique sous lequel l'image dessinée viendra inscrire une forme reconnaissable à la surface du miroir. À l'évidence ces deux images sont éloignées et, toujours à l'évidence, il n'y a jamais de contact entre elles. Seul l'alignement peut expliquer cette situation. Le dispositif en place veut que notre oeil en arrive à aligner deux éléments distincts sans que ces derniers n'entrent en contact ou ne se superposent.
 

PAGES SUIVANTES
II. LES CATÉGORIES DE L'IMPOSSIBLE
III. LE PROCESSUS DE LA SIGNIFICATION
IV. FINAL

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I. LES CATÉGORIES DE L'AMBIGU

 

 

BIBLIOGRAPHIE
NICERON Jean-François
,
La perspective curieuse, Magie artificielle des effets merveilleux de l'optique par la vision directe,
Paris, 1638, in-fol., réimprimée avec l'Optique et la Catoptrique du P. Mersenne, ibid., 1652, in-fol.

WEBOGRAPHIE
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Fran%C3%A7ois_Niceron
Page Wikipedia à propos de
Jean-François Niceron.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k105514z.planchecontact.r=%22Niceron+jean-fran%C3%A7ois%22.f145.langFR
Page de Gallica reprenant en vignette les gravures du livre de Niceron.

 

 

 

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