THÉORIE |
"Qu'est-ce que le contact équivoque ?" |
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Le contact équivoque est une des trois catégories plastiques pouvant donner lieu à ambiguïté spatiale. En l’absence de représentation du sol ou faute d’une définition suffisante de l’espace, la contiguïté des contours ou des surfaces de deux aplats, de deux formes, ou de deux volumes devient incertaine. L’ambiguïté du contact en arrive alors à opposer deux interprétations possibles des relations spatiales entre les éléments en présence. Afin de mieux cerner cette catégorie plastique de l’ambigu nous allons prendre des exemples inconnus du grand public.
DESSINER UN CONTACT ÉQUIVOQUE
A. LES DEUX POLYGONES OU L'IMPOSSIBLE ÉVALUATION DE L'ESPACE Le contact équivoque de surfaces concerne les figures possédant des plans ou des volumes partiellement superposés comme ces Deux Polygones. Faute d’informations spatiales, nous voyons deux rectangles qui peuvent tout autant être en contact que dispersées dans la profondeur de l’espace. En cela, nous avons déjà ambiguïté : nous hésitons entre l’éventuelle contiguïté des formes en présence et leur hypothétique séparation. Cette séparation est, quant à elle, encore plus équivoque en ce qu'elle ne permet pas d'évaluer la distance qui sépare les deux rectangles, cette distance pouvant aller du millimètre à plusieurs mètres.
Nous voyons ainsi, avec cette première figure, que les formes les plus simples, en raison même de la pauvreté des informations qu'elles nous concèdent, peuvent être des plus ambiguës tant à un niveau formel que spatial.
B. LE T À CONTACT DE SURFACES Là, nous avons encore un contact de surface équivoque. Mais, certaines différences sont à noter. En premier lieu, les volumes et l’alignement du coté de leurs bases le long d’une fuyante suggèrent la présence d’un sol. Pourtant, faute d’ombres portées ou de détails figuratifs, la poutre horizontale peut tout autant être fixée à la verticale (à respecter la contiguïté apparente des surfaces) que posée au sol en arrière (à suivre la fuyante des cotés des bases). En revanche, la disposition de ces volumes nous interdit d’imaginer la poutre recouverte en avant de sa congénère. Ce qui n’est pas le cas de tous les volumes comme nous allons le voir avec la figure suivante.
C. LE T À CONTACT DE CONTOURS À la différence de la figure précédente, la barre horizontale pourrait très bien, en une troisième vision, se trouver en avant de la verticale. Cette situation, bien qu’étant la plus difficile à imaginer, ne présente aucune difficulté plastique, et nous retrouvons cette fois avec des volumes la situation des surfaces des Deux Polygones.
Nous obtenons ainsi trois positions spatiales de la poutre horizontale : en avant de la poutre verticale (non représentée), au même niveau qu'elle (vue 1) ou en son arrière (vue 2). Mais, le contact des deux poutres ne reposant que sur une arête, l’hypothèse de leur supposée contiguïté paraîtra à certains beaucoup moins prégnante que celle du T à contact de surfaces.
PHOTOGRAPHIER UN CONTACT AMBIGU
Certains pourraient penser que les figures ambiguës présentées ici ne relèvent de représentations en deux dimensions simplistes, que ces ambiguïtés spatiales ne trouveraient leur place que dans les livres consacrés aux illusions d'optique, tandis que le réel serait certain, stable et univoque. Les photos que nous allons aborder maintenant reprennent pourtant les principes plastiques des figures précédentes pour rendre compte d'équivoques visuelles identiques mais perçues dans le réel.
A. LA CROIX DU CIEL OU L'IMPOSSIBLE ÉVALUATION DE L'ESPACE Le contact équivoque n’étant pas confiné à l’image dessinée, nous pouvons retrouver cette situation à l’état “naturel”. Ainsi, à la manière des Deux Polygones, vous aurez bien du mal à évaluer la distance qui sépare les lignes de cette photo, mais leur échelonnement reste perceptible. En raison du recouvrement des lignes, le gros câble est situé au premier plan, le plus fin au second (sans que nous puissions évaluer la distance qui les sépare), et la traîne d'avion représente le tracé le plus éloigné.
Mais, le croisement de ces trois tracés en en même point et l'absence des repères habituels de profondeur (position au sol, diminution de taille,...) peuvent nous inciter à les imaginer à une même distance. C'est là que se trouve la contiguïté illusoire. Seule la connaissance du tracé blanc comme traîne d'avion est à même de nous la faire repousser à une distance considérable des tracés noirs.
B. LA CROIX DE VASSIVIÈRE OU LE CONTACT DE CONTOURS La Croix de la première photo semble posée sur le muret de pierre. Pour lors rien d’équivoque. Pourtant, quelqu’un étant passé en ce lieu saurait que cette croix repose au sol, loin en arrière du muret, comme le montre la seconde photo. Ainsi, nous retrouvons dans le réel la problématique du T à contact de contours. À regarder de nouveau la première photo, nous pouvons maintenant hésiter entre notre perception d’une croix posée sur le muret et notre connaissance de la croix posée au sol. De même, à l’endroit exact où la photo a été prise, en dépit de notre vision binoculaire, de la profondeur de champ et toutes ces sortes de choses, nous aurions une vision ambiguë des relations spatiales régissant ces éléments du réel.
Ainsi, le contact équivoque relève tout autant de la perception du réel que de la représentation. Nous pourrions en effet construire le T, et l’observer d’un point de vue particulier, afin que l’ambiguïté du dessin se prolonge dans sa construction en volumes. Ces deux ambigus, l’un de l’image et l’autre du réel, ne produisent pourtant pas les mêmes effets : alors que l’indécision de la construction n’est que temporaire, celle du dessin reste à jamais indécidable. Car le système perceptif possède des lacunes qu’un simple déplacement suffira à combler, alors que le système de la représentation, figé dans une image au point de vue obligé, est contraint d’afficher la permanence de son équivocité. Le passage d’un ambigu temporaire à un ambigu permanent marque la frontière entre la réalité et sa représentation. Mais, qu’elle soit permanente ou temporaire, cette indécidabilité induit une critique des systèmes de la représentation et de la perception, qui sont tous deux dans l’incapacité de nous donner des informations toujours fiables sur l’espace qu’ils mettent en place.
C. LE REFLET OU L'IMPROBABLE CONTACT DE SURFACES Si vous n'aviez pas lu l'intitulé du paragraphe, vous auriez pu croire à la présence d'un carreau lumineux enchâssé à l'intérieur d'une dalle noire. En fait, perçu sous cet angle, un carré de néon placé au plafond d'un aéroport vient se refléter au centre d'une dalle du sol de l'édifice. En se déplaçant dans le réel, le reflet cheminerait de dalle en dalle, rendant de plus en plus improbable le contact du blanc et du noir. C'est la position centrale et symétrique du cabochon blanc qui rend crédible son incrustation dans le carré noir. Ainsi la photo rend acceptable ce que le réel réfute.
Il est à noter que les reflets et les miroirs participent d'une manière particulière aux ambiguïtés spatiales du monde réel. Ici, l'objet qui pose problème, le carré de néons, se situe dans le hors-champ de l'image et même de la perception du photographe. Ainsi, un passant n'a perçu que l'image d'un carré de néons dans le réel, tandis que le regardeur de la photo voit l'image d'un carré de néons dans l'image de la photographie : une mise en abyme.
D. LE N OU LA TORSION DU CONTACT Les ombres posent autant de problèmes au réel que les reflets. Ce poteau est ainsi normalement attaché à l'ombre droite qu'il porte au sol, mais, le point de vue de la photographie peut laisser croire à un regardeur crédule qu'il est attaché à une autre ombre située à sa gauche. Si la première l'attache par sa base, situation normale, la seconde le fait par son sommet, situation fort improbable. Pourtant, bien que peu crédible, ce second attachement en arrive alors à tordre l'espace. Tandis que certains tendront à courber le sommet du poteau vers le sol, d'autres choisiront de relever l'ombre vers le sommet du poteau.
ADDENDUM
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