ARTICLE

"Les faux raccords en photographie, page 1"

 


PLANSITE------SITEMAP-----

 

Novembre 2017

 

FAUX RACCORDS ET REPRÉSENTATION EN DEUX DIMENSIONS

Depuis quelque temps, et peut-être plusieurs années le web affiche des photographies présentant des corps qui, au premier abord, semblent incohérents. Ces IMAGES déMONTRENT QUE notre système perceptif éprouve parfois des difficultés à raccorder les différentes parties du corps ! Des têtes ne sont pas accordées avec le bon torse tandis que des jambes ne trouvent pas le bon corps. Ces ratés de la perception devraient intéresser les cognitivistes.

LES FAUX RACCORDS DES CORPS

1. LES TÊTES ET LES CORPS

Cette photographie du magazine Life exprime de manière simple le principe du faux raccord : un élément d'un corps éprouve des difficultés à être raccordé avec le reste de son corps. Ici, par exemple, nous ne savons pas si la tête appartient au corps gauche ou au corps droit.
Cette problématique ne devrait pas intéresser un site consacré aux ambiguïtés spatiales. Mais, si nous n'avons pas avec cette image un hiatus de la profondeur, nous avons à déplacer un raccord formel de la gauche vers la droite pour résoudre le problème posé. Ainsi, se pose une autre question relative à l'espace : celle de la latéralité.
Le problème avec cette première image est que nous restons, y compris après un examen attentif, dans une indécidabilité des lectures. Personnellement, je pencherai pour la solution d'une tête appartenant au corps de gauche. Mais, mon avis ne repose pas tant sur un raccord plus difficile avec le corps de droite, une torsion plus prononcée quoique toujours possible, que sur des questions de corpulence (la tête s'accorde mieux à la carrure de la femme de gauche) et, étonnamment, de valeurs (les gris s'accordent de manière plus évidente avec le corps situé à gauche).
En ce début, on voit que la question des faux raccords s'intéresse peu à la profondeur de l'image. La position des formes dans la latéralité de l'espace est, quant à elle, primordiale. Nous aurons donc à étudier les différents raccords possibles entre les formes, et, étonnamment, pour affirmer le choix d'un raccord, nous aurons à observer leurs directions, leurs tailles, leurs couleurs et leurs valeurs, tous éléments plastiques qui concourent à l'ambiguïté perçue.

 

Photographie avec un raccord équivoque des corps.

 

Malgré ce qui vient d'être dit, il est possible de trouver des images qui remettent en question la profondeur de l'espace. Ainsi, la tête, ci-dessous, semble reposer sur un corps immense. Mais cette distorsion ne nous laisse pas démuni. Bien, vite, nous sommes amenés à supposer qu'en penchant sa tête vers la table, le personnage de dos placé au premier plan laisse apparaître la tête du personnage situé en son avant.
L'ambiguïté diffère ainsi de l'image précédente. D'une part, c'est bien la profondeur des plans qui est ici atteinte : une fausse contiguïté laisse croire que deux éléments échelonnés dans l'espace sont raccordés. D'autre part, nous n'hésitons plus sans fin entre deux contiguïtés égales, mais pouvons résoudre, grâce à une hypothèse, l'incohérence d'une première lecture de l'image.
En fait, nous avons avec cette image quelque chose qui hésite entre le faux raccord et la perspective forcée. Cette dernière pratique utilise aussi des contiguïtés illusoires, mais de manière tout à fait volontaire et dans le but de réunir deux éléments échelonnés dans l'espace (voir les trois pages consacrées à la perspective forcée).

 

Photographie avec un faux raccord des corps, 1.

 

Malgré ce que nous croyons voir dans la photographie suivante, nous savons bien que l'énorme tête masculine ne peut être raccordée à ce corps gracile et féminin. Là encore, nous devons faire un travail de lecture de l'image afin que la réalité spatiale apparaisse enfin : la tête de la femme penchée sur son ami est totalement cachée par la tête de l'homme. Et, comme de par sa position et sa direction, cette tête peut tout autant être raccordée au chemisier blanc de la femme qu'au polo noir de l'homme, l'ambiguïté s'installe. C'est ainsi qu'à vouloir regarder par dessus l'épaule de son compagnon, cette femme perd la tête.
Mais, ici, un autre problème se pose. En dépit de la reconstitution intellectuelle de la position des corps dans l'espace, je persiste à voir une tête masculine sur un corps féminin. Sans cesse, je dois faire un effort pour retourner à la réalité. Le pire étant que cette attirance de la tête masculine pour ce corps féminin ne correspond à aucune logique plastique. Les tailles sont à l'évidence disproportionnées, les couleurs devraient nous inciter à raccorder ces cheveux noirs avec un polo noir plutôt qu'à un chemisier blanc... Il se pourrait ici que l'arrondi du dos blanc et l'inclinaison de la tête constituent une direction plus acceptable pour notre vision que la cassure, l'angle presque droit, formée par le visage et le vêtement noir.

 

Photographie avec un faux raccord des corps, 2.

 

2. LES JAMBES ET LES CORPS

Parfois ce sont les jambes et les corps qui semblent dépareillés ou mal appareillés. Une jeune femme en robe noire semble portée à l'horizontale par un couple en jean. Pourtant, il est ici facile de reconstituer la position réelle des corps. C'est le personnage central, portant écharpe, qui est soulevé dans les airs par l'homme et la femme situés à sa gauche et à sa droite. Comment cette disposition des corps, plus habituelle et plus logique, a-t-elle pu être remise en cause par une position moins courante et plus délicate à tenir ?
Nous retrouvons en ce faux raccord, l'importance des couleurs et des directions. En ce qui concerne les couleurs, il est certain que le chemisier noir s'accorde mieux avec la jupe noire que le chemisier à fleurs. Mais les directions sont encore plus importantes. En premier lieu, la posture cambrée de la femme au chemisier noir et en jean est moins acceptable que le supposé corps rectiligne qui réunirait le chemisier à fleurs à ce même jean. En second lieu, les deux positions possibles de la femme au chemisier à fleurs étant aussi acceptables l'une que l'autre, c'est la femme au chemisier noir qui va imposer son point de vue. Et là, un corps rectiligne même à l'horizontale semble plus crédible qu'une torsion exagérée sur le coté.

 

Photographie avec un faux raccord des corps, 3.

 

Cette autre photo pose des problèmes différents, bien que nous retrouvions les faits plastiques précédents. Ainsi, les couleurs s'accordent pour que les jambes repliées soit associées à l'homme et les jambes portantes à la femme. De même, les directions des différentes parties du corps font que la courbure de l'homme soulevé dans les airs reste acceptable, tandis que la verticalité de la femme semble réelle. Mais des élément qui relèvent plutôt du sémantique peuvent encore entrer en jeu. Tandis que le bras apparemment ballant de l'homme laisse entendre qu'il est passif, les bras et mains contractés de la femme laissent à penser qu'elle porte l'homme.

 

Photographie avec un faux raccord des corps, 4.

 

La dernière image de cette page concerne cette fois un seul corps, qui, par un jeu complexe d'ambiguïtés, laisse croire à la présence d'un second personnage. L'homme assis sur son scooter à une jambe repliée de telle manière que cette dernière peut faire croire à la présence d'une femme casquée de bleu et penchée vers l'avant.
Pour en arriver à cette situation visuelle, il a fallu qu'un concours de circonstances des plus improbables se mette en place :
- une quantité conséquente d'analogies formelles : une cuisse devient un dos, un genou une épaule, et un mollet le bras d' une femme.
- une contiguïté équivoque entre le genou de l'homme et le casque bleu.
- un faux raccord entre la jambe posée au sol qui peut tout autant appartenir à l'homme assis qu'à la supposée jeune femme.

Pourtant, des éléments manquent. Lorsque nous contemplons la femme nous ne comprenons plus où peuvent être les jambes de l'homme et lorsque nous observons l'homme, il n'y a plus de femme. Cette image diffère donc des précédentes, puisqu'ici, un des corps est totalement inventé à partir d'éléments disparates qui ne correspondent pas au corps d'une femme réelle. Ainsi, nous sommes amenés à balancer d'une interprétation à l'autre. Nous savons bien qu'il n'y a là qu'un personnage et ne pouvons pourtant, malgré les faits, nous empêcher d'imaginer le second. La force des analogies formelles, des fausses contiguïtés et des faux raccords est ici telle que nous plaçons sur un même pied le réel et sa perception déformée.

 

Photographie avec un faux raccord, 5.

 

Mais le détail de la jambe commune aux deux personnages, n'est pas sans rappeler une autre pratique : la Triscèle. Dans une triscèle classique une jambe peut être associée à la précédente ou à la suivante pour être comprise comme un couple. De même qu'ici la jambe tendue peut tout autant être attribuée à l'homme qu'à la femme.
Qui aurait pu croire qu'une manière de triscèle puisse être trouvée dans la réalité du monde !
 

PAGE SUIVANTE : Les faux raccords en photographie, page 2.

 

WEBOGRAPHIE

http://www.deceptology.com/2012/06/which-girl-does-he-carry-optical.html
Photo de l'homme et de la femme portant une autre femme.
http://izismile.com/2012/03/19/look_very_closely_20_pics.html
Page de faux raccords (sans références).
http://www.boredpanda.com/perfectly-timed-photos/
Page de trente faux raccords (parfois avec référence).
http://life.time.com/
Photo du magazine
Life, une tête et deux corps de femme enlacées (mais pas trouvée sur le site de Life)

ICONOGRAPHIE

Voir la page consacrée aux Triscèles et Triple-faces.

 

 

 

RETOUR AU SOMMAIRE

RETOUR À L'ACCUEIL