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Figure impossible, "Poutres", détail d'une gravure de William Hogarth.
LES POUTRES DE WILLIAM HOGARTH OU LE CONTACT IMPOSSIBLE.

AVERTISSEMENT
Cette image n'est qu'un détail de
Satire on false perspective de William Hogarth, gravure dont vous pourrez voir l'intégralité en cliquant sur le lien précédent. De même que vous pourrez, en cliquant sur le lien suivant, lire l'intégralité des erreurs de perspective imaginées par l'artiste.

 

Si nous revenons à l’enseigne et que nous en considérons les poutres, nous rencontrons alors un ultime faux échelonnement. Les deux poutres supportant le panneau à la lune couchée sont dans un rapport tel que la situation décrite est impossible. Une approche visuelle nous permet en fait d’imaginer deux impossibilités différentes. À supposer tout d’abord que l’enseigne toute entière fasse partie de l’auberge située au deuxième plan, nous voyons que la base de la poutre oblique ne peut venir recouvrir le premier bâtiment. Cette situation n’est pas sans rappeler la superposition inversée, mais alors que le panneau de l’enseigne se passait du contact avec les arbres pour produire un faux échelonnement, ce détail affirme la contiguïté des éléments. Ainsi, les Poutres se distinguent de l’Enseigne en ce que nous avons un contact visible et marqué entre les éléments. Mais nous pouvons encore voir une deuxième disposition. Cette enseigne fixée à la bâtisse du premier plan par sa poutre oblique s’en éloignerait ensuite pour venir s’appuyer, de manière tout aussi visible, marquée et impossible, à l’auberge. Mais, cette vision qui nous éloigne de la superposition inversée, nécessite encore un contact entre les éléments pour devenir impossible. En effet, nous pourrions construire cette enseigne de telle manière que la poutre oblique supporte les autres éléments à la verticale de la bâtisse. Cela étant dit, nous devons maintenant rechercher la logique plastique de ces deux visions impossibles.

En effet, si l’approche visuelle permet d’appréhender cette absurdité, elle n’en constitue ni l’origine, ni l’explication. Notre vision doit donc s’appuyer sur une logique plastique de la représentation de la profondeur pour en arriver à percevoir de l’impossible en ce détail. Malheureusement cette logique, à savoir les règles de la perspective la plus élémentaire, sont à de multiples reprises trahies par ces Poutres. Ainsi, bien que le sommet du chevron horizontal soit visible, nous n’en apercevons pas moins le dessous de la poutre oblique. De même, alors que la poutre supérieure est appréhendée en son milieu, la barre oblique semble perçue par son côté gauche. Pourtant, ces incohérences sont minimes, non seulement parce qu’elles sont restées jusqu’ici inaperçues, mais, plus encore, par le fait qu’elles viennent s’ajouter à un non-respect antérieur d’une logique plus générale. Logique que nous venons en fait d’expliciter, en décrivant les deux impossibilités que ce détail pouvait laisser augurer. En effet, pour être qualifiées d’impossibles, ces deux descriptions supposent que les extrémités de deux éléments rectilignes et conjoints, situés dans un plan vertical frontal, ne peuvent atteindre des profondeurs différentes. Ainsi, quelque chose, qui ne relève plus du plastique, nous pousse à considérer que ces poutres, malgré leur rendu perspectif incohérent, doivent encore et toujours être situées dans un plan frontal. Afin de cerner ce besoin, une approche sémantique s’avère nécessaire.

Il apparaît alors que la fonction de ces poutres nous demande de les placer à la verticale l’une de l’autre dans un plan commun. Seule la fonction architectonique de support, que nous attribuons à ces éléments, peut expliquer leur disposition supposée, malgré l’incohérence du dessin. En effet, nous n’ignorons pas que deux morceaux de bois anodins, même conjoints par une de leurs extrémités, peuvent prendre n’importe quelle direction. Ainsi, bien qu’elle permette de décider de l’impossibilité d’une articulation plastique, cette fonction relève du niveau sémantique en ce qu’elle est déduite de la signification dévolue aux éléments en présence. La contradiction entre le discours sémantique et la configuration plastique est une nouvelle fois à l’origine de l’incohérence du dessin. Mais si cette contradiction des approches se trouvait déjà dans la superposition inversée et l’alignement ambigu, nous ne sommes plus dans le même registre d’actualisation. Avec cette figure impossible, nous nous éloignons de l’ambiguïté d’un alignement qui offre deux interprétations possibles d’une même situation, entre lesquelles, faute d’informations, notre raison hésite. De même, si la superposition inversée offrait une image erronée, que notre raison pouvait corriger par une image virtuelle renversée du recouvrement proposé, du fait de ses contiguïtés marquées, le contact impossible paraît insoluble. Nous sommes pris au piège d’un cercle vicieux d’articulations inextricablement mêlées dans une boucle incohérente de fausses contiguïtés.

À rechercher maintenant le but d’un tel détail, nous allons délaisser l’erreur et le hasard. Car la difficile lecture des Poutres ne nous donne qu’un faible aperçu de la complexité de leur réalisation et de leur conception. Pour cette raison, cette absurdité ne peut, comme une banale superposition inversée, être le résultat d’une erreur involontaire. De même, si le hasard peut donner lieu à un alignement ambigu dans le réel, la complexité de l’enchevêtrement des contacts n’autorise pas cette éventualité. Alors qu’une superposition inversée ou un alignement ambigu sont à la portée du premier maladroit ou du premier hasard venu, cette boucle d’incohérences réclame un véritable savoir-faire. Reste donc l’erreur volontaire, réfléchie et construite, pour rendre compte du but poursuivi. Pour connaître les raisons de cette volonté, recherchons alors ce que cette erreur cherche à nous dire. Au-delà de la prétention pédagogique et des ambitions humoristiques de la gravure, ce détail ébauche en fait une critique. Car, en tant que construction volontairement impossible, les Poutres dévoilent les possibilités insoupçonnées de la représentation. Alors que les limites du système perspectif à rendre compte de la troisième dimension sont depuis longtemps connues, cette erreur montre la capacité de la représentation à créer une réalité que la réalité ne peut reproduire. Ainsi, une construction impossible peut tout autant rappeler les failles d’un système ab absurdo que sa capacité à créer une réalité ex nihilo. Alors que les moyens de la représentation avaient jusqu’ici à supporter l’impossible passage des trois dimensions de la réalité aux deux dimensions de l’image, nous pouvons maintenant leur imputer un autre impossible passage : celui de la réalisation en trois dimensions d’une image bidimensionnelle.

 

ADDENDUM
Les
Poutres de la gravure de William Hogarth pourraient très bien être considérées comme une incarnation antérieure de la Tripoutre de Penrose, Tripoutre dont vous pouvez lire une analyse succincte de cette célèbre et essentielle construction impossible.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

HOGARTH William, Satire on False Perspective, gravure sur cuivre, 1754, frontispice du livre de :
KIRBY John Joshua, Dr Brook Taylor's Method of Perspective made easy, both in Theory and Practice, Londres, 1754.

 

 

 

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