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Il a été abruptement affirmé dans la page précédente que l'absence d'ombres était un des facteurs importants pouvant être à l'origine des lévitations de papier. Il va être maintenant affirmé et prouvé que la présence des ombres portées ne gêne en rien l'effet de lévitation, et, pire encore, qu'en certaines occurrences assez rares, ces mêmes ombres en arrivent à donner lieu à de nouvelles et originales ambiguïtés de lévitation.
IMITATIONS VOLONTAIRES DE LA LÉVITATION
Connaissant Eliott Erwitt, nous pouvons supposer qu'il y a en cette image une véritable lévitation : http://www.artic.edu/aic/collections/artwork/48359/print Mais cette lévitation a ses limites en ce qu'elle utilise la photographie pour ce qu'elle est : un moment à jamais suspendu. Ainsi, ce chien, soit qu'il fût dressé soit qu'il fût le jouet de ses propres pitreries, a très bien pu sauter en l'air de lui-même, pour redescendre les quatre pattes tendues, moment de grâce suspendu qu'Eliott Erwitt a eu la chance extrême de saisir. Mais, d'une manière ou d'une autre, en cette photographie plongeante, la présence de l'ombre portée du chien au sol est essentielle, qui donne le sentiment de lévitation. Si vous avez la curiosité de masquer du pouce cet indice déterminant, vous obtiendrez alors un animal arque bouté sur ses pattes tendues.
http://www.denis-darzacq.com/La%20Chute.htm À la manière du chien d'Eliott Erwitt évoqué précédemment, nous sommes encore en présence d'un moment suspendu. Pourtant à la différence de la photo précédente, les personnages n'ont pas été pris en vue plongeante, mais frontalement, devant des éléments verticaux du réel. Ainsi, nul ne pourrait raisonnablement supposer que ces individus sont allongés dans les airs. De ce fait l'ombre portée devient ici inutile en ce que tous ces humains sont visiblement au-dessus du plan du sol. C'est ainsi que le moment photographié du moment suspendu général, sans être crucial, est essentiel. Il a fallu que Denis Darzacq trouve en chacune de ces occurrences, l'instant qui ne relève ni de la montée, ni de la descente, ni de l'ascension déjà enfuie, ni de la chute encore à venir.
Cette photographie, elle aussi rencontrée sur le web, sans autre référence que le fait qu'elle a, en raison des textes publicitaires, été prise en Roumanie, est ,quant à elle, le résultat d'un volonté délibérée de créer une lévitation illusoire. Tout repose ici sur l'ombre portée. Détachée du personnage prenant la pose, elle indiquerait la hauteur à laquelle celui-ci se situe au-dessus du sol. Mais d'aucuns auront déjà noté que la forme de cette ombre ne correspond pas à la forme qui aurait dû être projetée par le personnage posant. Pourtant, en dépit de ce hiatus formel et de ma connaissance du trucage, j'en arrive encore à ressentir cette illusoire lévitation. Et pour les rares personnes qui ne verraient qu'elle, il leur suffira de masquer l'ombre de leur pouce pour que ce lévitant redevienne terrestre.

IMITATIONS INVOLONTAIRES DE LA LÉVITATION
Je déambulais dans les rues ensoleillées parisiennes lorsque je voulus prendre l'ombre portée au sol d'un panneau rectangulaire, de telle manière que l'on crut que cette ombre était le panneau, lui-même, fixé au poteau. Cette rencontre illusoire de l'ombre d'un panneau avec le poteau portant ce même panneau m'amusait. Mais, une fois la photo tirée sur papier, une autre ombre apparut à la base de l'image, dont la forme circulaire et la position ouvrait sur une autre équivoque. Je voyais, et je vois toujours là, l'ombre portée, quoique démesurée, de la section d'un poteau métallique s'élevant au-dessus du sol. Cette ombre n'étant pourtant que celle du crâne du photographe amateur jetable. Ainsi, comme le montrait déjà la photo roumaine, il semble que le système perceptif accepte un large éventail de tailles et de formes en ce qui concerne les ombres portées qu'il se permet d'associer à un objet. La forme peut ne pas correspondre, la taille peut être disproportionnée, il suffit que l'ombre soit située à une certaine distance de l'objet et à sa verticale pour qu'elle soit acceptée comme telle.

Cette photographie parfois rencontrée sur le web, sans aucune référence, est encore involontaire. Il est fort probable que l'ambiguïté des ombres ait été perçue et comprise après que l'image eut été prise, et il est fort probable que vous ne l'ayez pas encore perçue. Essayez donc de percevoir l'erreur qui s'est glissée dans cette image avant de poursuivre. Plusieurs personnes, deux présentes et d'autres hors-champ, jouent avec deux Frisbee. L'un, le bleu, vient d'être lancé par le joueur en maillot blanc, tandis que le second, de couleur jaune, semble provenir du hors-champ gauche de l'image. Le problème est que ces deux objets circulaires ne possèdent qu'une seule ombre. C'est ainsi que le Frisbee bleu vole dans les airs tandis que le jaune repose sur l'herbe verte non loin de l'ombre de son congénère volant. Pour vous en convaincre, observez les différentes ombres de l'image : celles-ci ne sont pas à la verticale des éléments mais placées en leur arrière. Le soleil n'étant pas au zénith, le Frisbee devrait, pour le moins, recouvrir en partie son ombre portée. Encore une fois, la proximité et la situation verticale de l'ombre par rapport à l'objet ont pris le pas sur la réalité des relations spatiales. Vous aviez pourtant été prévenu, les ombres portées, bien qu'étant censées marquer la hauteur et l'éloignement des objets placés au-dessus du sol, en arrivent à créer leurs propres ambiguïtés.

Jim vole ! Mais pourquoi Jim vole ? En un premier regard et un premier constat, tout un chacun pourrait dire que Jm semble voler pour la raison qu'il bat des bras comme un oiseau bat des ailes. Soit ! et poussant plus avant, certains remarqueront que l'inclinaison des ses chaussures, qui ne ressemblent guère à des ballerines de danseuse classique, fait qu'il lui serait difficile de marcher ou même de tenir debout sur un sol ordinaire. Soit encore ! Mais, il n'en reste pas moins que l'interprétation sémantique du monde n'est que l'ultime étape du processus perceptif. Aussi, essayons de comprendre ce qui, avant cette étape, a pu, au niveau plastique, influencer notre jugement incertain.

En premier lieu, l'absence d'ombre portée, due au couchant du soleil, n'aide pas à préciser la position de Jim par rapport à son rocher. En cette photo, nous revenons donc à l'importance des ombres portées quant à la localisation spatiale des éléments dans une image. Mais l'essentiel n'est peut être pas là, car en cette seconde photo, où aucun mouvement de bras ne semble indiquer le moindre mouvement, je ressens encore l'effet de lévitation, qui, si l'on oublie la turgescence des rochers de la côte de granit rose, présente un aspect christique. Pour lors et quant à moi, je n'ai plus qu'une supposition à avancer. Il se pourrait que les couleurs jouent ici un rôle. La plasticien débutant connaît ces deux règles antithétiques et complémentaires : sur un fond clair, les couleurs foncées passent au premier plan, tandis que les couleurs claires avancent sur un arrière-plan foncé. Les tennis blanches de ce christ touristique bretonnant seraient donc à l'origine de cette apparition humaine et prosaïque à prétention divine.

Les ombres portées ne concernent pas que la lévitation aérienne, car vous pouvez tout aussi bien voler dans les airs, en vos rêves les plus fous, que flotter dans l'eau en vos baignades aoûtiennes. C'est ainsi que ces deux playmobil ne sont pas en train de flotter dans l'azur, mais se rafraîchissent dans la piscine gonflable au fond de plastique bleu où leur propriétaire a cru bon de les placer. Ici ce ne sont pas tant les ombres portées qui posent problème, que le lieu où elles se portent. Surfeurs numériques et crédules, vous avez pu confondre momentanément le bleu céleste, sur lequel aucune ombre ne se portera jamais, avec la couleur de l'eau potable contenue dans un contenant de plastique bleu.

ADDENDUM Certaines questions avaient été évoquées en introduction à ces pages : Pourquoi léviter, léviter qui, et comment léviter? Il se trouve que certaines réponses avaient été apportées en un texte plus ancien. Si vous n'avez rien contre les élucubrations, la psychanalyse de comptoir du café du commerce, la névrose obsessionnelle, vous pouvez, en presque toute tranquillité, consulter la page suivante : Psychanalyse du Trio.
PAGE PRÉCÉDENTE : Lévitations de papier
WEBOGRAPHIE ARTISTES
http://www.denis-darzacq.com/chute-vignettes.htm Portfolio sur la chute, qui en arrive à évoquer des lévitations (cliquez sur les vignettes pour agrandir).
http://www.artic.edu/aic/collections/artwork/48359/print La photo d'un chien en lévitation par Elliot Erwitt.
https://www.williamhundley.com/phenomena Un superbe travail photographique de William Hundley (thumbnails en 1, animation image par image en 2)
http://yowayowacamera.com/ Une japonaise qui lévite partout, dedans, dehors, dans la nature, au Japon et ailleurs.
WEBOGRAPHIE AUTRES
http://en.wikipedia.org/wiki/King_levitation Page de Wikipedia sur la magie, humaine et truquée, de la lévitation.
http://www.flickr.com/photos/20161829@N03/4550738785/in/pool-97741820@N00 Un cargo en lévitation ! http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=etSivpBHUmE Le truc venu d'Inde et visible maintenant à Paris pour léviter en lotus. https://www.flickr.com/photos/illtib/15924944379/ Une bande rouge semble flotter a cause d'une ombre au sol. De plus, le sol semble incurvé !
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