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"Les ombres sous les objets"

 


PLANSITE
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Décembre 2012

DES OMBRES BIZARRES
Vous promenant et déambulant dans les rues par une fin de journée ensoleillée, votre regard en arrive parfois à être arrêté en son parcours infini par un détail des plus ordinaires : des ombres portées par l'astre solaire sur des parois verticales. Chacun sait que le soleil déclinant, en ces heures là, parsème de ses ombres les murs des villes. Pourtant, parmi toutes ces ombres, seules quelques unes ont le privilège de rompre votre distraction, d'attirer votre attention afin que vous daigniez leur accorder un regard étonné, un sourcil ou deux levés.
Plus bas, ombres de cheminées et de mitrons ont donné lieu à photographie. Plus bas encore, ce seront encore ombres de chiens assis, d'antennes, de rampes et de balustres. Pourquoi ces éléments là alors que rares sont les hominiens à s'arrêter pour contempler l'ombre des arbres et des voitures ?

Près de la Bastille, les ombres de cheminées et leurs mitrons viennent déposer leur silhouette sur le flanc de cheminées hausmaniennes.

 

Ombre de cheminées sur des cheminées.

 

À Vincennes, les ombres de mitrons s'affichent de manière ostentatoire sur un pignon d'immeuble à la corniche elle-même recouverte de mitrons presque invisibles.

 

Ombre de mitrons de cheminées sous des cheminées, 1.

 

 

Ombre de mitrons de cheminées sous des cheminées, 2.

 

Près de l'Institut, l'ombre de chiens assis vient se porter sous d'autres chiens assis réels et éclairés.

 

Ombres de chiens-assis sous des chiens-assis, 1.

 

 

Ombres de chiens-assis sous des chiens-assis, 2.

 

Vous pourriez encore rencontrer l'ombre d'une antenne à la verticale d'une antenne.

 

Ombre d'une antenne sous une antenne

 

Bien cachée sous le feuillage du parc de Bercy, vous seriez encore amenés à voir, au soleil couchant, l'ombre d'une rambarde à la verticale d'une rambarde métallique.

 

Ombre d'une rambarde sous une rambarde

 

En ces images, une constante semble se dégager : les ombres des objets se retrouvent sous les objets, qui auraient très bien pu être à leur origine. La question est de savoir comment ces ombres ont pu, en toutes ces occurrences, attirer l'oeil du photographe à l'appareil jetable au point qu'il veuille les fixer sur une pellicule archaïque.

UNE THÉORIE PERCEPTIVE BANCALE, MALADROITE ET GAUCHE

Tout quidam est attentif à l'irruption d'un mouvement rapide et soudain dans son champ de vision périphérique. Certains neurones sont en effet affectés à la détection de ces mouvements qui peuvent être à l'origine d'un danger. Mais ici, la situation diffère en ce que tout est là immobile. La suspension du regard occasionnée par ces images doit se comprendre autrement. En chacune des occurrences présentées, l'ombre d'un élément se trouve à la verticale d'un élément similaire. Chacun comprend de manière plus ou moins intuitive qu'une ombre ne peut être à la verticale de l'élément qui la projette. Le soleil au zénith ignore les ombres. Cela peut expliquer la suspension du regard, et ce même cela pourrait encore expliquer la suspension de l'entendement qui s'ensuit. Car, ce n'est pas tant le regard qui est arrêté en son parcours que les mécanismes perceptifs qui se grippent devant l'inconcevable d'une telle situation. Essayons de comprendre l'enchaînement des faits.
1. Un premier processus perceptif apparenté à la reconnaissance formelle nous dit que nous avons devant les yeux une antenne et l'ombre d'une antenne. Jusqu'ici, tout va bien.
2. Mais un second processus, plus élaboré et plus tardif, qui pourrait tout autant concerner les relations spatiales que les règles sémantiques de disposition des éléments dans l'espace, s'interpose. Ce dernier nous informe qu'une ombre ne peut être à la verticale de son objet.
3. Grâce à une réflexion, rapide et indolore, un choix est fait entre les deux hypothèses. L'ombre de l'antenne portée sur le pignon n'est pas celle de l'antenne située à sa verticale, mais celle d'une autre antenne située dans le hors-champ, ici de l'image, ailleurs du regard.

Un conflit perceptif a donc attiré votre regard, l'a suspendu jusqu'au terme d'une réflexion quasi instantanée. En moins d'un dixième de seconde, votre cerveau a envisagé plusieurs interprétations de ce qui lui était donné à voir. Ce moment suspendu était celui d'un travail, de l'élaboration de la perception, qui, en ces rares moments, en ces instants fugaces, laisse entr'apercevoir ce qui d'ordinaire reste caché sous l'évidence et l'instantanéité de la vision. Ainsi, vous, grand guerrier ignorant de lui-même, participez à des conflits que vous ne ressentez pas et dont vous sortez vainqueur sans même le savoir.

CONCLUSION PEUREUSE

En ces photographies, l'apparition d'un hors-champ semble nous inquiéter, en ce qu'elle nous pose la question de son origine et de sa place. Où sont les cheminées qui viennent ici porter leurs ombres ? Où est la véritable antenne de cette silhouette d'antenne plaquée sur la pignon ? En cela, nous rejoignons une remarque faite plus haut. Les neurones spécialisés dans la détection du mouvement à la périphérie du champ visuel pourraient avoir fait des émules, émules qui, quant à eux, seraient sensibles à autre chose qu'au mouvement. Et, puisqu'aucun mouvement n'est décelable en ces photographies, nous avons peut-être là un reste archaïque de la peur du hors-champ, ou de ce qui provient d'un ailleurs et qui s'inscrit sans raison logique à l'intérieur de notre champ de vision.

 

 

ADDENDUM 1
Certaines ombres se trouvent véritablement sous les objets. Nous avons vu que les
lévitations pouvaient induire des ombres portées, qui, plutôt que d'être conjointes à la base des objets qui les portent au sol, s'en détachaient pour se retrouver, à quelque distance, à la verticale de l'objet originel. Cette autre disposition particulière donne, elle-aussi, lieu à des ambiguïtés de relations spatiales.

ADDENDUM 2
Cette photo a déjà été évoquée sur la page suivante : L'ombre des balustres du métro. Pour cette raison nous n'en parlons pas ici. Mais, une autre raison nous pousse encore à l'ignorer. Si nous poursuivions le chemin esquissé depuis le début, des toits jusqu'à l'entrée du métro, nous descendrions au royaume des ombres, là où les ombres ne se portent plus au sol ou au mur.

 

Ombres de balustres sous des balustres

 

 

 

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