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"Les constructions de la chambre d'Ames"

 


PLANSITE------SITEMAP-----

 

Février 2013

PLAN ET PAGES

La Chambre d'Ames est une de ces illusions modernes qui déroutent tout autant le spectateur que le scientifique, puisque les psychologues de la perception ne se sont pas encore accordés sur les mécanismes perceptifs qui la fondent. Nous allons donc essayer, en cinq petites pages, de comprendre les effets et d'aborder les moyens de cette illusion.
Première Page Les deux constructions de la chambre d'Ames Vous y êtes !
Deuxième Page Les différentes théories perceptives de la chambre.d'Ames
Troisième Page De nouvelles hypothèses sur la chambre.d'Ames.
Quatrième Page La chambre.d'Ames et l'illusion de Ponzo
Cinquième Page La chambre.d'Ames et les gradients de densité
 

LA CHAMBRE D'ADELBERT AMES

Nous pourrions penser qu'Adelbert Ames était insomniaque ou somnambule, puisqu'il n'a jamais dormi dans sa chambre. Mais, nous nous contenterons d'affirmer qu'il n'a jamais couché dans la pièce qui l'a rendu si célèbre. Adelbert Ames a simplement conçu un lieu qui, perçu d'un point de vue fixe et monoculaire, associe perspective accélérée et ralentie pour donner lieu à sa célèbre illusion.

1. CONSTRUCTION EUROPÉENNE DE LA CHAMBRE D'AMES

Nous commencerons par une construction à l'européenne de la Chambre d'Ames. L'illusion de la chambre est si forte que pour l'oeil du regardeur (ici, en l'occurrence, l'objectif de l'appareil photographique), vous apparaîtrez comme un nain si vous entrez à gauche et comme un géant si vous passez à droite de la fameuse chambre. Il n'en reste pas moins que la Cité des sciences de la Villette a dans sa Salle à double perspective oublié un détail : les deux cordons, bien que censés être placés à une même distance du spectateur, sont loin d'avoir la même épaisseur.

 

"Chambre d'Ames", cité des sciences, La Villette, Paris.

 

Pour que ces deux personnes ordinaires apparaissent comme étant un géant et un nain, il faut que cette pièce, qui semble unique et continue, soit constituée de deux parties distinctes. La moitié gauche de la chambre est en perspective ralentie, en ce que les éléments qui la constituent grandissent au fur et à mesure de leur éloignement (il suffit de regarder la taille de la porte par rapport à celle de l'adulte), tandis que la moitié droite est en perspective accélérée, perspective où la taille des objets diminue dans le réel au lieu de rester constante (là le personnage semble démesuré par rapport à l'entrée). Toute la difficulté de l'entreprise consiste à opérer des raccords visuels (et non réels) entre les agrandissements de la partie gauche et les diminutions de la droite. Ainsi trompé, l'oeil du spectateur croira que les diminutions effectives de l'architecture de la moitié droite de la pièce sont des diminutions apparentes indiquant un éloignement progressif des différents éléments dans la profondeur de l'espace (carrelage, colonnes,...), tandis que les agrandissements réels de la moitié gauche de la pièce donneront l'illusion d'une proximité plus grande qu'elle ne l'est en réalité des éléments. Enfin, tout cela nécessite de conserver un point de fuite identique aux deux parties dissemblables afin que le truquage n'apparaisse pas. Pour cela, vous devez observer la chambre à travers un oeilleton qui, la plupart du temps, vous oblige à une vision monoculaire de la scène, vous privant ainsi de certains indices de profondeur relatifs à la vision binoculaire.

Voici une liste minimum des diminutions et agrandissement qui ont dû être réalisés à La Villette :
- Le sol est un plan incliné montant à droite et descendant à gauche (un léger dénivelé est perceptible à la jonction des sols)
- Le carrelage diminue plus vite à droite qu'à gauche (la conservation du raccords des carreaux est tout autant due aux l'inclinaisons contraires des sols qu'aux longueurs inégales des carreaux).
- Le mur et les colonnes situés à droites diminuent réellement de hauteur, tandis que ceux situés à gauche grandissent au fur et à mesure de l'éloignement.
- Quant au plafond, je n'en sais rien.

Une maquette d'une Salle à double perspective, réalisée dans un lycée de Bruxelles (voir webographie en bas de page) permet de repérer la plupart des diminutions et augmentations qui seront amenées à disparaitre lorsque les deux parties de la maquette seront perçues à travers l'oeilleton. Il est à noter que La Villette a choisi d'ajouter une colonne, afin de masquer la rencontre des deux murs qui nous font face et qui, bien qu'apparemment conjoints, sont tout à la fois séparés et distants.

 

Maquette 1 de la chambre d'Ames, lycée Gatti, Bruxelles.
 

 

Maquette 2 de la chambre d'Ames, lycée Gatti, Bruxelles.

 

Mais, en dépit de cette différence, tant la construction de La Villette que la maquette présentée ci-dessus reprennent les principes de la perspective accélérée connue depuis l'antiquité. La partie droite de la Chambre d'Ames reprend, quasiment trait pour trait, la galerie du Palais Spada réalisée aux alentours de 1632 par Borromini. Bien avant la Chambre d'Ames, la perspective accélérée appliquait une diminution réelle et continue à des éléments architecturaux de taille constante afin que le système visuel croit que cette nouvelle diminution était due à un éloignement exagéré dans l'espace plutôt qu'à l'improbable décroissance de taille qui avait été construite dans la réalité.
Pour une analyse plus approfondie voir :
Perspective accélérée et architecture.

 

Vue en coupe de la galerie du palais Spada de Borromini.

 

Cette vue en coupe montre la diminution réelle des colonnes et du décor architectural, diminution qui, en étant perçue comme une diminution ressemblant à celle d'un éloignement, donne le sentiment que la galerie est beaucoup plus longue qu'elle n'est en réalité. Dans ce contexte, la statue d'une soixantaine de centimètres placée sur le petit piédestal situé à l'extrême gauche (mais, statue ici absente) paraît pour le spectateur, placé à droite à l'entrée de la galerie, de taille humaine.

2. CONSTRUCTION AMÉRICAINE DE LA CHAMBRE D'AMES

Si les effets sont identiques, la construction américaine diffère de la construction européenne. Observés à travers un oeilleton, le personnage de droite paraît bien grand pour la porte qui le jouxte, tandis que celui de gauche semble bien petit pour la sienne. Ainsi, le personnage situé à droite évoque un géant, tandis que celui de gauche passe pour un nain. Ces trois personnages ordinaires reproduisent donc les écarts de grandeur de La Villette.
Observons maintenant les différences de construction. Tout d'abord, la pièce semble construite d'un seul tenant et le mur qui nous fait face est réellement continu. C'est ainsi que les personnages peuvent la traverser d'un bord à l'autre sans rencontrer de seuil ou même de sortie masquée par une colonne ! Regardons le plan de la construction américaine pour comprendre le mécanisme utilisé pour en arriver là.

 

"Chambre d'Ames", vue photographique avec trois personnes.

 

Cette image reprise à Wikipedia (voir liens en bas de page) explicite le mécanisme de la construction. À voir le plan, nous comprenons que le personnage situé à droite est bien plus proche de nous qu'il n'y parait. Pourtant, nous ne percevons pas sa proximité, puisque le "vrai mur" du fond de la pièce parait vu de face. Mais, ce plan ne permet pas de comprendre comment un mur de biais peut nous apparaître comme étant frontal, alors que les deux murs distants de La Villette, l'étaient vraiment.

 

"Chambre d'Ames", plan de Wikipedia.

 

La vue en plan ne dit pas, comme à La Villette, que le sol de la partie droite de la pièce monte progressivement vers le lointain, tandis que son plafond descend de manière continue. Peu à peu, petit à petit, partant du mur de l'observateur, le sol et le plafond s'inclinent et se rapprochent afin d'accélérer la diminution apparente de leur surface et donc leur éloignement supposé dans l'oeil de l'observateur. Ainsi, en dépit des écarts apparents du plan, la construction américaine de la Chambre d'Ames possède bien une perspective accélérée. Mais comment expliquer l'absence de rupture entre les deux moitiés de la pièce ?
Paradoxalement, cette situation s'explique par l'utilisation d'une deuxième perspective accélérée. Jusqu'ici, les deux constructions employaient une même perspective accélérée orientée dans la profondeur de l'espace située devant l'observateur. En laissant croire à une diminution illusoire due à l'éloignement, la diminution réelle de la taille des éléments vers le lointain donne lieu à la perception d'une profondeur exagérée.
Mais, la construction américaine est plus complexe en ce qu'elle travaille encore la latéralité de l'espace. Une vue en coupe va s'avérer nécessaire pour montrer cette utilisation déviée et désorientée de cette deuxième perspective accélérée.

 

"Chambre d'Ames", coupe avec deux perspectives accélérées.

 

Avec la vue en coupe présentée ci-dessus, nous contemplons le mur latéral droit. L'observateur placé à droite doit regarder par l'oculus signifié par une croix. Le volume noir représente une chambre normale dont le point de fuite, marqué en bleu, est situé sur une ligne d'horizon dont la hauteur est commune à l'observateur et à nous mêmes. Le tracé rouge montre les déformations opérées par l'emploi des deux accélérations perspectives.
De notre point de vue décalé, la première perspective accélérée se déploie de la droite (du point de vue de l'observateur) vers la gauche (mur du fond représenté par le trapèze vertical rouge). Avec cette première accélération, les lignes du plafond et du sol se rejoignent sur le point de fuite, situé à gauche, à quelques mètres du fond de la chambre. Ce point de fuite est réel et mesurable puisque les lignes du plafond et du sol convergent en raison de leur inclinaison. Dans une chambre normale, ces mêmes lignes, étant parallèles, devraient se diriger vers un point de fuite idéalement situé à l'infini.
La seconde utilisation de la perspective accélérée modifie l'orientation es lignes latérales de la pièce. Le sol et le plafond ont à subir une deuxième inclinaison, qui, partant du mur latéral gauche (devant lequel nous sommes situés) les voit se rapprocher vers le mur latéral droit. En cette coupe, le point de fuite supérieur rouge, situé au-dessus de la ligne d'horizon bleue, marque la montée progressive du sol, tandis que le point de fuite inférieur, placé en-dessous, signifie l'inclinaison descendante du plafond. Enfin, tous deux sont situés à droite du point de fuite central (point bleu) d'une chambre ordinaire (tracé noir), puisque le mur du fond (ici à gauche) se rapproche peu à peu de l'observateur sur sa droite. Là encore, ces deux points de fuite rouges sont bien réels, situés à quelques mètres de la chambre et non, comme le bleu, celui d'une pièce ordinaire, à l'infini représentée ici par la ligne d'horizon.
Grâce à l'emploi d'une double perspective accélérée, cette construction permet d'obtenir un sol, un plafond et un mur de fond continus où les personnages peuvent alors évoluer librement sans rencontrer de seuil ou être masqués par un décalage.

En revanche, d'après le plan de Wikipedia, les deux murs latéraux s'écartent l'un de l'autre au fur et à mesure de leur éloignement. Pourquoi faudrait-il que ces murs s'écartent ? Tout d'abord, le croquis de Wikipedia ne reflète pas l'ensemble des constructions américaines. Beaucoup possèdent des murs latéraux parallèles sans que l'effet semble amoindri. En fait, beaucoup de constructions trouvées sur le web se contentent de murs latéraux parallèles. Au point que la
Chambre d'Ames qui, sur mon écran, me paraît la plus efficace utilise ce schéma : cette Chambre d'Ames parallèle est une construction réussie, sans montée du sol et avec des murs latéraux parallèles. Mais cet écartement peut présenter certains avantages. Au-delà du fait qu'il laisse plus de place aux déambulations des personnages dans la chambre, l'écartement va permettre de "lisser" la seconde perspective accélérée qui travaille la latéralité de l'espace. Sans cet écartement progressif des murs latéraux la déclivité latérale serait si forte qu'il serait difficile de la parcourir. L'effet obtenu serait le même mais figé, sans que nous puissions profiter de l'illusion de la déambulation que nous serons amenés à étudier dans la deuxième partie.

3. POUR EN FINIR AVEC CE DÉBUT

Adelbert Ames n'a rien inventé, il s'est contenté de remettre au goût du jour et des psychologues de la perception ce que les artistes et architectes pratiquaient depuis des siècles. L'abside de San Satirio par Bramante, la galerie du Palais Spada de Borromini et la scène du Théâtre Olympique de Vicence de Palladio employaient déjà la perspective accélérée pour étonner les yeux sans désespérer le cerveau (à ce sujet voir : La perspective accélérée et l'architecture.)
Mais, si nous revenons à notre début, à savoir qu'Adelbert
Ames n'a jamais couché dans sa chambre, quelque chose de nouveau est apparu. Ce satané Adelbert pourrait être le plus grand constructeur de chambres que la terre ait connu. Nous en arrivons ainsi à un ultime paradoxe : comment des chambres où nous ne pouvons fermer l'oeil ont-elles pu être construites en un si grand nombre d'exemplaires ?

PAGE SUIVANTE : Les théories de la chambre d'Ames

 

 

WEBOGRAPHIE

GÉNÉRALITÉS
http://www.bobolinkbooks.com/Ames/ChairDemo.html
Page en anglais par
Roy Behrens sur la vie d'Ames (beaucoup de croquis, citations, liens ....)
http://en.wikipedia.org/wiki/Forced_perspective
Perspective accélérée et ralentie sur Wikipedia (en).
http://fr.wikipedia.org/wiki/Perspective_forc%C3%A9e
Perspective forcée sur Wikipedia (fr).
http://fr.wikipedia.org/wiki/Chambre_d'Ames
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:ChambreAmeSchema.png
La
Chambre d'Ames est la fois accélérée pour celui qui est petit et ralentie pour celui qui est grand.
CONSTRUCTIONS
http://demonstrations.wolfram.com/AmesRoom/
Animation java réglable.
http://www.onlinewahn.de/raum.htm
Une construction de la chambre plutôt réussie, sans montée du plancher et avec des murs latéraux parallèles !

VOIR

Cité des sciences, La Villette, Paris.
http://www.cite-sciences.fr/fr/cite-des-sciences/
Prenez des billets pour l'exposition
Explora, puis trouvez la salle nommée Sténopé, salle imaginée en 1984 par Philppe Comar. Vous y trouverez la Salle à double perspective, mais aussi une Salle morcellée et de nombreux panneaux consacrés aux anamorphoses, aux différents types de projections (et donc de perspectives) et à quelques figures impossibles.
N.B. Les salles adjacentes sont consacrées aux différentes illusions d'optique.

 

 

 

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