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"Perspective forcée contre perspective ralentie" |
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Août 2013 AVANT- PROPOS Même si ces deux perspectives sont souvent assimilées ou comparées, tant le principe que la technique diffèrent. Wikipedia dans sa page consacrée à la perspective forcée parle ainsi de Main Street, le principal axe de Disneyland : La perspective forcée est utilisée à Disneyland. Sur Main Street on a l'impression que le château de la Belle au Bois dormant est loin lors de l'arrivée dans le parc (alors qu'il est à 100m) et que la sortie est beaucoup plus proche lorsque les visiteurs quittent le parc (les bras de Mains street s'écartent). Malheureusement, les connaisseurs auront reconnu là une utilisation moderne et surtout commerciale de la perspective ralentie. 1. LES PRINCIPES LA PERSPECTIVE FORCÉE EN PHOTOGRAPHIE La perspective forcée utilise en général deux éléments de l'espace. Grâce à une contiguïté illusoire entre un élément lointain et un élément proche, l'élément lointain semble plus proche de nous qu'il ne l'est en réalité et ainsi beaucoup plus petit. Habituellement, le touriste lambda fait semblant de porter la tour Eiffel dans la paume de sa main ou de la soulever dans les airs en la pinçant de deux doigts. Dans cette photo, un peu particulière, le personnage semble s'appuyer contre elle, ce qui en raison de la vision que nous avons de sa base, tend à en faire une image impossible.
Ainsi, en mettant en contact deux éléments distants, échelonnés dans la profondeur, la perspective forcée tend plus à une contraction brutale de l'espace qu'à son raccourcissement progressif et mesuré comme le fait la perspective ralentie. LA PERSPECTIVE RALENTIE EN ARCHITECTURE La perspective ralentie donne le sentiment qu'un objet est plus grand ou plus proche de nous qu'il ne l'est en réalité ou bien encore qu'un espace est bien plus large qu'il ne l'est. Mais, pour cela, la perspective ralentie travaille de manière progressive, et non brutale comme ce que nous voyons avec la photo précédente, en utilisant les lignes fuyantes de la perspective linéaire. Ainsi, la place Saint Pierre du Bernin, possède deux galeries qui ne se dirigent pas vers le point de fuite central. L'écartement progressif des galeries relève de la perspective ralentie et a deux conséquences. En premier lieu, se rendant compte que l'écartement entre les deux galeries ne diminue pas autant qu'il le devrait, notre système perceptif va en déduire que la façade de la basilique est plus proche de nous quelle ne l'est en réalité, lui conférant une monumentalité encore plus importante. En second lieu, en déambulant dans cet espace classique que nous pensons composé d'éléments perpendiculaires, notre système visuel, s'attendant à une diminution de largeur due à l'éloignement, amplifiera l'accroissement progressif de la largeur de la place. Cette place qui s'élargit peu à peu dans le réel, s'élargira encore plus dans nos esprits pour prendre une ampleur que la réalité ne pouvait lui conférer.
En détournant les règles de la perspective classique, la perspective ralentie permet d'obtenir un effet de monumentalité (la façade), mais aussi l'agrandissement régulier de plans fuyants (la largeur de la place). Cette fois, ce ne sont plus deux ou trois plans frontaux mais un espace continu qui subit un ralentissement de sa profondeur. 2. D'AUTRES UTILISATIONS DE CES DEUX PERSPECTIVES LA PERSPECTIVE FORCÉE AU CINÉMA Nous pourrions ici parler de perspective ralentie, puisque les rochers qui sont au-delà de la voie ferrée paraissent beaucoup plus proches de nous qu'ils ne le sont en réalité. Mais si vous avez compris le trucage du Petit train de la mémoire, vous n'êtes pas sans savoir qu'un écart immense mais non visible sépare le plateau sur lequel est posé le train des véritables rochers de la côte de granit rose. En cela, nous avons une contiguïté équivoque qui rapproche deux plans distants l'un de l'autre, sans qu'il y ait une progression continue.
Ainsi, encore une fois, la perspective forcée utilise la contiguïté illusoire de plans distants. LA PERSPECTIVE RALENTIE EN SCULPTURE Dans plusieurs gravures de 1525, Dürer avait, quant à lui, appliqué la perspective ralentie au dessin des lettres sur des architectures. Ainsi, pour compenser la diminution apparente des lettres les plus éloignées, l'artiste a inventé un système qui augmente leur taille au fur et à mesure de leur éloignement dans la hauteur du mur. Le texte reste lisible et, du point de vue du spectateur, tout semble de taille égale (bien que cette gravure ne rende pas totalement de la position réelle du spectateur face au mur vers lequel il semble lever la tête).
Cette fois encore, la perspective ralentie utilise un plan fuyant, mais cette fois dans la hauteur de l'espace, plan sur lequel des éléments réguliers grandissent au fur et à mesure de leur éloignement . Pourtant rien n'est simple, puisqu'un artiste contemporain, Gerhard Schweizer, reprenant tout à la fois le principe de Dürer et les lois de l'anamorphose, a réalisé l'Allée El Lissitzky, allée que je me dois de classer avec la perspective forcée. D'un coté, si nous retrouvons bien l'agrandissement progressif des lettres à la manière de Dürer, de l'autre, cet agrandissement ne se fait pas sur un plan continu fuyant mais sur des plans frontaux échelonnés dans la profondeur de l'espace. Ici, nous devons donc trouver, comme avec toute perspective forcée, le point de vue sous lequel des contiguïtés équivoques réuniront brutalement les différentes plaques de béton, pour donner le sentiment qu'elles sont à une même distance.
Il aurait cependant été possible de réaliser le même texte avec la technique de Dürer, mâtinée d'anamorphose. Pour cela, il aurait fallu employer une plaque fuyante unique sur laquelle des lettres fuyantes grandiraient au fur et à mesure de leur éloignement. Nous aurions alors tous les composants de la perspective ralentie en même temps qu'une anamorphose plane. 3) LES CATÉGORIES PLASTIQUES Perspective forcée et perspective ralentie ne se rejoignent pas non plus sur les principes plastiques utilisés pour arriver à leurs fins. Alors que la perspective forcée utilise un contact équivoque pour donner le sentiment que des plans distants sont conjoints, la perspective ralentie emploie la superposition équivoque pour modifier l'orientation de plans continus. LA PERSPECTIVE FORCÉE En chaque exemple présenté, nous avons vu que la perspective forcée utilisait le contact équivoque afin que deux éléments distants, échelonnés dans l'espace, semblent conjoints. Cette contraction brutale de l'espace réunit ainsi deux éléments distants, mais aussi de taille différente, à l'intérieur d'un même plan. Cette conjonction illusoire peut tout autant donner lieu à des effets de nanisme que de gigantisme. Ainsi, selon le regard que nous portons sur la première image de la page, la tour Eiffel peut apparaître comme une maquette, tandis que le personnage s'appuyant contre la tour ressemblerait à un géant si on ne voyait pas la base de la tour.
Le contraste réversible des tailles est sans doute plus évident avec cette photo. Ici, certains verront une main géante tentant d'attraper une femme et son enfant, tandis que d'autres imagineront des personnages minuscules essayant d'échapper à un être humain. Même le décor d'immeubles ne suffit pas à lever l'ambiguïté des tailles réciproques. LA PERSPECTIVE RALENTIE La perspective ralentie utilise la superposition équivoque en ce qu'elle superpose une image déformée à la réalité matérielle d'un espace. Sur le plan continu du mur, les lettres de Dürer, perçues d'un point de vue précis, paraissent de taille égale, alors même que leur taille croit en fonction de l'éloignement au spectateur.
Le plan de la place vu d'avion montre une forme trapézoïdale à la manière du carré de Dibbets lorsqu'il est vu de face. Ainsi, nous pourrions penser que le sol de la place se dresse devant nous à la verticale, lorsque nous sommes placés à son entrée comme ici à l'entrée de la pièce. Mais, pour en arriver à cet effet, il aurait fallu que le trapèze de la place fut beaucoup plus allongé. Il n'en reste pas moins que si l'anamorphose en arrive à transformer un trapèze fuyant et étiré en plan frontal, un trapèze moins profond devrait alors être perçu comme un plan incliné montant. Voilà ce qui explique le sentiment de montée donné par la gravure de Piranèse. Montée que je ne savais si il fallait l'attribuer à une réelle déclivité du sol ou à un effet illusoire, lorsque nous avions parlé de la place Saint-Pierre dans un article consacré à la perspective ralentie.
Tout cela confirme que les anamorphoses planes utilisent le principe plastique de superposition équivoque, comme nous l'avions vu dans un article consacré aux anamorphoses. Mais, cela nous dit aussi que ce type d'anamorphose est une des applications possibles et pratiques de la perspective ralentie. PAGE PRÉCÉDENTE : Perspectives forcées personnelles
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