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"Les différents avatars du visage face-profil, page 2"

 


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Juillet 2019

LES VISAGES FACE-PROFIL DE PICASSO

 

Avec ce Portrait de Marie-Thérèse peint par Picasso, nous pensons voir un exemple caractéristique de visage face-profil. Ainsi, à contempler la totalité de la figure, nous avons tout d'abord un visage de face, qui n'est pas véritablement de face, puisqu'il évoque plutôt, en raison de la situation de la bouche un trois-quart tourné vers notre gauche.
Ensuite, nous avons un profil de femme. Pour le faire apparaître, il suffit de masquer la moitié droite de la tête, et nous obtenons un profil massif et buté, lui aussi tourné vers la gauche. Cependant, une deuxième intervention permet d'aboutir à un second profil. En masquant l'oeil gauche et la majeure partie du nez jusqu'à la narine, nous obtenons un autre profil, un profil plus gracieux, d'un bleu presque uniforme. Peut-être avons-nous là, le profil premier auquel
Picasso aurait ajouté un oeil et un nez sur fond blanc afin d'obtenir la vue de face. Et si ce profil, faute de cerne noir, paraît moins évident, il tire sa justification de la partition du visage en ombres bleues et lumières blanches.

 

Picasso, "Marie-Thérèse, huile sur toile, 1937.

 

Avec cet autre portrait de Marie-Thérèse, Picasso utilise une variante du procédé du visage face-profil. Ici peut-être, les deux profils vous apparaitront en premier, à la manière d'un couple enlacé. Et il vous faudra faire un effort pour reconstituer le visage de face qui réunit ces deux profils, pourtant si différents, dans l'ovale d'un galet.
Nous pouvons penser que le sujet de la toile a été modifié en cours de réalisation. Les nombreux repentirs attestent de transformations importantes. Il semble qu'il y avait au départ un portrait plus équilibré. L'oeil du profil gauche était alors placé au-dessus de son front actuel et la surface de cette moitié beaucoup moins large. Cette partie, sans doute trop symétrique pour le peintre, a été modifiée au point que l'on pense maintenant à deux personnages échangeant un baiser. Pourtant, une femme, une seule femme au visage de lune, nous regarde rêveusement.

 

Picasso, "Marie-Thérèse", 1931.

 

Jusqu'à la fin de sa vie Picasso a repris le procédé du visage face-profil. Dans ce portrait d'homme du musée Réattu daté de 1971, le visage de face retrouve des proportions normales. Ainsi, les deux profils peuvent-ils ne pas apparaître au premier regard. Il est vrai que leur intrication est importante. Le profil situé à droite est le plus évident, tandis que le gauche, mangé par son conjoint, semble soit incomplet, soit recouvert. Mais, à la différence de la toile de Braque vue à la page précédente, il n'est guère possible d'imaginer un profil croisant un visage de face. Ici, les contiguïtés sont si fortes qu'on ne peut envisager le moindre échelonnement entre les deux moitiés. Tant le col que le menton ou la masse des cheveux, jusqu'au louchement du regard, enferment les deux parties du visage dans un ensemble unique.
C'est ainsi que nous avons sans doute là un simple face-profil, un visage où viennent s'opposer un seul profil et une seule face.

 

Picasso, "Portrait d'homme", dessin, 1971.

 

Pourtant cet autre portait exécuté la même année, Personnages –verso, prouve que le dessin est à même d'aborder des variations complexes du procédé. Ici, les deux profils sont nettement visibles et même prééminents. En cela, à la manière du portrait de Marie-Thérèse, vous aurez sans doute du mal à percevoir le visage frontal. Pour ce faire, vous devrez combler l'espace séparant les profils. Ainsi partant du bas pour aller vers le haut, vous trouverez une barbe, une bouche, une narine et si vous le désirez un chapeau au bord ondulé. En réunissant, ces éléments à l'intérieur d'un même plan avec les deux profils, vous obtenez la très large face d'un bon vivant.
Mais à la différence du dessin précédent et du portrait de
Marie-Thérèse, un espace sépare donc les profils. Cette absence de contiguïté permet alors l'apparition d'un quatrième personnage, qui, recouvert par les deux visages, ne laisse apercevoir que les éléments précités. Ces éléments jouent donc un rôle majeur dans la constitution de deux visages qui s'excluent mutuellement. Vous êtes devant un conflit de contiguïtés Soit vous considérez que ces éléments centraux sont situés au même niveau que les profils et vous obtenez la grande et large face, soit vous pensez qu'ils sont en retrait par rapport aux profils et vous obtenez ce quatrième personnage qui semble assister au possible affrontement des deux personnages latéraux.
Ayant perçu ces quatre personnages, vos yeux n'auront alors cesse de passer de l'un à l'autre, sautant d'une trogne à une face, d'une face à un profil, d'un visage à un trio...

 

Picasso, "Personnages3, dessin, 1971.

 

Il est exceptionnel d'atteindre quatre personnages avec le procédé du visage face-profil. Ainsi, dans une peinture travaillée de l'Arlequin, bien éloignée de ce dessin habile, rapide et enlevé, nous arriverons au même chiffre mais avec des visages moins acceptables comme tels.
À commencer par la face, qui comme souvent est un visage de trois-quart, nous avons là un visage peu convaincant. La différence d'orientation entre la direction du regard et celles du nez et de la bouche bleus casse la figure. Certains auront du mal à voir là un visage, qu'il fût de face ou de trois-quart. Il est vrai que le rabattement latéral du nez et de la bouche sont des incontournables du procédé. Mais, habituellement, ces rabattement s'opèrent au centre du visage et non sur son coté. Ici l'écart est trop important.
Puis,
Picasso reprend la partition déjà vue entre ombres et lumières, entre bleu et noir, cette ligne de démarcation est censée faire apparaître pour le moins un profil. Paradoxalement, ce n'est pas la partie principale, la surface la plus grande, celle située dans l'ombre, qui donne lieu à un profil viable. À considérer l'aplat noir, sa moitié inférieure n'affiche aucune forme anatomique crédible.
Nous devons passer à la lumière pour étonnamment voir apparaître deux profils. Un premier profil bleu tourné vers la droite présente une expression d'étonnement. Le second profil bleu, tourné quant à lui vers la gauche, affiche une expression de grande surprise. C'est ce dernier profil qui explique la découpe en partie insignifiante de la surface noire. Ainsi,
Picasso s'est ici intéressé à faire supporter deux profils différents et opposés par un même aplat.

 

Picasso, "Arlequin", détail, 1917.

 

En de nombreuses oeuvres et notamment avec Expulsion Réintégration, Brauner a montré son intérêt pour le procédé du visage face-profil. La technique de l'artiste va à l'essentiel : nous avons là un visage de face, un profil principal et un profil secondaire. Le visage de face a été peint en premier et les positions réciproques des yeux et de la bouche sont respectées. Sur ce premier visage, par l'ajout d'un relief, Brauner ajoute un profil complet tourné vers la gauche. Ce relief facilite la perception d'un espace illusoire qui échelonnerait ces deux visages dans la profondeur. Ainsi, nous sommes tentés de voir dans la moitié gauche de la peinture, un second profil, qui, tout en étant tourné vers la droite, serait en partie recouvert par le profil en relief.

 

Victor Brauner, "Expulsion Réintégration", 1960.

 

Après avoir vu comment les artistes s'emparaient de la technique du visage face-profil , nous allons étudier le champ des illusions d'optique. Ces dernières avaient déjà utilisé le procédé, tout en utilisant parfois des moyens différents et s'en servant dans un but qui n'a rien à voir avec celui de la peinture.

 

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ICONOGRAPHIE

PICASSO Pablo,
Portrait de Marie-Thérèse, 1937, huile sur toile, musée national Picasso, Paris.
http://www.pablopicasso.net/seated-woman/
Marie-Thérèse, face et profil, 1931, huile et fusain sur toile, 110,2 × 81 cm.
Personnages –verso, 27 janvier 1971, encre de Chine et lavis sur carton blanc, 22 cm x 26,7 cm.
Portrait d’homme III, 4 février 1971, encre de Chine sur carton, 26,8 cm x 21 cm.
Arlequin et femme au collier (détail),1917, huile sur toile, 200 × 200 cm, Musée national d'art moderne.
BRAUNER Victor,
Expulsion Réintégration, 1960, huile et gesso sur toile monté sur carton, 46,04 x 54,61 cm.

 

 

 

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