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"Les différents avatars du visage face-profil, page 3" |
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Juillet 2019 INTRODUCTION De nos jours, tout un chacun pense que le visage face-profil est une invention cubiste. Il s'avère pourtant que d'autres procédés similaires sont plus anciens. Ces pages vont essayer de montrer que le visage face-profil possède une origine plus ancienne. Pourtant, ces pratiques antérieures n'ont pu influencer le mouvement cubiste puisque nous verrons que le but recherché n'était pas le même.
LES ILLUSIONS DU VISAGE FACE-PROFIL
1) LA TECHNIQUE DE BASE : le visage en crapaudine Une carte postale datée de 1910 s'apparente, par certains cotés, au procédé cubiste du visage face-profil. Pourtant, malgré la coïncidence de dates, de nombreux écarts distinguent The kiss and its consequences d'un visage cubiste. Nous avons tout d'abord en cette image deux profils bien marqués alors que le procédé cubiste se contentait à l'origine d'un seul profil. De plus, ce sont ces profils qui, pour moi, apparaissent en premier lieu. Ce n'est qu'à la suite d'un effort de concentration, que je peux faire surgir la grande et large face constituée de l'assemblement des profils. A contrario, le visage cubiste est prioritairement vu comme une face. De même, la parfaite symétrie de ce visage est totalement absente des toiles cubistes. Enfin, bien que n'étant qu'une conséquence possible de l'utilisation du procédé, la problématique de l'ombre et de la lumière est, comme dans les images similaires que nous aborderons plus loin, oubliée.
Une variante intéressante du visage en crapaudine semble plus ancienne. So was kommt von so was ! (qui peut être traduit par : "C'est ce qui vient de çà !".) pourrait, d'après les vêtements, avoir été dessiné aux alentours de 1900. La technique est à peu près la même, à la différence près que la symétrie n'est pas autant respectée. Ainsi, alors que l'image précédente regardée superficiellement pouvait faire penser à un couple de jumeaux, nous voyons ici un couple enlacé aux individus nettement différenciés. L'homme porte moustache et melon, tandis que la chevelure de la femme rejetée vers l'avant forme le crâne du bébé. Tous deux semblent hurler faisant ainsi pleurer le bébé. L'abri qui accueille ces trois personnages peut tout autant évoquer les sièges des plages de la Baltique, que le berceau d'un bébé.
Plus près de nous, Fisher, dans un article consacré à la mesure de l'ambiguïté, publie les Kissing Jesters. Cette figure ambigüe est un très bon exemple de visage en crapaudine. La symétrie parfaite des profils affrontés ne peut plus renvoyer ici à la différenciation sexuelle et le résultat de leur réunion ne fait que répéter le récit des profils.
Enfin, dans les années 2000, l'illustration Wolverine conçue par Olly Moss parcourt le web. Nous avons ici un gag visuel. L'auteur s'est rendu compte que le personnage fantastique de Wolverine pouvait étrangement évoquer deux profils de Batman. Il ne semble donc pas qu'un discours sur la différence des sexes et le résultat de leur union soit ici le sujet.
Il faudra donc bien en venir au discours supporté par certaines images du visage en crapaudine. Ces carte-postales permettent de faire naître un troisième visage à partir de la réunion de deux profils. Les profils composent un couple composé d'un personnage masculin et d'un autre féminin, et le troisième visage est celui d'un bébé. Nous avons là, à l'évidence, une illustration de la reproduction sexuée. Les légendes de ces cartes sont d'ailleurs explicites : So was kommt von so was ! ou The kiss and its consequences. seul le résultat semble différer : l'une donnant lieu à cris et agitation, l'autre à calme et sérénité. Quoiqu'il en soit, ces images sont la parfaite illustration plastique du problème mathématique que se posent les enfants : comment 1+1 font 3 ? Car en ces carte-postales, c'est bien la réunion de deux profils qui donne lieu à la naissance d'un troisième visage. Nous allons maintenant aborder une autre image qui, bien que correspondant parfaitement à la thématique qui vient d'être évoquée, sera cependant utilisée pour comprendre les mécanismes plastiques à l'oeuvre dans la constitution de la réversibilité de ce type d'images.
2. UN VISAGE FACE-PROFIL D'EXCEPTION Cette image pourrait être plus ancienne que The kiss and its consequences. Mais, pour lors, il m'a été impossible de trouver les références et la date de réalisation de cette carte-postale intitulée The honeymoon. Malgré les apparences, sa technique n'est pas celle du visage en crapaudine. Que voyons-nous là ? Un couple se dévisage amoureusement. Mais ici, aucun baiser, aucun cri ne mettent en contact leurs profils. Puis à regarder l'ensemble circulaire, nous apercevons un visage de face, un visage lunaire. Cette lune pourrait, comme nous venons de le voir, représenter un bébé. Ainsi, premier écart, un espace intermédiaire, contenant quelques valeurs et ajouts apparemment insignifiants, permet au dessinateur de faire apparaître la face lunaire. Ensuite, les narines de la lune sont exprimées par les bouches des profils, tandis que sa bouche n'appartient à aucun profil. Nous sommes là plus proches des Personnages –verso de Picasso (voir page précédente) que des visages en crapaudine. Dans ce dessin, une narine du personnage central n'appartient pas aux profils et sa bouche n'est pas non plus l'union, ou la réunion par des ajouts, des bouches latérales.
Ceci étant posé, cette image rappellera aux connaisseurs une illusion bien plus connue, celle du Vase d'Edgar Rubin. Le Vase daté de 1915 ressemble étrangement à cet arrangement. Pourtant, malgré leur proximité apparente, nous allons voir que ces deux images appartiennent à des registres totalement différents.
En cela nous dirons que ll'illusion The honeymoon est une ambiguïté de la figure qui utilise la contiguïté équivoque des surfaces. À ce titre, il faudrait ranger cette carte-postale avec les Deux polygones dans le tableau de la classification des ambiguïtés et impossibilités spatiales. Passons maintenant à un autre type d'image, qui, tout en étant de beaucoup antérieur au visage face-profil cubiste, présente certaines ressemblances plastiques.
LE VISAGE FACE-PROFIL ET LES TRIPLE-FACES.
La triple-face a déjà été abordée dans un article précédent : La triscèle de la trinité. Cependant, si vous avez le temps d'aller sur cette page, vous trouverez certainement beaucoup de faces mais très peu de profils. Nous allons pourtant voir avec deux images qui alors n'avaient alors pas été utilisées, que la triple-face peut très bien se servir de profils pour en arriver à ces trinités archaïques ou chrétiennes. Cet autel tricéphale dédié au dieu celte Lugus présente une face accolée de deux profils. Ainsi ce visage contient les trois éléments que nous retrouvons souvent dans les visages face-profil cubistes. Il n'en reste pas moins que le procédé est ici différent et que le but recherché n'a rien à voir avec le cubisme.
Cette triple-face multiplie sans vergogne des éléments du visage. Si nous avons bien deux yeux, il a fallu utiliser trois nez et trois bouches pour en arriver à cette trinité païenne. En cela, nous sommes loin des visages profils qui tordent bien les figures, mais sans aller jusqu'à les rendre monstrueuses. En fait le principe plastique à l'origine des ces images. À ajouter des éléments pour produire des formes inconnues du monde réel, nous entrons dans le domaine de l'impossible. Ainsi, alors que le visage face-profil relève des contiguïtés équivoques, la triple-face fait partie de la catégorie du contact impossible.
De même, le but recherché est différent. Ainsi, en ce Janus du Moyen-Âge, chaque figure de cette divinité du mois de Janvier est un symbole. Le profil tourné vers la gauche représente la passé, celui orienté vers la droite l'avenir et la face le présent. Nous allons maintenant aborder des images photographiques qui ont fait buzzer le web.
PAGE SUIVANTE : Le visage face-profil et les trucages photographiques
ICONOGRAPHIE WEBOGRAPHIE Psautier de Beaune, Janus, Miniature au mois de janvier, 13e siècle.
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