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"Le travesti et la différence d'Essex"

 


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Juin 2007

AVERTISSEMENT
Ceci est un soi-disant texte, inspiré d'une soi-disant théorie psychanalytique. Lorsque vous lirez ces lignes, si vous lisez ces lignes, vous penserez, non sans raison, que l'auteur est un obsessionnel invétéré, qui, ayant lu quelques livres de vulgarisation psychanalytique se croit permis de tout décrypter à l'aune de son inconscient omniscient. Mais, sachant que les "sujets supposés savoir" n'arrêtent pas de publier un savoir issu d'un divan où s'allongent des êtres, qui, inconscients de leur propre savoir, laissent les "sujets supposés savoir" publier ce dont ils ne sont ni les récitants, ni les acteurs, ni les victimes, mais les simples dépositaires, je peux bien écrire, de mon propre chef et pour mon propre compte, ce que me dit ma vie.
C'est ainsi qu'un psychanalyste ayant parcouru le texte d'un doctorat à soutenir (voir par exemple : Psychanalyse de la
Tripoutre ou Psychanalyse duVase de Rubin et Psychanalyse duTrio) avait écrit dans une note de lecture manuscrite oubliée en ces mêmes pages : "ambigu = différence des sexes". Postulat possible et acceptable, mais simpliste en ce qu'il niait et contrevenait à ce qui était défendu dans les textes précités, dans les dessins présentés et les analyses tout autant plastiques que symboliques qui en avaient été faites. Ayant été touché par ce raccourci raccourcissant, je reviens sur lui afin d'en éclairer certains aspects.

AU DÉBUT
Un jour, surfant sur le web, vous pourriez tout autant arriver sur une page affichant la photo d'un transsexuel que le dessin d'une figure ambiguë ou impossible. Bien qu'apparemment fort éloignées, ces deux images peuvent pourtant être rapprochées en ce qu'elles remettent en cause quelque chose qui ne relève pas tant du réel (toute figure impossible ou ambiguë pouvant être construite dans la réalité), que de l'ordre symbolique. Alors que la première renie ou annule la différence naturelle des sexes, la seconde remet en question la représentation univoque du réel. Mais si l'absence de différenciation peut être comprise comme une forme possible d'ambiguïté, il serait téméraire d'affirmer qu'une figure ambiguë questionne la différence des sexes. Une généralisation aussi radicale ne peut en effet rendre compte de la diversité des catégories de l'ambigu et de l'impossible. C'est ainsi que nous allons prendre deux exemples, l'un dans le champ de l'ambigu, l'autre dans celui de l'impossible, afin de confronter le postulat évoqué plus haut à des images précises.

 

PREMIER EXEMPLE : La Fourche du diable

Le premier exemple met en vis à vis la photo d'un transsexuel et une figure impossible de Schuster ayant pour nom le Trident impossible ou la Fourche du diable. Afin d'envisager la théorie de l'ambigu comme représentation symbolique de la problématique de la différence des sexes, nous allons nous intéresser à la structure de ces images.
Deux critères d'analyse vont être utilisés, qui, comme le postulat de départ, ne sont eux-mêmes que des postulats, à savoir des points d'appui permettant seulement d'évoquer, par écran interposé, le réel. Le premier critère sera celui de l'unique et du multiple. Le choix de cette opposition est fondé sur le fait que l'hermaphrodite réunit en son corps les deux appareils sexuels, qui sont habituellement séparés dans l'espèce humaine. À partir de là, nous devons admettre que tant la photo que le dessin présentés ci-dessous, sont des figures uniques : nous ne pouvons séparer, éloigner ou même dissocier un élément de l'ensemble. Le seul écart est que la photographie relève de la figure (un être humain, situé au premier plan, fait figure sur un fond), tandis que l'image impossible fait partie de cette catégorie très particulière de la figure et du fond. Là, si vous suivez du doigt le vide qui sépare la base des deux premiers cylindres, vous aurez en remontant la surprise d'aboutir à une partie pleine (la façade d'une poutre) sans avoir rencontré la moindre limite, franchi le moindre tracé. Cette situation est exceptionnelle, qui fait de ce dessin une figure impossible à part, en raison de l'absence de limite repérable entre la figure et le fond. Pour lors ces deux images font donc cause commune, en ce qu'elles réunissent à l'intérieur d'une forme unique des éléments apparemment incompatibles.

 

Schuster, "Trident impossible", dessin.

 

Le deuxième critère semble, en un premier temps, plus relever de l'algèbre que de la biologie. Mais, en nous attachant à la structure des images présentées, nous verrons que le passage du 2 au 3 est essentiel en ce qu'il peut ensuite fournir un support matériel à la symbolique sexuelle. Le personnage de gauche nous fait ainsi passer du deux (les seins) au trois (le pénis et les testicules). La figure impossible fait de même en nous demandant d'accepter que les deux poutres supérieures se transforment en trois cylindres. Mais cela ne suffit pas à exprimer un contenu symbolique : un simple dé possède, lui-aussi, un deux gravé sur l'une de ses faces et un trois sur une autre. Ce qui réunit ces deux images est la transgression du réel qu'elles opèrent. Alors que la photo exprime une transgression biologique, la figure impossible rend compte d'une autre transgression qui concerne la forme des objets (l'absence des limites entre la figure et le fond), et les lois de la représentation (l'impossible passage d'un parallélépipède à un cylindre). C'est en cela que la symbolique du transsexualisme peut être appliquée à cette figure impossible.

 

Schuster, "Trident impossible", vue de la partie supérieure
 

 

Schuster, "Trident impossible", vue de la partie inférieure

 

Pourtant, je persiste et signe en affirmant haut et fort que toutes les figures impossibles ne peuvent renvoyer à la problématique de la différence des sexes. Pour moi, la Tripoutre des Penrose reste et restera une illustration exemplaire de l'interdit de l'inceste (voir : Psychanalyse de laTripoutre). Qu'y-a-t-il donc dans cette Fourche du diable qui la distingue de la Tripoutre, et sans doute de beaucoup d'autres figures impossibles ? Tout simplement le travail opéré sur la figure et le fond. Tandis que le dessin des Penrose met en évidence trois poutres sur le fond immaculé de la page, le dessin de Schuster intrique de manière indissociable, impensable, inimaginable la figure et le fond : ce qui est la figure d'une poutre devient le fond de deux cylindres et inversement. En quoi cela peut-il influer sur les projections symboliques que certains peuvent être amenés à faire, consciemment ou non, sur ces images ? Alors que la Tripoutre peut, par l'entremise des contiguïtés impossibles de ses chevrons, évoquer les interdits relationnels des trois figures de la famille nucléaire, la Fourche raconte un autre récit. Elle nous demande de décider ce qui vient faire figure sur un fond : la poutre ou le cylindre, le rectiligne ou l'arrondi et même le plein et le creux, tant il est facile d'imaginer un tube en lieu et place d'un cylindre et tant aucun indice ne vient ici nous confirmer l'une ou l'autre de ces hypothèses. Qu'en-est-il maintenant de la photographie ? Nous pourrions penser qu'elle échappe à la problématique de l'indécidabilité de la figure et du fond, puisque nous avons là un corps qui fait bien figure sur un fond (le lit, les coussins, les boiseries). Mais, ici ce n'est pas tant le décor qui fait fond que le corps lui-même. Cette photographie nous demande en effet de choisir entre deux figures pour orner ce corps devenu support : les seins ou le pénis. Et de même que nous ne pouvons apercevoir la limite qui sépare sur le papier les poutres des cylindres, nous n'arrivons pas à distinguer sur cette peau le masculin du féminin.
C'est ainsi que cette figure impossible en arrive, grâce à deux poutres et trois cylindres, à donner une représentation de l'impensable : la réunion des sexes.

 

SECOND EXEMPLE : Le Trio

Nous allons maintenant aborder le domaine des figures ambiguës. Le second exemple met en vis à vis la photo de cette même personne et d'une figure personnelle ayant pour nom le
Trio. Premier constat : alors que l'être humain est unique, continu, entier (et même plus), le dessin est constitué de trois éléments distincts, repérables et autonomes. Aucune contiguïté matérielle n'est repérable en ces trois blocs. Le premier critère, qui requiert un élément unique pour ensuite donner lieu à deux interprétations contraires, n'est donc pas rempli par cette figure.
Voyons maintenant le passage du deux au trois. La figure concernée, emblématique de beaucoup d'autres figures personnelles, ne pose pas une problématique algébrique. Si nous reprenons le système des caches (ci-dessous), nous voyons que les trois éléments sont présents, tant dans la partie haute que dans la partie basse. Ce n'est donc pas le passage du deux au trois (du féminin au masculin de la photographie) qui vient ici servir de support au symbolique. À y regarder de plus près, l'ambiguïté de cette figure ne repose pas sur le nombre d'éléments qu'elle contient, mais sur leurs relations spatiales. Nous sommes dans le géométrique. En cela nous avons à percevoir l'échelonnement des formes dans l'espace : selon notre regard, l'élément central peut tout autant apparaître volant et conjoint aux deux autres blocs (vue n°1) que posé au sol et lointain (vue n°2). Nous ne reviendrons pas ici sur la symbolique de l'évitation/lévitation, longuement développée dans
Psychanalyse duTrio. Nous rappellerons simplement, que le Trio pourrait bien évoquer l'évitation de l'inceste, après que la Tripoutre en ait marqué l'interdit. À l'évidence, ce délire interprétatif ne passe pas auprès de certains spécialistes de l'âme humaine (voir l'avertissement du début). Pourtant, le hasard étant parfois propice, j'ai découvert, tandis que je rédigeais ce texte au pas du haleur, l'article d'un psychologue des profondeurs.

 

Figure ambigue, "Lévitation", vue de la partie supérieure.
 

 

Figure ambigue, "Lévitation", vue de la partie inférieure

 

Une première citation de Bruno Bettelheim m'a ainsi conforté dans mon propos : "Les enfants pour qui les nombres conservent leur signification autocentrique - pour qui un représente l'enfant lui-même ou l'un de ses parents, deux l'autre parent, etc. - peut rencontrer des difficultés insurmontables quand on lui demande de compter jusqu'à quatre ou cinq. Un petit garçon qui avait été dans ce cas était le seul enfant de la famille qui l'avait adopté, jusqu'au moment où les parents eurent un enfant à eux. Il pouvait additionner facilement jusqu'à trois , mais pas au-delà, parce que, disait-il, compter jusqu'à quatre ce n'était pas la même chose que compter jusqu'à trois. Dans sa propre expérience de la vie, en effet, ce n'était pas la même chose." (p.207, voir Biblio plus bas). Il est vrai que dans le dessin du Trio ce n'est pas tant la quantité que la disposition qui relève de la signification autocentrique. Il n'en reste pas moins que nous sommes, là encore et bien qu'adulte, dans une : "propre expérience de la vie". Il est vrai aussi qu'à appliquer ce même dénombrement à la Fourche du diable, nous pourrions arriver à une toute autre interprétation de cette figure impossible. Freud, dans l'un de ses écrits (à retrouver) évoque la difficulté de l'enfant à imaginer la reproduction sexuée, ajoutant que l'enfant se pose la question sous la forme suivante : comment 1+1 font-ils 3 ? Cette fourche pourrait donc inscrire le désarroi de l'enfant dans l'image en le confrontant à ce passage apparemment impossible des deux poutres aux trois cylindres. Cette valse des interprétations devrait nous rappeler à la modestie. Car, pour regarder une image il faut être deux : une image et un regardeur. Bien que dépositaire de l'inconscient de son créateur, l'image reste là, immuable et impavide, attendant que le regardeur vienne ensuite la conforter en son propos ou investisse à l'aide de son propre récit, fait de fantasmes, projections, désirs et névroses, le support symbolique qui lui est donné à voir.
Une autre citation du même livre de
Bruno Bettelheim peut encore préciser la problématique en jeu : "Une simple addition ou la géométrie plane peuvent présenter des difficultés insurmontables ; c'est le cas, par exemple, de l'élève qui ne peut pas comprendre les propriétés du triangle parce que les relations triangulaires de sa famille lui échappent. Ici, en général, le père, la mère et l'enfant forment un triangle où les relations affectives sont si compliquées que l'enfant est incapable de comprendre quoi que ce soit à la forme du triangle, en tant que figure géométrique, ni à ses caractéristiques inhérentes." (p.209-210). Là, je n'ai plus rien à dire, car tout est dit. Non plus dans une image mais en ces lignes, je peux, moi aussi, projeter mon propre récit, me reconnaître, me rassurer, me conforter : non je ne suis pas seul à délirer en évoquant la famille nucléaire lorsque je vois ou que je parle d'images aux relations triangulaires impossibles ou ambiguës.

 

BIBLIOGRAPHIE

BETTELHEIM Bruno,
Survivre, collection Pluriel, Éditions Robert Laffont, Paris, 1979.
FREUD Sigmund,
(citation à retrouver)

 

 

 

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