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"La ségrégation de la figure et du fond, 1" |
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Décembre 2017
INTRODUCTION BIEN MAL INTRODUITE D’après le croquis du Vase réalisé par Edgar Rubin en 1915, le problème de la figure et du fond se pose quand deux éléments d’une image ne permettent pas de procéder à une ségrégation conduisant à la reconnaissance sûre et définitive, de l’élément qui s’avancerait au premier plan pour faire figure et de celui qui serait au dernier plan pour constituer le fond. L'indécidabilité de la figure et du fond autorise deux perceptions possibles et successives de l’image, qui devient ainsi réversible, ou plutôt, en ce cas précis, instable. Soit vous voyez un vase noir sur un fond blanc, soit vous percevez deux visages blancs de profil et se faisant face devant un fond noir. Et, une fois les deux images perçues, vous pouvez aller de l'une à l'autre comme bon vous semble.
Mais avant d’en arriver là, nous regarderons déjà ce qu’il advient de la ségrégation de la figure et du fond dans des images peintes ou dessinées plus proche du réel que ce Vase aux silhouettes simplifiées à l’extrême. À l’évidence, le Vase ne peut, de par sa simplification, rendre compte des intrications complexes que peuvent nouer la figure et le fond dans la réalité du monde. Commençons par une image déjà étudiée sur ce site : Marché aux esclaves avec apparition invisible du buste de Voltaire.
A. LES PEINTURES 1. DALI Cette toile de Salvador Dali avait posé bien des soucis lorsqu'il avait fallu l'intégrer à la classification des ambiguïtés et impossibilités spatiales présentée sur ce site. Après de nombreux atermoiements et retournements, il fut décidé de considérer que cette image utilisait tout autant la figure que le fond pour faire apparaître le buste de Voltaire. Ainsi, tandis que le pied du buste fait partie du premiers plan, le front et le bonnet de l'écrivain utilisent le ciel, le plan le plus lointain de l'image, pour surgir. Enfin, le reste du visage occupe les plans intermédiaires de ce paysage.
On le voit, le Vase de Rubin n'a pas à subir cette complexité des plans, ni cette intrication de la figure et du fond dans l'image cachée (le buste), intrication qui ne nous empêche pourtant nullement de faire surgir ce visage, ni de basculer d'une image à l'autre. 2. BRAUNER D'autres peintres se sont essayé à travailler les ambiguïtés de la figure et du fond. Et parmi ceux-ci, Victor Brauner tient une place importante en ce qu''en usant et abusant du fond e, il a trouvé une manière bien particulière de s'en servir.
Avec cette peinture, Brauner utilise le procédé du visage face-profil, motif cubiste dont on ne saurait dire de Braque ou de Picasso, qui en est l'initiateur. En premier lieu, un grand visage aux petits yeux blanc se présente à nous sous un léger trois-quart, visage dont la partie droite resterait dans l'ombre. Puis à droite de l'image, un visage sombre à la langue probablement tirée, nous présente son profil gauche, qui pourrait tout aussi bien être un autre trois-quart en raison de la présence des deux yeux. Enfin certains verront deux visages imbriqués qui pourraient alors évoquer le thème du baiser cher à Picasso.
Le fond est ici utilisé par le grand visage pour définir la joue située à droite et la zone entourant l'oeil placé à gauche. Le fond est encore utilisé par le visage sombre vu de profil pour constituer l'appendice nasal et ses alentours, en même temps que la mâchoire, le menton et le cou. Mais, encore une fois, à la différence de la toile de Dali, ces parties du fond, malgré leur surgissement, ne sont pas séparées du fond. Aucune limite ne permet de connaître le lieu où le visage sombre se distinguerait de la couleur de fond de l'image.
B. LES DESSINS 1. UNE IMAGE SÉDITIEUSE Après la mort de Louis XVI, des images d'urnes funéraires et de saules pleureurs commencèrent à circuler. Ces images étaient recherchées tant par les royalistes que par les gendarmes, car ces dernières cachaient en leur sein les portraits des anciens souverains. Ainsi comme il l'a été dit dans un autre article : Rubin n'a pas découvert le Vase de Rubin.
Edgar Rubin s'étant sans doute inspiré de ces images, la problématique du Vase était déjà là, mais à quelques écarts près. Il s'avère tout d'abord que le graveur, à la manière de Brauner, ne propose pas de profils totalement clos. Ainsi, les visages de Louis XVI et de Marie-Antoinette se dissipent et se perdent peu à peu dans le blanc du ciel. Il s'avère ensuite que ces images étaient qualifiées de séditieuses en ce qu'elles étaient censées cacher aux yeux des révolutionnaires puis des bonapartistes le profil des souverains. En cela, ces images s'avèrent beaucoup moins instables que le Vase de Rubin et seuls les gens avertis pouvaient, à l'époque, percevoir les profils cachés. Cet écart peut s'expliquer par l'aspect réaliste des gravures. Encore aujourd'hui, l'abondance des formes et des matières, le jeu de la lumière et des ombres, le modelé et la perspective n'incitent pas le regardeur à investiguer le fond blanc de l'image. Alors que le Vase, privé de tous ces détails, propose seulement deux silhouettes constituées de deux aplats aux superficies équilibrées. Voila donc ce qui pourrait expliquer la meilleure instabilité de la lecture du Vase : le passage d'une urne aux visages cachés à un Vase aux profils offerts. 2. PAYSAGE ANTHROPOMORPHE Nous retrouvons avec cette image la problématique déjà discutée avec l’ Apparition du buste de Voltaire. Ici encore, la seconde image, le visage caché dans le paysage urbain, utilise certains éléments de la figure et d'autres du fond. Tandis que la bouche, le nez, les yeux et les cheveux reprennent des plans verticaux de la ville plus ou moins échelonnés dans l'espace, le front dégarni se sert du ciel pour apparaître. Mais nous avons aussi le menton et les joues qui réutilisent le plan fuyant des pavés pour advenir au regard.
Malheureusement je n'ai pour lors trouvé aucune référence concernant cette image : ni auteur, ni titre, ni date. Cependant, les vêtements du personnage féminin laissent à penser que nous sommes là à la fin du XIXème siècle. C'est ainsi que Dali aurait très bien pu être inspiré par ce type d'image pour faire apparaître le buste de Voltaire. 3. TOM ELDER HEARN Une légère différence distingue cette double-image de la précédente. Alors que nous avions un fond des plus éloignés (le ciel), nous nous trouvons maintenant dans un espace fermé dont l’arrière-plan se situe à quelques mètres de nous. Hormis cet écart, les mêmes principes régissent cette autre image.
Cette fois des références peuvent être données : Tom Elder Hearn travaillait au début des années 1900, principalement en Angleterre. Et une notice apparaît à son propos dans le magazine Variety, d'octobre 1927. Là encore, même si cette affiche s'éloigne fort du Marché d'esclaves, Dali aurait pu être inspiré par cette double-image. 4. SHIGEO FUKUDA Monsieur Fukuda est le graphiste qui a sans doute le plus utilisé les illusions d'optique dans son travail. Plutôt que de reprendre sa célèbre image de jambes placées tête-bêche qui alternent le noir et le blanc, le masculin et le féminin, le couvert et le découvert, voici une couverture du magazine Domus.
CONCLUSION TRÈS PEU CONCLUSIVE D'UNE PREMIÈRE PAGE Après toutes ces images peintes ou dessinées, nous allons retourner aux illusions. Mais avant d'aborder des illusions de Rubin beaucoup moins connues que le Vase, essayons de comprendre ce qu'il a d'exceptionnel. Certes le Vase simplifie à l'extrême la problématique de la ségrégation de la figure et du fond. Cette image est l'exemple parfait d'une succession incessante de deux visions dont on ne saurait dire celle qui est juste. Alors que nous comprenons bien que le buste de Voltaire est une apparition secondaire, une hallucination, provenant d'une mauvaise ségrégation des plans du marché d'esclaves. Malheureusement, ce parfait exemple ne pourra jamais se retrouver dans la réalité. Car, alors qu'elles sont, elles aussi, dessinées, les images précédentes ont bien montré que la distinction de la figure et du fond n'est jamais aussi tranchée dans une image complexe et que cet équilibre entre les deux visions ne peut se retrouver que dans un dessin mûrement réfléchi et fort éloigné du réel. Ce qui fait la grandeur mais constitue aussi la limite de cette illusion. ADDENDUM EN FORME DE REPENTANCE En écrivant cette page et en cherchant les sources des différentes images présentées ici, j'ai, à mon grand dépit, trouvé la version originale du Vase dessinée par Rubin en 1915.
Vous comprendrez aisément que je préfère la version que je n'ai pas réalisée mais que j'ai toujours utilisée sur le site. Celle-ci possède au moins deux avantages. En premier lieu, elle autorise une instabilité ou, si vous préférez, une réversibilité des lectures beaucoup plus importante. La raison, qui constitue son second avantage, est qu'elle ne laisse pas les deux profils s'évanouir dans le fond en donnant lieu à des déformations crâniennes et corporelles assez surprenantes. De plus, l'image originale ne m'aurait pas permis de développer l'argumentaire tenu ici, qui, bien qu'étant toujours valide, ne peut plus se fonder sur l'image dessinée par l'inventeur de la ségrégation de la figure et du fond.
PAGE SUIVANTE : D'autres croquis de Rubin.
ICONOGRAPHIE DALI Salvador, BIBLIOGRAPHIE RUBIN Edgar,
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