Joachim Beuckelaer, Marchés aux poissons,
Beuckelaer, "Le marché aux poissons", 1568.

 


PLANSITE-------SITEMAP---

Né et mort au siècle précédent, Joachim Beuckelaer peignait déjà des "Marchés aux poissons", mais ceux-ci présentent un autre récit sexuel. Les personnages de ses toiles ne cherchent pas, comme chez De Witte, un lien, une relation, que celle-ci soit désirée ou crainte, mais, par la construction plastique mettent en évidence une séparation.

1. "Le marché aux poissons", musée de Strasbourg.

Cette fois nous avons deux vendeurs derrière l’étal. La séparation, tant symbolique que plastique, est évidente. La moitié gauche de la toile est occupée par une femme qui ne s’occupent que de poissons entiers et parfois séchés ou fumés. La partie droite représente un poissonnier qui, hormis une sole ou limande accrochée à une poutre, vend du poisson tranché. Cette séparation des tâches, surlignée par l’axe vertical médian, offre, à qui veut la voir, une séparation symbolique.

L’homme domine. Ne se contentant pas de regarder le spectateur, il exhibe la darne de saumon, reprise plus tard par De Witte. Mais ici, il la soulève, la pénètre de deux doigts et l’offre ainsi à la vue pour montrer son pouvoir et la maitrise qu’il a du sexe féminin. D’ailleurs, l’une des deux jeunes femmes placées à l’arrière-plan ne semble pas insensible à cette exhibition, elle se retourne à moitié pour regarder l’objet ou plutôt son possesseur. Il n’est pas anodin de constater, qu’à la surface de la toile, la darne enfilée touche le panier, ce contenant utérin pour lors dégarni, de la femme. Le couperet est, quant à lui, déjà là, mais au lieu d’être tenu en main, il est simplement posé, l’acte a été réalisé.

La femme est, quant à elle, soumise, regard baissé, mains fermées, elle regarde dans le vide. Perdue dans ses pensées ou ses souvenirs, elle tourne ostensiblement le dos à l’homme. Sur l’étal un détail : un poisson apparemment plus important que les autres, occupe, à lui seul une bassine de cuivre. Ce poisson isolé des autres pourrait bien être l’objet chéri qui permit une union maintenant morte. De même que la sole pendue à la poutre, son pendant plastique, en serait la version féminine. Et au milieu, cette darne fraichement découpée montrerait l’activité affichée et présente du maître de la découpe.

 

2. "Marché aux poissons", New-York.

Beuckelaer, "Marché aux poissons, 1568.

La version de New-York n’apporte pas grand chose à ce que nous venons de voir. Au mieux, elle pourrait, par certains détails, conforter le récit symbolique offert par la version précédente de Strasbourg. Ainsi, la femme, maintenant située à droite, regarde le poissonnier d’un regard assuré, tout en fermant de ses deux mains son pot de terre : le message semble passer puisque l’homme détourne la tête. Un même poisson esseulé dans sa bassine de métal, bassine en contact avec le pot de terre, ne pourra donc plus y rentrer. D’un autre coté, l’homme n’exhibe plus le résultat de son activité mais le travail même. Et cette fois, une cliente n’hésite pas, elle tend d’un geste ferme son panier vide à cet homme qui, bien que vieilli, maitrise encore son métier. Une autre femme, derrière elle, attend, alors que son panier semble rempli de légumes. Enfin, à l’arrière plan deux femmes, aux foulards de tête longs et sombres, semblent jaser, surtout que l’une tient bien en main un panier fermé.

 

3. "Le marché aux poissons", musée Ferens, Hull.

.Beuckelaer, "le Marché aux poissons", XVIème siècle.

Avec cette autre toile, Beuckelaer poursuit son récit. Nous ne sommes plus dans la séparation mais dans la dénonciation. La femme située à droite n’est plus la poissonnière vieillie et résignée. À la place, nous avons une jeune femme, qui par son doigt pointé vers le poissonnier désigne quelqu’un et quelque chose. Elle n’est pas celle qui a été trahie, elle n’est pas celle qui veut être comblée. Elle ne tient pas un grand panier mais un pot de terre, qui bien qu’ouvert semble rempli (ou serait-ce un reflet ?). Cette femme est à la place habituelle de la poissonnière, derrière l’étal aux poissons entiers, séchés… Mais, le poisson privilégié n’est pas à coté d’elle, toujours dans sa bassine, toujours seul, il se trouve plus loin en bas à droite, la tête tournée vers elle.

Une femme apparait au centre. Assise, elle écoute, avec un regard intéressé le dit de la jeune femme. Bien qu’un panier vide soit à ses pieds, elle ne demande rien.

L’homme semble, quant à lui, inquiet, fatigué. Bien que deux darnes de saumon apparaissent entre son torse et son bras, l’une ouverte et l’autre close, l’esprit de la chose n’y est plus. Même l’oeil de la tête tranchée d’un poisson situé en arrière de sa main semble l’accuser. Enfin, le couperet, cette arme tranchante n’est plus au centre de la composition, mais en bas à gauche. Qui plus est, cet élément essentiel dans les toiles déjà vues n’est plus au centre de la composition mais "coupée" par le cadrage. Reléguée comme son pendant, le poisson dans la bassine.
Là encore deux femmes situées au second plan et couverte d’un foulard long et sombre, sans parler, affichent une mine sévère.

 

4. "Marché aux poissons", musée de Capodimonte.

Beuckelaer, "Marché aux poissons", 1569.

La version de Capodimonte poursuit et semble clore les versions précédentes. La femme du poissonnier est reléguée en arrière. Cette fois, elle pose la main sur le couvercle d’une bassine à peine entrouverte, tout en regardant d’un air interloqué le poissonnier ou une personne hors-champ à laquelle il semble s’adresser. De nouveau, le poisson solitaire dans sa bassine de métal est loin d’elle.

Le poissonnier, tenant d’une main un poisson blanc, fait un geste qui pourrait désigner les deux darnes à l’arête centrale absente. Les deux darnes ou les deux femmes. Le couperet est revenu près de lui, bien qu’il ne le tienne pas en main, bien qu’il soit dans l’ombre, il est situé au niveau de son bassin.

Mais un nouveau personnage tient cette fois la place centrale. Un femme dont on saurait dire si elle est poissonnière ou cliente. Seul le panier incliné, dont on ne peut voir l’ouverture, pourrait en faire une cliente. Mais nombre de symboles en font une poissonnière, non pas commise, non pas fille du poissonnier, mais maîtresse et amante. L’ouverture du panier est dirigée vers l’homme. Une raie éviscérée est placée en-dessous de son tablier. Elle a donc été ouverte. De sa main droite, la femme tient la queue du poisson gris, le plus grand qui soit présent sur cet étal. Enfin, on aperçoit au sol entre son bras et son tablier, des coquilles de moules qui, elles-aussi, ont été ouvertes. Cette série de symboles sexuels sont en placés en-dessous de sa taille. Au-dessus, seul le regard qu’elle nous porte est à prendre ainsi. Ce regard à la fois ferme et contrit semble confirmer ce que la symbolique des choses et des animaux suggérait.

La femme habillée de brun tenant un panier recouvert d’un linge blanc qui marche en arrière du poissonnier, se retourne vers lui. Elle pose sur lui un regard encore plus interloqué que celui de sa supposée femme. Que peut bien dire le poissonnier, qu’a-t-il pu faire ?

ADDENDUM
Alors que quelque chose se passe dans le hors-champ gauche, n’oublions pas la scène qui se déroule au loin dans le paysage encadré par l’arche placée à droite. En ce siècle, les scène de cuisine et de marchés n’étaient que le premier plan profane de scènes tirées de la bible. Ce n’est qu’au siècle suivant, avec
De Witte et bien d’autres, que ces citations religieuses disparaissent. Puis, les personnages du premier plan disparurent, eux aussi, donnant ainsi naissance à un nouveau genre pictural : la nature morte.

Dans cette toile, la scène représentée au loin semble être "La pêche miraculeuse". Dans l’Évangile selon Luc, chapitre 5, versets 1 à 11, il est écrit :
"Comme Jésus se trouvait auprès du lac de Génésareth, et que la foule se pressait autour de lui pour entendre la parole de Dieu, il vit au bord du lac deux barques, d'où les pêcheurs étaient descendus pour laver leurs filets. Il monta dans l'une de ces barques, qui était à Simon, et il le pria de s'éloigner un peu de terre. Puis il s'assit, et de la barque il enseignait la foule. Lorsqu'il eut cessé de parler, il dit à Simon: Avance en pleine eau, et jetez vos filets pour pêcher. Simon lui répondit: Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre; mais, sur ta parole, je jetterai le filet. L'ayant jeté, ils prirent une grande quantité de poissons, et leur filet se rompait. Ils firent signe à leurs compagnons qui étaient dans l'autre barque de venir les aider. Ils vinrent et ils remplirent les deux barques, au point qu'elles enfonçaient. Quand il vit cela, Simon Pierre tomba aux genoux de Jésus, et dit: Seigneur, retire-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. Car l'épouvante l'avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause de la pêche qu'ils avaient faite. Il en était de même de Jacques et de Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Alors Jésus dit à Simon: Ne crains point; désormais tu seras pêcheur d'hommes. Et, ayant ramené les barques à terre, ils laissèrent tout, et le suivirent".

Simon pêcheur d’hommes aura donc bien du travail avec ce marché profane où planent le stupre, le vice et la dépravation.

 

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ICONOGRAPHIE

BEUCKELAER Joachim, "Marché aux poissons", 1568, huile sur toile, 128 × 174 cm. New York, Metropolitan Museum.
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fish_Market_MET_DP375107.jpg
BEUCKELAER Joachim, "Le marché aux poissons", 1568, huile sur bois, 119x165 cm., musée des beaux-arts, Strasbourg.
https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/joconde/00190021084
BEUCKELAER Joachim, "Le marché aux poissons", huile sur toile, 16ème siècle, 141x206 cm., Ferens Art Gallery, Hull, England.
https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:The_Fish_Market,_by_Joachim_Beuckelaer.jpg
BEUCKELAER Joachim, "Marché aux poissons", 1569, huile sur toile, 146,5x200 cm., Naples, musée de Capodimonte.
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Joachim_Beuckelaer_-_Fish_Market.jpg

 

 

 

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