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"De l'orientation de l'espace : De la latéralité"

 


PLANSITE------SITEMAP-----

 

Octobre 2010

Comme l'a si bien rappelé Maurice Denis : un tableau n'est qu'une surface recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. Ainsi, vous aurez à perdre de vue l'illusoire représentation de la profondeur, pour revenir à la surface du support qui, ne connaissant que deux dimensions du réel, n'autorise que la gauche et la droite et le haut et le bas : l'abscisse et l'ordonnée de la symbolisation du monde.

DU LAPIN-CANARD ET DU CANARD-LAPIN

Mon lapin, mon petit canard, où étais-tu donc passé ? C'est ainsi que vous parlez aux êtres chers de vos vies et c'est cela que vous avez tant de mal à connaître en cette image, qui jouera au ping-pong avec votre tête une fois que vous l'aurez perçu (pour plus d'informations sur l'iconographie complexe de cette image voir une page anglaise consacrée au Lapin-Canard). Mais ici, à la différence du Cube de Necker (voir page précédente), aucun échelonnement ne vient perturber un éventuel ordre des plans dans la profondeur suggérée de l'espace. En cela, le passage d'un animal à l'autre semble résulter d'un simple balayage visuel latéral, balayage qui permet, une fois le mécanisme compris, l'incessante successivité des interprétations. C'est en opérant une triangulation "à deux points!", en associant oeil et museau puis oeil et bec que nous sélectionnons les éléments nécessaires et suffisants à le reconnaissance formelle d'un des deux profils (lire à ce sujet l'article sur la triangulation des profils).

 

Double-image : "Lapin-canard" de Jastrow

 

DE LA FEMME, DE LA BELLE-MÈRE ET DES TêTES TORSES

Ma femme et ma belle-mère de Hill va nous permettre de mettre en lumière une autre orientation des plans résultant d'un balayage visuel latéral de l'image. Car ici, le balayage latéral ne nous conduit pas vers deux profils plans et antagoniques, mais vers deux têtes de femme, toutes deux perçues de trois-quart. Tandis que le regard de la belle-mère s'approche de nous vers la gauche, celui de la jeune femme s'en éloigne dans la même direction. Mais cela nous fait revenir à la classification établie depuis longtemps en ce que nous aboutissons à partir d'un même ensemble formel à deux représentations obliques aux orientations contraires. Voyons alors une autre figure.

 

Double-image : "Ma femme et ma belle-mère" de Hill

 

Le visage bidirectionnel présenté ci-dessous pourrait, à tort, être considéré comme une redite de Ma femme et ma belle-mère. Il est vrai qu'ici comme avant, cette image est constituée de deux plans obliques qui se dirigent vers deux directions antagoniques de l'espace. Tandis que la moitié supérieure contemple le hors-champ droit de l'image, sa moitié inférieure se dirige vers le hors-champ gauche. Les yeux semblant suivre la direction du menton, vous pouvez masquer la moitié inférieure du visage pour constater la véritable orientation du regard. Ainsi, à la différence de l'image précédente, ce Portrait torse est constitué de deux morceaux antagoniques accolés pour les besoins de la cause de l'impossible. En l'absence d'un plan unique se dirigeant successivement dans deux directions contradictoires, nous ne pouvons plus prétendre être dans la catégorie plastique de la superposition. L'évidente contiguïté des deux morceaux veut que nous ayons là un contact impossible d'orientations contraires.
Mais le plus navrant, ou le plus désespérant, est que notre système perceptif se refuse à cette impossibilité. La première fois que j'ai vu cette étrange figure, je n'ai pas compris la raison pour laquelle elle était considérée comme une illusion d'optique : je ne voyais là qu'un visage ordinaire, et, il m'arrive encore d'imaginer un personnage faisant une moue dégoûtée dès que j'ai le malheur d'apparaître dans son champ de vision.

 

Visage bidirectionnel

 

Vous pouvez voir une illusion similaire quoique de beaucoup antérieure, le visage dessiné par Brewster, en consultant la webographie située en bas de page.

DES OMBRES TOURNANTES

L'ombre de cette pièce d'échec (collection Werner Nekes, voir webo en bas de page) portée au mur dessine le profil redoublé de l'Empereur. En France, ces images étaient qualifiées de séditieuses, en ce qu'elles pouvaient tout autant représenter le profil de Napoléon sous les Bourbons que celui de Louis XVI sous l'Empire. D'un point de vue plastique, ces silhouettes semblent nous faire revenir au principe du Lapin-Canard : nous avons besoin d'effectuer un balayage visuel latéral afin de percevoir les deux images distinctes quoique répétées. Nous savons pourtant que seul Janus et quelques divinités hindoues peuvent se permettre de posséder un visage biface (voir l'article sur la Double-face). Ainsi, à la manière du Portrait torse, nous avons là le collage impossible de deux profils d'un même personnage orientés dans deux directions opposées.

 

Pommeau de canne portant au mur l'ombre du  profil de Georges Washington.

 

DE LA TRIPLE-FACE SANS QUEUE NI TÊTE

À l'Abbaye de Fontdouce, sise en Saintonge, vous pourriez admirer ces visages étranges que les spécialistes supposent être des représentations possibles, mais non assurées, de la trinité. Pour en savoir plus sur cette figuration particulière, allez à la page suivante : La triscèle et la triple-face. Avec cette nouvelle image, nous sommes sans cesse en train de nous demander si le deuxième oeil en partant de la droite est bien l'oeil droit de la tête située au centre ou l'oeil gauche de la tête droite. Et cette même question se répète pour l'oeil situé à sa gauche, qui par sa position spatiale intermédiaire, offre, lui-aussi, deux interprétations différentes et successives de sa nature : oeil gauche ou oeil droit ? Une fois encore, le balayage visuel que nous effectuons sur ce chapiteau peut changer la signification d'un élément (ici l'oeil). Mais, dans quelle catégorie plastique pourrons-nous placer le résultat de cette perception ? Dans un premier temps, il y a superposition : un même oeil prend en charge deux emplacements et significations différentes. Le problème est que la superposition n'autorise qu'une forme générale, à l'intérieur de laquelle viennent se disputer plusieurs organisations formelles (le Lapin-Canard). Ici, nous avons du trop-plein, du surplus : cela déborde de tous cotés, à gauche et à droite. Nous pourrions alors parler du contact impossible de trois têtes. Mais l'oeil problématique n'est pas ajouté, n'est pas collé à coté, il est un élément commun à deux visages. Ne reste donc plus pour expliquer la plastique de cette image que l'alignement équivoque. À la manière de certaines phrases aux trop nombreuses subordonnées, nous avons à nous demander si cet élément formel problématique (l'oeil comme syntagme unique) doit être rattaché à tel groupe formel situé plus avant ou à tel autre antérieur (le visage de gauche ou de droite comme étant des propositions différentes). Il n'en reste pas moins que ce parallèle avec le langage ne résoud pas le problème des têtes surnuméraires. Ces débords formels, ces têtes surnuméraires en partie énucléées, ne peuvent guère être comparées à des syntagmes complets, si ce n'est aux monstres si bien sculptés par les tailleurs de pierre du Moyen-âge ou aux points de suspension par lesquels le langage nous permet de rester dans l'indéfini, l'incertain, le non-dit, le débordement,...

 

"Trinité", cul de lampe de la salle capitulaire, Abbaye de Fontdouce, XIIIème, Saintonge.

 

Tout ce charabia reste obscur et peu convaincant. Pour cette raison, nous terminerons cette page par une illusion, le B/13 de Bruner & Minturn, qui devrait permettre d'éclaircir le problème posé par la triple-face précédente. Selon la direction du balayage que nous opérons (du haut vers le bas ou de la gauche vers la droite), le même symbole graphique central, relève de deux suites syntagmatiques différentes. À l'horizontale, nous voyons la lettre B, tandis qu'à la verticale, nous obtenons le nombre 13. Si le B/13 était seul, privé de son contexte, nous aurions bien une superposition équivoque des deux significations. Mais le travail que nous demande cette image est de choisir la direction sur laquelle nous allons poser cet élément, de décider de l'orientation sur laquelle nous allons l'aligner.

 

Figure ambigue : B/13

 

CONCLUSION PROVISOIRE ET SUSPENDUE

Comment conclure sur ces figures qui n'ont de cesse de nous renvoyer à un début qui ne connaît pas de fin ? Nous pourrions pour cela prendre un équivalent langagier, puisque, comme certains l'ont noté, nous sommes devant un palindrome visuel (Wikipedia : Palindrome). Devant, mais en partie à coté, pas vraiment dans l'axe. Car si le palindrome se lit bien dans deux sens contraires, il donne à lire un même texte. Serait-ce alors que le langage aurait à s'inspirer de l'image, afin de produire des palindromes aux significations différentes ?

 

PAGE SUIVANTE : Des retournements
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WEBOGRAPHIE

http://mathworld.wolfram.com/YoungGirl-OldWomanIllusion.html
Iconographie et liens concernant
Ma femme et ma belle-mère, dont Hill n'est pas le découvreur.
https://www.ocf.berkeley.edu/~jfkihlstrom/JastrowDuck.htm
Page en anglais consacrée à l'iconographie du Lapin-Canard.
http://wernernekes.de/00_cms/cms/front_content.php?idart=106
Page de la collection Werner Nekes avec Napoléon en pièce d'échec.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Palindrome
Le palindrome vu par Wikipedia.
ILLUSION DE BREWSTER
http://richardwiseman.wordpress.com/2010/09/16/amazing-eyes-illusion/
Les mêmes yeux sont utilisés sur deux visages perçus de trois quart gauche et droite.
http://books.google.es/books?id=p_5XAAAAIAAJ&hl=fr&pg=PA119#v=onepage&q&f=false
Page google du livre de
Brewster mais avec un seul croquis !

VOIR

Abbaye de Fontdouce, XIIIème siècle, Saintonge, cul de lampe de la salle capitulaire.

 

 

 

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