ARTICLE |
"Les faux raccords en peinture, page 1" |
||||
|
|||||
Novembre 2017
FAUX RACCORDS EN PEINTURE On serait amener à penser que les faux raccords de la page précédente ne peuvent s'inscrire à l'intérieur d'une représentation peinte ou dessinée. En effet, ce type de représentation, de par son caractère pensé et réfléchi, ne devrait pas donner lieu aux hasards surprenants que révèle parfois la photographie. LES FAUX RACCORDS INVOLONTAIRES DES CORPS 1. LES TÊTES ET LES CORPS Cette miniature des frères Limbourg peut cacher, pour qui cherche la petite bête, un faux raccord des têtes et des corps. À droite deux chevaux confondent en partie leur masse. Et si nous savons bien que la tête blanche appartient au cheval blanc, je ne peux m'empêcher de voir là une situation possible de faux raccord.
Pourtant certaines civilisations ont sciemment utilisé ce type de faux raccords des têtes pour obtenir des images ambivalentes. Deux animaux sacrés se rencontrent sous l'oeil de Vishnu. Cette rencontre est si forte que leurs têtes se mêlent et s'emmêlent. Parcourant cette image de la gauche vers la droite, vous seriez tentés de voir l'éléphant, tandis qu'à effectuer ce trajet dans l'autre direction, vous verriez la vache sacrée. À quel corps devons-nous raccorder la tête centrale ? Au deux ! En effet à la différence des photographies précédentes qui nous incitaient à voir une situation improbable et sidérante en lieu et place de la réalité des corps, l'équilibre est ici trouvé entre deux raccords formels aboutissant à deux situations possibles. Ainsi, en voyant l'éléphant, vous recouvrez de sa tête celle de la vache et vice-versa.
En fait, nous n'avons pas là, tant un faux raccord, faux raccord qui peut être associé à la catégorie plastique du contact équivoque, qu'une superposition équivoque. La partie centrale des deux têtes relève en effet d'un même dessin. C'est en choisissant les éléments périphériques (trompe de l'éléphant ou oreille de la vache) et le corps que nous changeons l'orientation de la tête pour obtenir l'un ou l'autre animal. Ainsi cette forme centrale superpose en un même dessin deux têtes d'animaux différents. Nous retrouvons là, la problématique du Lapin-canard, exemple typique de superposition équivoque. 2. LES BRAS ET LES CORPS Les enfants de Mercure, gravure d'Hendrick Goltzius, m'avait arrêté en raison d'un détail qui me laissait dans l'indécision. Je ne savais plus à quel corps je devais rattacher certains bras. Pour voir cela, l'agrandissement d'un détail vous sera d'un grand secours.
Le peintre, un des enfants de Mercure, ce personnage bien mis de sa personne et à la pose gracieuse, me semble posséder deux bras droits. Tandis que le bras inférieur tient pinceau et palette, le bras supérieur tend un objet difficile à identifier. Mais, l'effet de surprise une fois passé, nous pouvons rattacher le bras à la palette au peintre situé au premier plan et le bras àl'objet inconnu au personnage qui surgit derrière son épaule.
Mais, une troisième interprétation visuelle de la gravure, quoiqu'improbable, reste encore possible. Le personnage secondaire resterait en arrière, dans l'ombre du peintre, lui laissant son bras. Nous aurions alors, superbe allégorie, un peintre triomphant qui, tout en travaillant son art, disserterait, geste à l'appui, sur sa pratique picturale. Cette interprétation là n'est pas loufoque. Nombre d'aberrations morphologiques qu'elles soient naturelles (siamois) ou artificielles (pollution au mercure de Minamata) ne se cantonnent pas aux flacons de formol des musées de médecine.
De même, vous promenant au Centre Culturel Suisse au printemps 2018, vous auriez pu voir plusieurs autoportraits d'Urs Luthi, sculptures hyperréalistes qui s'amusent des faux raccords. 3. LES RESTES DES CORPS En cette Promenade, un homme coiffé d'un haut de forme affiche une barbe qui se confond avec la chevelure d'une promeneuse aux cheveux possiblement dénudés. Ainsi, malgré la distance qui les sépare, cet homme pourrait humer le parfum d'une chevelure dont la couleur n'est pas sans rappeler celle de son bouc.
Cette fausse rencontre n'est qu'un des lapsus picturaux de l'artiste. Car ce dernier récidive en alignant la canne brune de l'homme avec la ceinture blanche de la femme. De même que le foulard qui enserre son cou poursuit sa trajectoire dans le col de l'homme. En cette promenade, deux promeneurs se voient ainsi liés par le discours plastique des contacts et des alignements équivoques. Terminons plutôt par une publicité moderne qui confond encore, mais pour d'autres motifs, barbe et chevelure, pilosité masculine et féminine, pile et face...
Après ces faux raccords, pour la plupart involontaires, nous allons aborder les faux raccords volontaires qui, en tous temps et toutes cultures, ont donné lieu à des ambiguïtés ou impossibilités spatiales.
PAGE SUIVANTE : Faux raccords en peinture, page 2.
WEBOGRAPHIE http://lareclame.fr/47809+garnier+barbe ICONOGRAPHIE Peinture murale, temple hindou de Ramanathaswamy, Rameshwaram, Tamil Nadu, Inde.
|
|||||
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |