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"Les faux raccords en peinture, page 2"

 


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Novembre 2017

 

DES FAUX RACCORDS VOLONTAIRES EN PEINTURE

Malgré les faux raccords involontaires de la page précédente, certains artistes ont cherché à utiliser les faux raccords à l'intérieur d'une image peinte ou dessinée, estimant que ce type de représentation, pouvait servir certains propos que le réalisme n'est pas à même d'exprimer.
Ces faux raccords étant volontaires, nous allons essayer de trouver le mécanisme plastique qui permet, en chaque image, de montrer pour l'artiste et de reconnaître pour le regardeur ces incongruités de la représentation.

1. LES TÊTES ET LES CORPS

Dans l'article consacré aux têtes bifaces, cette allégorie de la Prudence peinte par Giotto avait été considérée, dans un premier temps, comme relevant d'une superposition impossible. Attribution sur laquelle nous allons devoir revenir ici et sur la page précitée. La superposition veut en effet qu'un seul et même élément soit perçu successivement de deux manières différentes : en plongée ou contre-plongée à la manière du Cube de Necker, ou de façon concave ou convexe comme le dièdre de Mach. Malheureusement, la tête de Giotto affiche simultanément et non successivement ses deux profils.
De ce fait, nous avons là une juxtaposition, et donc la contiguïté impossible de deux profils à l'intérieur d'une même tête. Cette image relève donc plutôt du principe plastique de la contiguïté impossible.
Pourtant, même cette attribution laisse à désirer. Les trois catégories plastiques des impossibilités et ambiguïtés spatiales proposées sur ce site perturbent soit l'échelonnement, soit l'orientation attendus des formes dans l'espace. Et, même à envisager la latéralité d'un espace, où ces deux visages tournés dans deux directions opposées, nous inviteraient à orienter notre regard vers la gauche ou la droite, nous sommes encore loin d'une perturbation de la représentation de l'espace réel.
En fait, une représentation allégorique relève plus de l'imaginaire que de la réalité. À ce titre, cette image est moins fondée sur une problématique plastique que sur une problématique sémantique, qui, à la manière de tous les personnages mythologiques, nous fait sortir du réel attendu pour créer un monde imaginaire. Si il y a un faux raccord plastique, ce dernier est le résultat d'un choix sémantique qui n'affecte que peu l'espace de la représentation.

 

Giotto, "Les vertus franciscaines", 1330.

 

Cette autre image, qui ne m'était pas connue lors de la rédaction de l'article consacré aux têtes bifaces, quoique des plus intéressantes, va s'avérer bien difficile à analyser.
Bien que nous retrouvions là deux visages tournés dans des directions opposées, cette pièce grecque présente, quant à elle, une véritable problématique spatiale. Si nous choisissons le profil tourné vers la gauche, l'autre tête passe aussitôt en arrière et vice-versa. Ainsi en lieu et place de l'accolement allégorique précédent, en affichant un successivité incessante du recouvrement possible des deux visages, cette médaille rend l'ordonnancement des plans incertain. Mais, comment allons-nous classer cette image : superposition ou contiguïté impossible ou équivoque ?

 

Monnaie grecque, "Tête  biface d'Athéna".

 

Pour nous en sortir, nous devons séparer l'élément central (composé des nez, des bouches des mentons et de l'oeil central) des têtes coiffées. L'élément central est impossible, mais, à la manière de la fresque de Giotto, cela relève plus de l'ordre sémantique que d'une problématique spatiale. Nous retrouvons ici l'accolement impossible de deux profils donnant lieu à une forme monstrueuse issu de l'imaginaire.
En revanche, le choix que nous faisons d'associer la forme centrale à l'une des deux têtes, constitue une contiguïté équivoque. Car, ce contact n'étant pas figé, hésitant sans cesse face à une alternative indécidable, nous sommes face à une ambiguïté spatiale de l'échelonnement réciproque de ces têtes. Nous aurions donc là une contiguïté équivoque.
Pourtant, un détail persiste à poser problème. L'oeil, à la différence du reste des visages, n'est ni tourné vers la gauche, ni vers la droite. En cette forme unique se superposent en effet deux interprétations différentes : soit nous avons là l'oeil d'un visage tourné vers la gauche, soit celui d'un visage tourné vers la droite. Nous avions, dans l'article consacré à la Triscèle (voir image ci-dessous), considéré que ce type d'image relevait de la superposition équivoque : une seule et même jambe de la triscèle superpose en son dessin deux interprétations différentes : fait-elle couple avec la jambe précédente ou avec la suivante ? Mais, là encore, nous avons à revoir notre copie. C'est lorsque nous associons cet oeil unique à un second élément, par une contiguïté perceptive ou plastique, qu'un visage surgit. Ainsi, deux éléments, un oeil et un profil, doivent être associés pour obtenir un visage. Il en est de même avec la Triscèle. C'est lorsque nous accolons une première jambe avec une deuxième que nous savons quelle est la jambe avant et la jambe arrière. Avec cette monnaie grecque, nous avons donc un contact équivoque de surfaces (un oeil posé sur un des visages), tandis que la Triscèle, autre figure grecque, propose un contact équivoque de contours (une jambe associée à une autre jambe.

 

Triscèle grecque.

 

Mais, pour compliquer le tout, il est encore à noter qu'en ces deux images nous trouvons des éléments surnuméraires. En chaque visage biface, nous avons une bouche, un nez et un menton en trop et, en chaque couple de jambes, une jambe supplémentaire gêne la vision d'une foulée réaliste. Ce qui n'est pas le cas des superpositions équivoques classiques qui, comme le Cube de Necker ou le Lapin-canard, ne laissent aucun élément de coté. En ces figures, la totalité de la forme voit son orientation ou son sens de lecture modifiés pour donner lieu à une interpétation différente.
Mais, si cela nous conforte dans l'attribution de la contiguïté équivoque à cette monnaie grecque et aux différentes Triscèles, ce constat ne résout pas la question de la présence d'éléments supplémentaires, restes éparpillés mais bien visibles dans les différentes interprétations que nous faisons de ces images.
Ainsi, nous sommes obligés de revenir à la Prudence, celle peinte par Giotto, pour penser que ces images, bien qu'utilisant des contiguïtés équivoques, relèvent plus d'un impossible du réel que d'une équivoque ou d'une impossibilité spatiale.

 

Al Hirschfeld, "The boys from Syracuse",1938.

 

Un dernier retournement et un nouveau chapeau mangé seront nécessaires pour vous présenter l'ultime image de ce paragraphe.Si Hirschfeld s'est certainement inspiré d'images anciennes pour produire sa série de visages bifaces. ce dessinateur a su améliorer cet ancien procédé. Les oreilles, nez et mentons surnuméraires, qui, en restant visibles, gênaient la perception d'un visage unique dans les oeuvres plus anciennes, tendent maintenant à se fondre à l'intérieur du second visage. Ainsi, tandis que les bouches peuvent apparaître comme l'oreille de la tête opposée, les nez se transforment en pommettes et les mentons en maxillaires.
De même, Hirschfeld en arrive à donner une expression tout à la fois plus forte et singulière à ses visages. L'oeil, bien que commun aux deux têtes, est pourtant différent en passant de l'une à l'autre. Alors que la monnaie grecque utilisait une forme symétrique, qui donnait un regard identique à deux visages presque dépourvus d'expression,
Hirschfeld tord cet oeil cyclopéen pour donner à voir un visage agressif face à un autre contrit.
Ainsi, avec ce dessin, nous nous rapprochons d'une véritable contiguïté équivoque spatiale, presque totalement dépourvue d'éléments impossibles que ces derniers soient d'origine plastiques ou sémantiques.

2. D'AUTRES CULTURES

En dépit d'un sujet différent, cette encre sur papier d'époque Safavids pose des problèmes similaires à ceux que nous venons de voir. Ici, par le jeu des contiguïtés, deux têtes de chevaux peuvent donner lieu à quatre corps distincts. Il est donc à noter que la multiplication des éléments n'est pas modifiée par rapport aux visages précédents qui doublaient le nombre de personnages. De même, un seul train avant ou arrière peut appartenir à deux animaux différents. Je ne connais, pour lors, qu'une seule image qui, tout en utilisant ce type de contiguïté permet de tripler le nombre des éléments (voir : Faux raccords des têtes et des corps).
À la manière des images déjà vues, nous retrouvons, là encore, des éléments surnuméraires. Voir deux chevaux tête-bêche ne nous empêche pas d'apercevoir des restes, qui, additionnés, forment la croix de Malte visible au centre de l'image.

 

Art Safavide, "Chevaux", 1616.

 

Une différence importante est pourtant à noter : l'utilisation de la transparence. Mais si la transparence permet la multiplication des chevaux, elle transforme cette image en une représentation impossible du réel. Nous voyons le trucage ce qui déprécie l'efficacité d'une illusion qui cherche à orienter nos regards dans une course sans fin. Pourtant cette irréelle transparence n'est pas toujours nécessaire. Ce dessin de Foujita, inspiré d'une tradition japonaise plus ancienne, permet aux vêtements de faire la transition entre les corps sans que la moindre transparence n'ait à intervenir.

 

Foujita, illustration pour une pièce musicale de Maurice Delage.

 

Si nous comprenons mieux les mécanismes plastiques qui sont à l'oeuvre en ce type d'images, nous allons maintenant essayer d'en appréhender les mécanismes perceptifs. Bien que la perception et la cognition ne soient pas les spécialités du site, nous pouvons cependant tenter d'envisager des hypothèses à partir des connaissances superficielles que nous avons de ces disciplines.

3) LA THÉORIE

La théorie des Géons pourrait expliquer les faux raccords que nous opérons parfois dans la perception des corps. En se raccordant de la manière la plus simple possible, ces éléments peuvent, quand il y a un choix, choisir la mauvaise solution.... EN COURS D'ÉCRITURE

 

PAGE PRECEDENTE : Faux raccords en peinture, page 1.

 

 

WEBOGRAPHIE

http://www.alhirschfeldfoundation.org/piece/boys-syracuse-0#result_info_2763
Un dessin de
Al Hirschfeld, The boys from syracuse, daté de 1938 repris en 1963, probablement inspiré par la monnaie grecque présentée sur cette page.
http://content.cdlib.org/ark:/13030/hb0g5005wm/?query=pregnant&query-join=and&brand=woodblock
Foujita a pu s'inspirer de cette estampe de Kunitoshi, Pregnant women playing in summer heat, five heads with ten bodies, 1881.

ICONOGRAPHIE

ART SAFAVIDE, Quatre chevaux, 1616, encre sur papier, 12x15,4 cm, Ispahan, Iran.
https://www.freersackler.si.edu/object/F1953.23/
ART DU RAJASTHAN, Gravure du XIX ème d'après une peinture du palais de Jaïpur, 1710, Inde. Dans L'envers des sens, p. 23.
FOUJITA

Cover for sheet music by Maurice Delage (1879-1961).
GIOTTO
Les vertus franciscaines, 1330, fresque de la croisée, église inférieure Saint François, Assise.
LESBOS
Tête d'Athéna portant un casque corinthien à crête à droite Mytilene EL Hekte. Vers 454-427 av. J.C.

 

 

 

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